Tremble la Terre. Stylos quatre couleurs. Machine à café. Séances en présentiel. Et collègues d’en face. Ou d’à côté. Joie! Cette semaine, le Conseil fédéral a décidé de mettre en congé l’obligation de télétravail, pour toute la Suisse. Toute l’économie va pouvoir à nouveau embrasser les joies du «Salut Gégé! Pas trop dur ce matin?» des débuts de journée (enjoués).
Et depuis le début de la pandémie, il y a de cela bientôt deux ans, le télétravail, également, a trouvé ses meilleurs détracteurs et leurs tout aussi meilleurs arguments. Isolement social, procrastination excessive, principes de hiérarchie rendus plus abstraits, querelles ménagères, équilibre entre vie professionnelle et vie privée… Les désavantages ont été soulignés rapidement, notamment par les milieux économiques les plus conservateurs.
Un obstacle à l’embauche
Mais, tiens, intéressons-nous plutôt au positif. Et ramenons ce positif au handicap – vous m’excuserez, j’ai précisément été engagé pour cela; ramener les questions d’actu’ et de société à ce bon vieux handicap. Ce n’est pas comme si c’était un secret: le monde du travail, malgré les lois en vigueur, est encore particulièrement frileux à l’égard de la différence. Il peut facilement, alors, discriminer et refuser une candidature. Sans vraiment fournir de motif. Même si «cette décision ne remet aucunement en cause vos qualités personnelles, ni même celles de votre formation».
Lorsqu’un type en fauteuil roulant postule quelque part, dans l’économie dite «ordinaire», on lui invoque, bien souvent, un problème d’accessibilité des locaux (dans l'absolu…), d’un manque de formation des collaboratrices et collaborateurs de l’entreprise à sa problématique (pitié…), son état de santé qui pourrait régulièrement le mettre en arrêt (il est en situation de handicap, pas malade…), le manque de temps pour ce «projet» d’embauche (souvent utilisé, celui-ci!). À tort, ou à raison, ces arguments, lorsqu’ils ne traduisent pas d’un manque de compétences réel, définissent le handicap comme étant un obstacle à l’embauche.
Travailler (sans) le handicap
Vous avez fait le rapprochement, n’est-ce pas? Eh oui, avec l’arrivée du télétravail, le fauteuil roulant du type qui postule n’est plus un problème. Puisqu’il travaille chez lui, ou du moins avec des ressources adaptées à ses besoins. Sans parler des solutions qu’il aura trouvé pour être plus efficient dans son travail, en ayant accès à un environnement pensé «pour» lui. Pendant que les autres apprendront à numériser des documents, sans Patrick du service IT – là, c’est qui l’handicapé déjà?
Et ça ne s’arrêtera pas en si bon chemin. Mêlons l’utile à l’agréable: avec la mise en place du télétravail pour ce collaborateur en fauteuil roulant, c’est moins de frais logistiques que l’assurance invalidité (AI) va devoir subventionner, aussi. Et le financement de l’AI, ne l’oublions pas, c’est la fortune des contribuables que nous sommes. Alors, tout le monde y gagne! En fait, et en substance, sous cette configuration de travail, son handicap ne peut plus être un prétexte à un refus. Sinon, ce sera désormais pour un autre «bon» motif.
(Dé)considérer le handicap
Avant tout cela, pour toutes les «raisons» évoquées plus haut, j'ai fait les cent tours de roue (1 tour de roue = 1,5 pas). Plusieurs fois. Essayer, puis patienter, pour espérer enfin croiser quelqu’un ou quelqu’une qui osera (dé)considérer ce handicap, indubitablement rédhibitoire. 600 pas. Et toujours depuis chez moi. Une sorte de télétravail, avant l’époque du télétravail, mais sans travail. La télé, hormis celle où je pourrais y travailler, m’importait peu. Il n’y a qu’une fois contracté que ces deux mots – d’apparence insignifiante – redistribuent les cartes.
Alors, tel un virus bien connu, il a fallu attendre que ces deux mots se contractent. «Mutent», comme on aime le dire désormais. Une muta-contraction qui, bien évidemment, peut, a contrario, se montrer défavorable à l’émancipation professionnelle, selon le handicap et les compétences. La réalité présentée n’est donc pas très globale.
Mais, étant donné le fait que, sur les plateformes de médias sociaux, l’on m’a exhorté de ne plus toujours parler de négatif – et de ne surtout pas (jamais jamais ja-mais!) poser de questions sur le rôle social d’Alexandre Jollien –, je me contenterai, cette semaine, d’être le Nombril du monde. De mon monde. D’un monde (ma cuisine en open space qui me convient plus que bien) où je vous souhaite un bon week-end, ainsi qu'un fabuleux retour au bureau. Allez, salut!