Chronique par Mathilde Mottet
Cher Beat Jans, impossible de te remercier

Pour sa nouvelle chronique, Mathilde Mottet, coprésidente des Femmes socialistes suisses, interpelle le conseiller fédéral socialiste Beat Jans sur sa politique migratoire. Elle la juge inhumaine, inefficace… et ne lui dit pas merci.
Publié: 09.02.2025 à 10:55 heures
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Dernière mise à jour: 10:00 heures
Mathilde Mottet critique vivement la politique migratoire de son camarade Beat Jans.
Mathilde Mottet, coprésidente des femmes socialistes suisses

Salut Beat,

J’ai bien reçu ta carte pour la nouvelle année. Tu me remercies pour mon engagement, mais je ne peux pas te remercier en retour. Voilà pourquoi.

Pas merci pour «tes valeurs pragmatiques sur l’asile»

Tu veux punir les Ukrainien·nes en Suisse qui ne travaillent pas en leur coupant l’aide sociale. C’est pas comme si pour travailler, il fallait déjà avoir le droit de travailler en obtenant une autorisation cantonale, parler la langue et donc avoir une place dans un cours de langue ou encore être en bonne santé. (Comment ça, la guerre ça traumatise?)

Pas merci pour ton rapprochement à l’UDC

Tu es favorable à l’externalisation des procédures d’asile dans des pays tiers, exactement comme l’UDC, parti au racisme notoire (ah non pardon, ils ne sont pas racistes mais seulement “xénophobes”). Tout comme l’UDC, tu parles d’abus en matière d’asile, tu prônes une politique sécuritaire alors que le monde brûle et que le nombre de personnes qui ont besoin d’être protégées explose. Tu dis qu’on ne peut pas plaire à tout le monde, mais est-ce que tu pourrais arrêter d’essayer autant de plaire à l’UDC s’il te plaît?

Pas merci d’avoir fait des expulsions ta priorité politique

Tu as fait des expulsions ta priorité politique, en organisant à nouveau des vols spéciaux vers l’Ukraine et l'Afghanistan, alors que cette pratique viole le droit à la liberté personnelle, à la dignité humaine des personnes concernées ainsi que l’interdiction des peines et traitements inhumains et dégradants. Un exemple? En novembre dernier, un jeune Afghan de la minorité ethnique Hasara, particulièrement persécutée par les talibans, a été renvoyé car il avait été impliqué dans une bagarre sur un terrain de foot. Amnesty juge qu’il n'y a pas de zone sûre en Afghanistan car «le pays expose les personnes à la torture ou à des traitements inhumains». Un autre exemple? Bezma, enfant turque de 6 ans, a été renvoyée en Croatie en janvier alors qu’elle était gravement malade.

Tu as accéléré les procédures d’asile «vouées à l’échec», ce qui touche particulièrement les jeunes hommes d’Afrique du Nord. Mais demander l’asile est la seule possibilité formelle que la forteresse Europe leur laisse pour espérer une vie meilleure. Et tu crois pas que 24 heures, c'est un peu rapide pour juger si une personne a le droit d’être protégée ou non? 

Tu as passé un accord avec l’Irak pour accélérer les renvois en direction du pays, alors que le DFAE déconseille aux Suisse·esses de s’y rendre. Un peu un double standard, non?

C’est encore possible de faire mieux, Beat

Pourtant, des organisations spécialisées dans les droits des personnes issues de la migration, comme Solidarité sans frontières, Asile.ch ou Freiplatzaktion Basel (c’est de chez toi!) ont exprimé ce que tu pourrais faire pour réellement protéger des gens en détresse. Elles ont une vraie expérience du terrain et connaissent les besoins des personnes concernées. 

Tu pourrais par exemple améliorer les soins médicaux, l’hébergement et la planification urgente dans le domaine de l’asile. Tu pourrais revoir la collaboration entre le SEM et des entreprises à but lucratif comme Securitas ou Oseara. Tu pourrais réintroduire les délais de recours de 30 jours dans les procédures d’asile matérielles. Tu pourrais construire des alternatives sérieuses au système d’asile actuel qui offrent une perspective d’avenir: des modèles d'admission alternatifs, des soutiens financiers individuels plus généreux, des modèles de marché du travail flexibles afin de permettre l’autonomisation socio-économique des personnes concernées. 

Fais mieux, Beat. Et à ce moment-là, je pourrais te remercier. 

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