Ah, bah, voilà encore un papier qui risque de me faire passer pour un sale con. Certains appellent cela être «militant». Moi, j’appelle ça être un sale con. Et cette simple observation sémantique vous conforte peut-être dans le fait que j’en suis véritablement un. Orelsan disait d’ailleurs «entre avoir des principes et être un sale con, la ligne est très fine.» Et, tel un homme de principes, j’ajouterais, en épilogue: CQFD. Ou ABE. Selon votre convenance.
Cette semaine, en parfait militant, je me suis échauffé avec G. G. était ravi de m’apprendre que, «dingue», au festival du Chant du Gros, dans le Noirmont (JU), l’entrée était offerte aux personnes en fauteuil roulant. G., c’est ma moitié – je vous l’avais déjà présentée, il y a quelques semaines. Alors, quand G. m’a fait part de cet «avantage» culturel, j’ai fustigé. C’est sorti tout seul: «Mais, c’est complètement débile! D’abord, pourquoi simplement les personnes en fauteuils roulants? Et puis, comment est-ce que tu veux lever les inégalités liées au handicap, en faisant des faveurs aussi simplistes? Tu sais quoi!? C’est infiniment stigmatisant. C’est de la discrimination positive!»
Sur ces mots, G. m’a précisément traité de sale con. Mais, après nous être crêpé nos deux afros, on en a rediscuté longuement de cette discrimination positive. Moi, vous l’aurez compris, elle me répugne au plus haut point. Pour G., il faudrait être sot de ne pas en profiter, de ces avantages de personnes handicapées. Bref, un débat comme on l’aime. Et mon opportuniste de moitié a consenti à sa publication.
Malick (M.): Tu vois, bien sûr, depuis toujours, j’ai été habitué à brûler les files d’attente, à me voir offrir le musée, le théâtre, être dans les tribunes VIP des salles de concert, pour que dalle… Enfant, je ne voyais pas forcément le problème. Mais, maintenant que je gagne ma vie normalement, ce genre d’avantages, ça me questionne beaucoup sur la vision misérabiliste que peut avoir la société sur la condition de 20% des Suisses. Je préférerais que l’on propose plutôt des gestes commerciaux à des personnes, handicapées ou non, en situation de précarité économique, et qui souhaitent accéder à la culture.
G.: On est quand même des êtres humains, et, dans une époque comme celle que l’on vit, c’est plutôt rassurant de constater qu’il y a encore un peu d’entraide…
M.: Ouais, tout à fait, et ça me rassure aussi. Mais agir comme ça vis-à-vis des personnes handicapées, à mon sens, c’est sous-entendre – sans trop de sous-entendus – qu’elles ont toutes besoin d’aides. OK, c’est une possibilité. Par contre, tu dois reconnaître que le besoin ne sera pas le même pour une personne aveugle ou malvoyante que pour une autre, en fauteuil roulant ou aidée par des béquilles. En fait, il s’agit, s’il y en a un, d’identifier le besoin. Pas de proposer une sorte de norme qui ne fait pas de sens pour la moitié des bénéficiaires…
G.: Bon, bah, alors, quels sont les besoins? Parce que, des fois, j’ai l’impression que tu n’es jamais satisfait. La société fait des efforts d’inclusion, mais ça ne semble jamais suffisant!
M.: Eh bien, non, justement! On dit que «le mieux est l’ennemi du bien». C’est on ne peut plus juste dans ma représentation de l’équité. Faire mieux, ça ne veut pas forcément dire faire plus. «Offrir» quelque chose perso’, je vois ça un peu comme une manière d’excuser d’un manque d’accessibilité. Par exemple: on m’offre l’entrée à X ou Y festival, parce que, en fauteuil roulant, je ne pourrai pas accéder à la moitié des infrastructures. Alors, autant les optimiser, ces infrastructures. Les rendre accessibles à toutes et tous. Et ce n’est pas une perte d’argent. C’est un investissement.
G.: Ça doit être une question de caractère. Pour ma part, je ne vois pas trop le problème dans le fait d’obtenir des avantages sur les autres. Par contre, je suis d’accord avec toi: la gratuité ne doit pas excuser un manque de volonté. En attendant de pouvoir faire mieux, c’est normal d’offrir l’entrée. Mais il faut chercher à faire mieux.
M.: Peut-être, effectivement. Mais, quand bien même, je pense que le plus juste serait d’offrir l’entrée à l’accompagnante ou l’accompagnant. Si besoin est. Prenons l’exemple de Paléo: le terrain est difficilement praticable pour une personne en fauteuil. En raison de la topographie, oui, elle devra être accompagnée, pour l’aider. La personne handicapée aura choisi de se rendre dans un festival qui n’est pas optimal pour elle. L’accompagnant, qui devient nécessaire à son autonomie, en revanche, n’aura pas forcément choisi d’y être. Il serait donc étrange de faire payer deux entrées.
G.: Ça, pour toi, c’est de l’équité?
M.: Ça, pour moi, c’est de l’équité, oui. Pas d’avantage notable, mais des aménagements qui permettent à tout le monde d’avoir les mêmes droits, les mêmes avantages… et difficultés! Une personne agoraphobe, elle est quand même vachement plus en situation de handicap que moi, dans un festival. Pourtant, au-delà de sa phobie, son handicap, elle aime probablement aussi accéder à de la musique live, non? On lui offre un abonnement, pour autant?