Eh, bamboulé, ou bien *placer ici votre meilleur accent genevois*!? Ça y est, on va pouvoir revivre, sans toutes ces contraintes sanitaires? Peut-être être pas pour tout le monde. Alors, oui, la levée quasi totale des mesures Covid dans notre pays me réjouit.
Et pourtant, en tant que «personne à risque», il m’est impossible de ne pas me demander si, en réalité, ce n’est pas à partir de maintenant que le qualificatif «à risque» se légitime plus que jamais. Désormais moins protégée par les autres, cette population risque de véritablement commencer son semi-confinement aujourd’hui.
Je vous ai posé la question sur Facebook et, évidemment, les réactions saines et bienséantes n’ont pas tardé à arriver. Frédéric, pour me «protéger», me conseille, en bon pharmacien, la vitamine C liposomale — paraît-il qu’elle est disponible sans ordonnance. Isabelle me rappelle, dans un éclair de génie, que nous sommes «tous mortels». Natacha soutient: «À vivre dans la peur, autant directement préparer ses funérailles». Et puis, message à mes proches: Jérôme commence, dès maintenant, à faire son deuil. Il regrette ma prétendue mort prochaine due au Covid. Dommage, il paraît qu’il «m’aimait bien».
Environ 590’000 aidants en Suisse
En parlant de mes proches, pour eux non plus, cette période de retour à la normalité, faite de protection accrue dans un environnement euphorique et indolent, sera une probable nouvelle épreuve. Ces personnes, là, qui, contrairement à Frédéric, Isabelle, Natacha et Jérôme, n’auront tout simplement pas d’autre choix que de vivre au rythme des êtres à risques qu’ils côtoient de près. Au nom de la solidarité et, surtout, de la sécurité.
Ces personnes, là, on les appelle les proches aidants. Ils et elles, bénévoles et très peu reconnus par les autorités, sont un peu plus de 590’000 en Suisse, dont quasiment 49’000 ont aujourd’hui moins de 16 ans. On n’en a encore jamais parlé, vous et moi, mais, en plus d’être proche aidé, je suis aussi proche aidant. Plusieurs fois par semaine, j’assiste Nathan, 17 ans, mon frère cadet, qui est atteint de problèmes cognitifs, plus précisément d’une leucomalacie — mot compte triple au Scrabble. Ainsi, avec handicap, ou non, il est possible, à parts égales, de se retrouver aidant.
Aujourd’hui, cette ville de proches aidants, à l’image de Corippo (TI), Mauraz (VD) ou Kammersrohr (SO), manque encore cruellement de visibilité. Et ça, Sarah Missiller-Vuataz l’a bien compris. Elle-même maman et proche aidante du petit Louis, 8 ans, l’assistante en intégration scolaire crée en décembre 2021, avec son mari, Théo, «Parenthèse», un podcast pensé par et pour «les parents d’enfants extraordinaires» — comprenez touchés par un handicap ou une maladie.
Un besoin de se raconter
Et, même si beaucoup de proches aidants en Suisse ne sont pas forcément parents, Sarah Missillier-Vuataz reconnaît qu’il y’a un fort besoin de se raconter et d’échanger chez ces personnes dont le rôle est souvent inconnu: «C’est hyper important, pour moi comme pour d’autres, d’avoir la possibilité, en tant que parents et proches aidants, d’avoir la possibilité d’échanger des conseils et astuces entre êtres humains qui vivent des expériences similaires. La difficulté d’être parent et proche aidant, c’est de rester parent avant tout. On pourrait vite être tenté de devenir le physiothérapeute de substitution, l’infirmière de substitution… Alors que, finalement, nous sommes les parents d’un enfant, avant d’être autre chose. Échanger pour prendre du recul sur la situation, c’est donc nécessaire.»
Ni une ni deux, l’internet des internets propulse le podcast et montre l’intérêt porté par des parents de familles où «tout va bien» et qui, toujours selon sa créatrice, ont envie de s’informer sur des réalités parallèles aux leurs. Pour la Blonaysanne, c’est aussi ça, l’intégration. Un véritable pont entre visions du monde qui est important ne serait-ce que pour protéger les proches aidants et les proches aidés.
Le proche aidant du proche aidant
Mais, pas toujours facile de se protéger et de penser à soi, quand on est là pour l’autre. Dans un récent rapport de l’Office fédéral de la Statistique (OFS), il est observé que, les proches aidants en Suisse, sont globalement plus atteints dans leur santé, à comparer avec leurs contemporains qui ne sont pas appelés à assister une ou un membre de leur famille. Cela s’expliquerait notamment par le fait que la majorité de ces personnes appelées à l’aide sont âgées de plus de 50 ans.
«Pour être dans ce rôle, qui n’est pas toujours choisi, il faut être solidement accompagné, estime Sarah, la maman de Louis. Il s’agit de trouver le proche aidant du proche aidant. Et dans notre cas, c’est une grande chance de pouvoir soutenir notre fils à deux, avec mon mari. Sinon le bateau est trop lourd!»
Une grande chance que confirme la fondation Pro Infirmis, qui vient en aide notamment à cette population: parmi leurs nombreux dossiers ouverts dans tout le pays, 80% des couples assistés sont aujourd’hui divorcés, «probablement en raison du handicap qui est venu impacter l’équilibre familial». Un chiffre 30% plus élevé que celui donné par l’OFS, toutes configurations de ménages confondues.
Entre le présent et l’avenir
Pour Sarah Missilier-Vuataz, comme pour beaucoup d’autres proches aidants, le carpe diem n’existe pas. Aujourd’hui, Louis a 8 ans. Mais il aura toujours besoin d’une aide active, en raison de sa maladie rare. Impossible, pour la mère et le père du petit bonhomme fédérateur, de ne pas se demander quelle sera leur place, une fois ce dernier devenu adulte.
«Mais, parallèlement à cela, nous devons apprendre à vivre dans l’instant présent, nuance l’assistante en intégration scolaire. On navigue beaucoup entre le présent et l’avenir. Et puis, finalement, la vie est bien plus difficile pour Louis que pour nous. C’est lui qui, depuis sa naissance, vit les opérations, les soins… Et il n’a rien demandé de tout cela. Alors, en tant que parents, et donc aussi proches aidants, on ne peut qu’être là pour lui.»