«Il faut effectivement des établissements spécialisés, sauf pour les gens légèrement handicapés», a lancé, vendredi 14 janvier, le candidat à la présidentielle française, Eric Zemmour, lors d'une discussion avec des enseignantes et enseignants acquis à sa cause. Pour le polémiste, «l’obsession de l’inclusion» est une mauvaise manière faite aux autres enfants, et à ces enfants-là, qui sont «les pauvres, complètement dépassés».
Quelques minutes plus tard, l’internet des internets s’enflamme. De la candidate nationaliste Marine Le Pen au candidat d’extrême gauche, Jean-Luc Mélenchon, on fustige les propos «impardonnables» de l’ancien journaliste. On utilise la «fragilité de ces enfants», en guise de récupération politique, avant que Sophie Cluzel, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées dénonce une approche «misérabiliste» de la situation et renvoie à la loi de 2005 qui garantit l’égalité des chances pour toutes les personnes en situation de handicap. Stop. Point final. Fin du flop.
Expédition en établissement spécialisé
En Suisse aussi, depuis 2004, avec la Loi sur l’égalité pour les handicapés (LHand), le système scolaire est censé se plier à cette logique d’inclusion dans le milieu dit «ordinaire». Mais alors, 18 ans plus tard, quels résultats retenir de cette législation? Quelles différences entre théorie et pratique? On va faire un petit point de situation.
À côté de mes activités que vous connaissez déjà, je donne sporadiquement des formations, dans les écoles sociales, sur différentes thématiques liées au handicap. Fascinant, pour moi, le fait que, depuis quelques années, lorsque je demande aux élèves si elles et ils ont déjà partagé une partie de leur scolarité avec une personne en situation de handicap, toutes et tous, ou presque, lèvent la main. Mais la baissent très vite, lorsque l’on dépasse l’école primaire. Je suis la preuve par l’exemple de ce cas… d’école. Passé d'abord par un environnement «ordinaire», après les fameuses «petites écoles», ni une ni deux, faute d’accessibilité des bâtiments scolaires communaux, j'ai été expédié dans un établissement «spécialisé».
Les personnes handicapées parlent du malaise face aux consignes sanitaires
Il y en a un qui, lui, a compris que sa situation de handicap ne serait pas un frein à sa scolarité dans un milieu ordinaire. Problème: on ne le suit pas dans son projet. Nouh Arhab, «bientôt 22 ans», a terminé sa scolarité obligatoire, spécialisée, il y a de cela bientôt quatre ans. Pourtant, celui qui présente une paraplégie en raison d’une malformation congénitale cherche toujours sa voie. Aujourd’hui, il doit se résoudre à percevoir une rente d’invalidité, en attendant que quelqu’un veuille bien reconnaître ses compétences en graphisme et en photographie. «C’est important de dire que, le plus excluant pour nous, ce n’est pas forcément l’école spécialisée, mais ses débouchés, regrette le Lausannois. Les diplômes, dans ce milieu, sont aujourd’hui inexistants. Donc, pour une personne qui espère accéder au marché du travail, c’est un handicap en plus».
«L’école spécialisée, c’est une vraie garderie!»
Pour comparaison, dans la région morgienne, Bastien J.*, lui, a pu suivre toute sa scolarité en école ordinaire, malgré son handicap d’origine génétique qui lui demande des déplacements en fauteuil roulant électrique. Avec ce cursus, le jeune homme est sorti récemment d’un apprentissage d’employé de commerce et professe dorénavant dans la branche. Toutefois, il estime avoir été aidé par certains paramètres: «J’ai aussi réussi mon parcours, parce que j’ai toujours été très entouré par ma famille. Ma mère étant à temps partiel, elle a pu être disponible pour m’aider, surtout entre les heures de cours, à midi ou à 16 heures».
Bien sûr, le Vaudois de 20 ans estime que ses camarades se sont parfois moqués de lui. Mais, attention, prévient Bastien: «Je pense que c’est le sort de tous les ados. Avec ou sans handicap. Je ne pense pas avoir été plus ciblé que quelqu’un d’autre». Pour lui, l’intégration dans les écoles ordinaires est très importante, ne serait-ce que pour permettre aux élèves et aux professeurs de mieux connaître le handicap et, ainsi, d’en avoir moins peur. Sa proposition: former davantage le personnel du milieu «ordinaire» pour lui permettre d'être davantage spécialisé aux particularités de chacune et chacun.
Malick Reinhard tente de comprendre pourquoi le handicap nous fait si peur
À Payerne, au sortir de la caserne militaire où il effectue son école de recrue [il est la première personne en fauteuil roulant à vivre cette expérience en Suisse, ndlr.], Nouh Arhab soutient les propos de son contemporain avec pugnacité: «L’école, c’est aussi un endroit pour sociabiliser, se confronter aux autres et à la “vraie vie”, sans prendre de gants. Peu importe le handicap, ça ne peut être que stimulant pour tout le monde. Et puis, disons la vérité: pour quelqu’un qui veut apprendre, l’école spécialisée, c’est une vraie garderie!»
Et si la solution à l’inquiétude du candidat Zemmour, ce n’était pas simplement celle de mettre les enfants concernés au centre du débat? Quels sont leurs avis et leurs réalités? À perpétuellement vouloir les «protéger», est-ce qu’on ne les mettrait pas finalement plus en danger? De la frénésie Squid Game au port du masque dans les écoles, en passant par la place de l’enseignement spécialisé, avec ou sans handicap, mais nom d’un chien, laissons s’exprimer ces gamins!
* Nom connu de la rédaction