Être en situation de handicap, ça coûte des thunes! Un max de thunes. Beaucoup de personnes pensent que c'est l'assurance invalidité (AI) qui prendra en charge ces frais exorbitants. La vérité, c'est que: pas forcément. Notamment lorsqu'il s'agit de loisirs. En Suisse, ceux-ci ne sont pas financés (ou remboursés) par nos assurances sociales. Il s'agit avant tout d'un cadre législatif pensé pour ne pas le permettre. Plaira ou ne plaira pas, l'AI peut se défendre de respecter la loi telle qu'elle fut votée.
Et ce quand bien même l'AI, c'est votre argent, le mien, celui de votre voisin, ou de l'élue PLR qui est en train de suer en lisant ce papier. Selon une estimation réalisée durant la rédaction de ce dernier, dans ma vie – prenons 80 ans comme espérance –, mon handicap nous coûtera environ la (très) modique somme de 12’500'000 francs. Un nombre à huit chiffres courtoisement calculé en moyenne basse – disons-le. Le minimum du minimum d'une existence un minimum honorable.
Vertigineux, n’est-ce pas? Pourtant, ce n'est «que» ce que l'AI prendra en charge. Même si celle-ci reste tout à fait précieuse et nécessaire à l’autonomie de plus de 15% de la population. Désormais, il reste le reste. Le reste, c'est toutes ces petites choses qui donnent à la vie le mérite d'être vécue. Un cinéma, des vacances, l'aménagement d'une maison connectée, un accès aux systèmes de communication... Bref, des privilèges souvent ordinaires, dans notre pays au fort pouvoir d'achat, mais, rendus encore plus onéreux par une déficience.
Des dizaines de kilomètres et des centaines de francs
Prenons les transports. Adaptés aux personnes en situation de handicap, évidemment. Nécessaires pour le travail (l’AI les financera sous certaines conditions), oui, ils le sont aussi pour les loisirs. Ici, dans beaucoup de régions, les transports publics, accessibles à toute la société, contrairement à ce que demande la loi depuis 2016, ce n’est pas encore une réalité absolue. Ainsi, pour un maximum de fiabilité, souvent, les personnes en situation de handicap vont privilégier les déplacements en taxi. Tiens, un trajet Lausanne-Vevey, aller-retour, par exemple. En 2022, selon l’Office fédéral de la statistique (OFS), le prix moyen d'une course en taxi est de 3,70 francs. Multipliés par les 26 kilomètres qui séparent les deux villes lémaniques, plus une prise en charge au tarif de 6 francs, cela vous coûtera un peu plus de 204 francs.
Avec un handicap, viens-donc, on casquera davantage. Chez Transport Handicap, leader et rare prestataire de service de déplacements spécialisés, d'abord, on vous pénalisera d'avoir réservé dans l'heure – 25 francs. La prise en charge, elle, sera quasiment quatre fois supérieure à celle d'un taxi «ordinaire» – gling, on rajoute 21 francs au compteur! Aller-retour, à 3,90 francs le kilomètre, la facture s’élèvera à 294,8 francs. Une ruée vers l'or qui fera sourire (au moins) Chaplin.
La Tesla de l’autonomie
Et puis, pour prendre un taxi qui finira par me faire vendre un rein, il me faut un fauteuil roulant. Comme le handicap est une activité commerciale comme les autres – si ce n’est plus: le public est de niche et durablement acquis –, on n’échappera pas aux marges faramineuses, à l'obsolescence programmée, aux pièces limitées... Un marché lucratif, fructueux, déraisonnable, également.
La durée de vie moyenne d'un fauteuil roulant électrique – du moins, celle qu’a définie l'Office fédéral des assurances sociales (OFAS) – est de 6 ans. Dans mon cas, un fauteuil au positionnement précis est nécessaire. Son prix? 40'000, tous les lustres. Sur notre référentiel de 80 ans, cela représente treize fauteuils. Treize Tesla – alors que vous avez enchainé toutes ces heures sup’ pour en avoir une seule. Dans l'antichambre de l'enfer (ou du paradis), la note s'élèvera à plus de 520'000 francs. On aurait presque un peu d'empathie pour Elon Musk, qui a décidé jeudi de suspendre le rachat annoncé de Twitter.
La Bible du remboursement
Pour terminer, parlons domotique, si vous le voulez bien. La domotique, ce sont ces aménagements qui me permettent de rester autonome. Ampoules connectées, contrôle vocal, assistant virtuel, volets automatiques... Vous avez compris. Malheureusement, toujours en Suisse, notre bonne vieille assurance invalidité n'est autorisée qu’à financer les articles se trouvant dans la LiMA, la liste des moyens et appareils. Une sorte de bible de la Confédération qui régit ce qu'il est possible de rembourser ou non aux bénéficiaires des assurances de soins.
La condition de vie d'une circulaire étatique de la sorte, c'est d'être un tantinet sclérosée. La LiMA a toujours un train de retard sur les technologies actuelles. Vous comprendrez certainement que, dans celle-ci, les ampoules connectées grand public, les volets automatiques, et tout le reste, eh bien, ça n'apparaît pas. Pour l'instant. Et du côté des outils domotiques proposés par l'État, la majorité d'entre eux n'aurait pas su s'adapter à l'écosystème de nos smartphones. Le prix d'une ampoule de la sorte? 52 francs, chez la plupart des revendeurs. Un volet? 189 francs, en entrée de gamme. Je vous épargne le calcul qui multipliera le coût de l'unité au nombre de fenêtres et d'ampoules dans mon domicile. Retenez juste ce nombre: 2’070 francs l'autonomie contemporaine dans son propre appartement.
Et il y aurait de nombreuses autres dépenses entraînées par ma déficience que je pourrais vous lister ici. Mais, je crois que vous aurez deviné que, décidément, malgré des financements de l'AI, vivre avec un handicap, ça douille! Bon, et puis, je préfère m'arrêter là: pas sûr que ce papier, à lui seul, réussira à financer mon prochain Lausanne-Brig. 634,9 francs! Je vous laisse régler le retour? Merci.