C’est décidé, vous avez fait de novembre le mois de l’accessibilité. Bah, oui, vous savez quand, le 2 du mois de l’angoisse, le monde s’est arrêté de tourner, alors effaré qu’une ministre en fauteuil roulant ne puisse pas accéder à la COP26, faute d’une navette accessible. C’est trop injuste. Et surtout, trop pas singulier pour toutes les personnes en situation de handicap et celles simplement rendues âgées par la vie.
Bon, et puis, ça, c’était quelques minutes avant que les autorités lausannoises s’émeuvent d’avoir rendu la salle du conseil communal ouverte à toutes et tous, grâce au travail de deux étudiantes, qui ont décidé d’appondre quelques centaines de briques LEGO, les unes aux autres, pour en faire… une rampe. Ou plutôt, deux rampes. Aux couleurs des armoiries de la ville. Récupération politique ou non? Ce n’est pas le sujet. Mais, pas d’inquiétude, on fera un sujet sur le «handiwashing» politique.
Plus qu’une rampe
Aujourd’hui, ce serait mentir que de dire l’inverse: l’accessibilité aux personnes handicapées et âgées est passablement entrée dans les mœurs. Du moins, tout le monde, ou presque, semble savoir qu’elle doit exister. À quelques détails près. L’autre jour, je confiais à mes collègues de RTS Info que, non, contrairement à de nombreuses croyances, l’accessibilité (la fameuse), ce n’est pas «juste» une rampe, ou un ascenseur, ou un «vous voyez, c’est super, on a des toilettes adaptées au rez inférieur, juste derrière la machine à café, à droite du secrétariat. Ma collègue vous donnera la clé si besoin».
Non, car, si l’on en croit la Loi fédérale sur l’élimination des inégalités frappant les personnes handicapées (LHand), ratifiée le 13 décembre 2002: «Est considérée comme personne handicapée au sens de la présente loi toute personne dont la déficience corporelle, mentale ou psychique (est) présumée durable […]». C’est ainsi qu’il est facile de comprendre que, zut, l’accessibilité d’un lieu, c’est bien plus qu’une rampe. C’est une luminosité adaptée pour les personnes mal ou non-voyantes, des tables rondes dans les salles de conférence (plutôt que des parallélépipèdes rectangles) pour permettre aux personnes mal ou non entendantes de lire sur les lèvres, l’accessibilité du web (non, il ne l’est pas toujours)… Ou bien, moins attendu, des supports de lecture officiels simplifiés, pour toutes les personnes présentant une déficience mentale ou illettrées. Bref, «l’accessibilité universelle», c’est un peu tout ça. Pour tout le monde. En même temps.
Une personne sur quatre est concernée en Suisse
Pourtant, même si dorénavant conscientisée, l’accessibilité, ça ne coule pas encore de source. Et (attention spoiler), l’inaccessibilité n’a pas commencé à exister durant la Conférence nationale sur le climat de Glasgow, au début du mois. Il y en a un qui a bien compris cette problématique. Même qu’il n’a pas eu peur de se faire de l’argent avec, car «malheureusement, les gens pensent souvent que rendre accessible quelque chose, c’est gratuit. Alors que, finalement, c’est un travail d’architecture comme les autres». Lui, c’est Sébastien Kessler. L’homme, qui se déplace en fauteuil roulant, est fondateur-associé chez id-Geo. Depuis 2011, son entreprise vient conseiller celles et ceux qui en ont besoin, en matière d’aide technique, juridique, avec «avant toute chose, la personne concernée au centre».
Alors bloqué dans le train entre Genève et Lausanne, à cause d’un trou (ah, bah tiens, voilà une situation où nous étions toutes et tous handicapés), je téléphone à l’entrepreneur vaudois de l’accessibilité universelle. «C’est une notion essentielle, car, les problématiques d’accès ne concernent pas 10% de la population. Chaque personne peut être concernée à un moment ou un autre de sa vie», clarifie d’entrée Sébastien Kessler.
Étrange, car, en potassant la loi, une chose m’a frappé: la OHand (l’Ordonnance fédérale sur l’élimination des inégalités frappant les personnes handicapées) décrit avec insistance qu’un lieu, public ou privé, doit être accessible, oui. MAIS, seulement «dans un principe de proportionnalité». Comprenons que, grossièrement synthétisé, si la régie d’un bâtiment estime accueillir peu ou pas de personnes en situation de handicap dans son exercice, en cas de plaintes pénales, les ministères publics, tribunaux cantonaux ou tribunal fédéral, pourraient donner raison à celle ou celui qui détient le bâtiment visé par les accusations. Et c’est sans mentionner l’article 11, qui demande implicitement d’opposer accessibilité et dépense, ainsi que «l’atteinte qui serait portée à l’environnement, à la nature ou au patrimoine».
Une richesse pour toutes et tous
Mais, alors, est-ce qu’on en fait assez? Pour celui qui aime se diversifier (il est aussi actif en politique), c’est une question piège: «Si l’on prend en compte que nous sommes un pays riche, bien formé, éduqué, socialement avancé et que la population de personnes handicapées représente quasi une personne sur quatre en Suisse, alors, non, nous sommes très en retard. Par contre, chez id-Geo, on observe aussi que, jusqu’ici, les démarches pour rendre un lieu accessible reposent essentiellement sur des personnes qui ont une sensibilité personnelle pour le handicap.» Comme c’est étonnant (?).
«Toutefois, aujourd’hui, la solution repose sur une seule chose, admet le fondateur. L’accessibilité deviendra réelle, lorsque tout le monde aura compris qu’un environnement adapté, ce n’est pas une contrainte, mais une richesse.» Quand je vous disais que je ne suis pas handicapé, mais seulement en situation de handicap, c’était une manière de faire refléter cette réalité. Le handicap, c’est le cadre. Pas la personne. Et, comme on dit en fachosphère: ABE.