Jamais mieux servi que par soi-même #34
Sagesse [n.f.]: connaissance spéculative et relative du monde

Le journaliste Malick Reinhard pointe docilement du doigt la maladresse des «valides» face au handicap. Cette semaine, à l’occasion de la sortie du premier film d’Alexandre Jollien, «Presque», il se demande pour quelle raison le philosophe valaisan est autant respecté.
Publié: 29.01.2022 à 16:27 heures
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Dernière mise à jour: 29.01.2022 à 17:34 heures

Sagesse. Ô grande sagesse! Faites une rapide recherche sur Google et vous constaterez, tout aussi rapidement, que celle-ci est considérée comme une vertu, rare. Qui dit rare dit recherché. Et qui dit recherché dit admiré. Alors, quand la sagesse se présente, là, à portée de main, diantre, à quoi bon la laisser passer?

Mais, vous n’avez pas l’impression, parfois, que cette sagesse, d’ordinaire accordée aux «philosophes», est une sorte d’invention humaine, à cheval entre l’outrecuidance et l’onanisme? Bref, entre une confiance exagérée de soi-même et des autobranlettes gratuites – même si, on est d’accord, c’est plutôt agréable.

«Presque» sage

Un homme, suisse, valaisan, atteint d’une paralysie cérébrale, m’a toujours inspiré ce touche-pipi mental, un poil grisant et totalement satisfaisant. Cet homme, vous le voyez partout, absolument partout, depuis maintenant un mois. Alors, actuellement en train de promouvoir son premier film, «Presque», en co-réalisation avec l’Inconnu Bernard Campan, Alexandre Jollien est ovationné pour cette fameuse sagesse. Et cela depuis maintenant plus de vingt ans.

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Tout a commencé en 1999, avec l’«Éloge de la faiblesse», un livre, autobiographique, dans lequel le Saviésan d’origine raconte ses années passées en école spécialisée, au travers d’un dialogue qu’il instaure avec un autre philosophe, Socrate. Plongé dans cet ouvrage maintes fois, j’ai appris. Appris de ce parcours. Appris, comme les enfants, par le biais de la comparaison de nos réalités respectives. Toutefois, à aucun moment, il ne m’a semblé être envahi par une sapience particulière. Ce qui, entre nous soit dit, est une condition assez commune, chez nous autres, bipèdes. Peut-être chez vous. En tout cas chez moi.

Jollien sans handicap, reste-t-il philosophe?

Alors, depuis, une question me tarabuste: est-ce que, sans handicap, Alexandre Jollien serait tout aussi considéré pour sa «grande philosophie»? Ou l’estime que nous portons à sa sagesse, serait-elle réduite aux discours méprisés d’un Jean-Claude Van Damme, d’une Afida Turner, d’un Mike Horn ou, tout au plus, d’un Bernard-Henri Lévy? Non, allez, j’exagère un poil. Mais, sans doute que, dépourvu de sa singularité handicapante, en prônant la méditation, l’acceptation de soi et la bienveillance, Alexandre Jollien serait stigmatisé; traité de hippie qui plane, bobo en sarouel, dans les étals d’un magasin d’articles en vrac. Bios, les articles en vrac.

Eh, je vous vois arriver. Nulle jalousie dans cette réflexion, qui pique, certes. Le problème, ce n’est pas l’homme – que je n’ai jamais eu la chance de rencontrer et qui doit être probablement tout à fait respectable. Le problème, c’est ce qu’il fait de sa sapience, amalgamée à sa situation de handicap. Voilà uniquement un handicapé, qui souhaite remettre en question le travail d’un autre handicapé. Parce que sinon, personne n’osera le faire. En tout cas pas une personne «valide».

Tiens, le validisme, d’ailleurs, vous vous en souvenez? Le validisme, c’est tout ce que je déteste. Ce positionnement, devenu naturel, qui tend à considérer, consciemment ou non, qu’une personne en situation de handicap est forcément «malade», «souffrante», «courageuse», qu’elle mérite d’être glorifiée pour «son combat». Et lorsque celle-ci réussit – bim, jackpot, les trois petits fruits identiques dans les trois petites cases –, elle devient une «véritable leçon de vie».

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D’égos à égaux

Alors, en devenant le sage de ce grand village qu’est la Suisse occidentale, Alexandre Jollien ne serait-il pas en train de desservir la déstigmatisation du handicap, menée par d’autres, qui souhaiteraient, justement, ne plus être encensés pour leur humilité, leur résilience et leur savoir-vivre, soi-disant acquis «grâce» à leur déficience.

Dans la réalité de certaines et de certains, il est bien dommage d’observer cette volonté de surfer sur le validisme ordinaire. Tout comme un autre philosophe, sans handicap, surferait sur la reconnaissance d’autrui. Alexandre Jollien, lui, fait peut-être les deux. D’égos à égaux. Et dessert la cause qui me semblait être la sienne. La nôtre. La philosophie, c’est avant tout remettre en question des choses établies, non? On va prochainement se boire un verre, Monsieur le philosophe?

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