Un vieux proverbe africain dit que «pour qu’un enfant grandisse, il faut tout un village». C’est vrai. Et je ne peux pas l’oublier. Mon «village», c’est toutes ces personnes qui, dans la dépendance, me garantissent un maximum d’autonomie: mes proches aidantes et aidants, mes auxiliaires de vie, mes thérapeutes, mes potes, mes collègues… vous, aussi.
L’époque que nous vivons nous a appris, je l’espère, que nous sommes toutes et tous interdépendants. Nous avons compris à quel point toutes et tous nous sommes des animaux sociaux. Restons-nous des êtres vivants, humains, sans le rapport social? Voilà un bon sujet de philo’pour vos meilleures quarantaines.
La Palme d’or du soutien
Ce rapport social, j’en ai besoin plus que quiconque. Sans «l’autre», ma journée s’arrêterait à l’ouverture de mes yeux au réveil. Et puis c’est tout. Ah oui, je pourrais quand même monologuer dans mon esprit en observant le plafond. Les yeux bouffis par la mélatonine. Bref, des fois, je m’amuse (attention, c’est monstre fun) à dire que, sans aide, je ne suis qu’une tête, un esprit. Vous savez, ces films si-fi où la conscience d’un type, souvent le génie de l’histoire, est conservée dans un liquide verdâtre. En attendant que le protagoniste retrouve son corps pour y réintégrer son esprit.
Mais heureusement, grâce à l’aide de nombreuses personnes, je suis plus que «ça», plus qu’un esprit enfermé dans un bocal par un scientifique démoniaque – niark niark. C’est pour cette raison que, cette semaine, je veux leur dire merci. Une sorte de Festival de Cannes… la montée des marches en moins – ne me demandez pas pourquoi. Strass, Croisette, paillettes et larmichettes.
Une Palme d’or pour mon ascendante, pour son interprétation tangible et intense de Maman, dans «Prisonnier d’un corps» de Malick Reinhard. Le Prix du jury, lui, va droit à mon ascendant, et sa performance pusillanime autant qu’égarée de Papa, dans «Le pouvoir des maux» réalisé par… encore Malick Reinhard! Bravo! Venez donc sur le plateau… *applaudissements*
Les génies de l’allocentrisme
Non, entre le prescrit et le réel, il y a souvent un écart. Un grand écart, même. En vérité, c’est un peu plus complexe qu’une manifestation d’apparat de douze jours, durant la deuxième quinzaine du mois de mai. En peu de mots, le titre déluré de cette chronique, «Jamais mieux servi que par soi-même», n’aura jamais été aussi irrévérencieux qu’aujourd’hui. Alors, je veux leur dire merci, car, j’ai toujours été très interpellé par les personnes autocentrées qui, paradoxalement, font rayonner celles qui m’apportent soutien et autonomie.
Ah oui, fortement interpellé. Il faut dire que dans «ma» réalité, mon quotidien, ma sphère intime, la place est davantage à l’allocentrisme qu’à l’égocentrisme. Toutes les personnes qui gravitent dans ce fameux village sont des femmes et des hommes qui ont décidé soit de s’impliquer, soit de rester impliqués dans «mon» projet, de (très) près ou de (très) loin.
Vous l’aurez peut-être observé: je place passablement de guillemets dans ce 32e récit. Je ne voudrais pas m’approprier ni «ma» dépendance ni l’aide qui m’est donnée. En effet, peu de temps après «ma» naissance, juste après avoir posé le diagnostic de «ma» déficience, la pédiatre a confié à mes ascendants (bien avant la descente sur la Croisette) ceci: «Ce n’est pas parce que votre fils ne peut rien faire qu’il faut tout lui faire. Sinon, il deviendra capricieux et royaliste». Mon ascendante ne s’est jamais privée de me le rappeler durant ses meilleurs sermons.
Le roi de la dépendance
On m’a aussi surnommé le «petit roi», «dans son royaume». On a qualifié mes proches de «sbires du souverain pontife». Quand le sujet (de la discussion) est pris pour le roi. De la jalousie? Je ne pense pas. Franchement, qui ambitionne de devenir hypotonique, sans même avoir la possibilité de se gratter le nez? Personne.
Mais, alors, pourquoi prétendre que quelqu’un, dépendant d’autrui pour être plus qu’un cerveau, est forcément un abuseur, un «roitelet capricieux» qui dérobe le temps des gens, sans pitié? Peut-être parce que, dans l’inconscient collectif, une personne aidée devrait «déjà» se contenter de ce qu’elle a, sans jamais remettre en question ce soutien (?). Vous les voyez un peu mieux, là, les autocentrés qui font rayonner la présence et l’investissement de ces personnes précieuses.
Je porte le plus profond respect aux personnes qui, chaque jour, me permettent de faire déambuler ma boîte crânienne, au-delà de mon plumard. Cet épisode de «Jamais mieux servi que par soi-même», aussi mal titré est-il cette fois, leur est dédié. Dédié à vous, également. Qui faites vivre cette chronique, grâce à votre fidélité et vos remarques. Et puis, les monarques de l’égocentrisme? Calmez-vous, je ne vous oublie pas. Vous me peignez régulièrement le portrait sans-retouche du «moi» que je dédaigne le plus. Alors, à vous aussi… merci.