La rumeur couvait depuis des années, cela figure désormais dans ses statuts: la Fédération internationale de football, dont le siège historique est à Zurich, pourrait quitter la Suisse. Coup de tonnerre dans le paisible ciel helvétique!
Les potentiels pays hôtes? Les États-Unis ou encore l’Arabie Saoudite. De quoi se rapprocher de la justice américaine qui lui colle aux basques ou d’une énième autocratie dont la FIFA s’est acoquinée. Tout un programme.
Alors que les lobbyistes du sport « business » poussent des cris d’orfraie (Philippe Leuba qui «exhorte avec fermeté et inquiétude les politiques à enfin se bouger»), le porte-parole de l’organisation temporise mollement («la FIFA est heureuse en Suisse»).
Disons-le clairement. Dans ce débat, on occulte trop souvent de quoi on parle: la FIFA n’a plus grand-chose de suisse, l’organisation est émaillée de scandales de corruption en veux-tu en voilà et se rapproche chaque jour un peu plus d’une sacrée brochette de dirigeants autoritaires. Entrons dans le vif du sujet.
La FIFA nuit à la réputation de la Suisse
On dit souvent que la Suisse est un petit pays où tout le monde se connaît. C’est assez vrai: mon grand-père, électricien à l’Alusuisse, connaissait l’ancien président de la FIFA, Sepp Blatter, le croisait régulièrement dans leur Valais natal et le tutoyait tout naturellement malgré son statut de quasi-chef d’État.
Certes, les temps ont bien changé depuis, mais l’anecdote laisse bien songeur face à «l’exil» qatari de l’actuel président de la FIFA (d’où il prépare ses discours bien malaisants). Loin de moi l’idée de vouloir cautionner Sepp Blatter, mais il faut admettre que le contexte a changé: que ce soit par la distance physique, symbolique et désormais, statutaire, Gianni Infantino signale par tous les moyens que la relation entre la FIFA et la Suisse appartient désormais au passé.
Pourquoi maintenir ce boulet à tout prix ?
L’ancien conseiller d’État vaudois PLR Philippe Leuba affirmait il y a quelques jours sur la radio publique que la Suisse était trop critique avec la FIFA et qu’il fallait retrouver un certain équilibre pour maintenir cet «atout majeur» pour le pays. Comprenez: la Suisse doit tout faire, coûte que coûte, pour maintenir la présence de la FIFA sur son sol.
Mais quels sont ces fameux atouts ? Personne ne le dit jamais. Tout le monde reste évasif. Or, contrairement au Comité International Olympique qui fédère à Lausanne et dans la région lémanique une multitude de structures du sport international (les fédérations internationales, le Tribunal Arbitral du Sport, l’agence de contrôles ITA, l’agence mondiale antidopage, etc.), la FIFA ne représente qu'elle-même. Pire encore, par ses agissements passés et présents, elle nous inflige désormais des dégâts d’image considérables aux dépens de la réputation du pays.
Infantino, le retour au Moyen Âge
Gianni Infantino avait promis lors de son élection de restaurer l’image de l’organisation. Les réformes structurelles envisagées, notamment en matière de transparence, n’ont pas fait long feu. Elles visaient principalement à inclure des membres indépendants dans le comité exécutif et à enfin limiter le renouvellement des mandats.
L’ex-conseiller de l’organisation, Mark Pieth, considère d’ailleurs qu’«avec Gianni Infantino, la FIFA est revenue au Moyen-Âge de Blatter». Un système féodal où on met de côté les personnes gênantes pour consolider son pouvoir.
Ses solutions? La fin de l’autorégulation et la mise en place d’un véritable contrôle étatique de l’institution. Ces mesures s’imposent d’autant plus au moment où le président actuel piétine les mesures, déjà bien timides et décidées sous la pression juridico-politique, initiées sous l’ère Blatter.
Il est alors peu étonnant que le professeur Pieth, auteur de l’ouvrage Reforming FIFA, soit devenu l’ennemi absolu d’un Gianni Infantino entouré de ses armées d’avocats-communicants. La FIFA déteste par-dessus tout se retrouver confrontée à ses propres contradictions. D’autant plus quand son présent suit sans sourciller le même chemin que son passé peu reluisant.
Ballon rond et corruption
Il faudrait plus d’une chronique pour parler de ce passé tant les affaires sont nombreuses. S'il ne fallait retenir qu'une seule affaire de corruption de la FIFA, je vous recommande sans hésiter le «Fifagate»: en 2015, à la veille de son congrès, 14 personnes dont 9 hauts responsables de l’organisation sont inculpés suite à une enquête du FBI pour corruption et blanchiment d’argent.
On parle d’agissements présumés sur une période de 25 ans, 150 millions de dollars en pots-de-vin et autres rétrocommissions auraient été versés, entachant l’attribution entachée de plusieurs Coupes du monde. L’enquête dévoile également comment les pays hôtes sont sélectionnés. Et c’est loin d’être reluisant. Notons enfin que Gianni Infantino, lui, est soupçonné d'avoir voulu interférer dans des enquêtes sur l’organisation qu’il préside et en lien avec la Coupe du monde au Qatar.
Pour en savoir plus, je vous recommande vivement la série Netflix «FIFA: ballon rond et corruption». On y comprend notamment pourquoi la direction actuelle accuse lourdement ses anciens dirigeants. Entre autres pour éviter d’assumer ses choix actuels.
Fin de la mainmise occidentale sur le football mondial
Au final, le départ potentiel de la FIFA illustre aussi la fin d’un monde où l’Europe régnait comme bon lui semble sur le football mondial. Russie, Qatar, Arabie Saoudite. Il suffit de jeter un œil aux Coupes du monde récentes et à venir dans des pays autoritaires pour saisir cette évolution.
Gianni Infantino a sciemment déplacé le centre de gravité de la FIFA et assume pleinement l’évolution de la géopolitique du football: hormis l’importance de faire tourner la machine à cash, aucune condition, même minimale, n’est imposée à ces pays. Le résultat? Bafouement des droits humains en Russie et milliers d’ouvriers morts sur les chantiers des stades climatisés du Qatar. Il en va de même pour l’Arabie Saoudite qui accueillera le plus grand évènement mondial en 2034: absence de liberté d’expression et de réunion, traitement catastrophique des travailleurs-ses et des prisonniers, tutelle masculine qui limite la liberté des femmes.
Remettre le fric à sa juste place
Peu importe les dangers que cela fait peser sur l’organisation, la FIFA place la logique économique au-dessus des valeurs initiales du football. Nous avons atteint un point où on peut le dire: le profit est devenu sa valeur cardinale.
Après avoir inventé ce sport, le poids du vieux-continent est de plus en plus faible. C’est probablement le meilleur moment pour se remettre en question et tenter de reconstruire le football. Au lieu d’accompagner son lent déclin. Un football où la maximalisation du profit n’est pas la seule chose qui compte. Un football populaire, qui replace le beau jeu au centre du terrain. Et tacle enfin l’indécence les deux pieds levés. La Suisse doit jouer un rôle dans ce chantier titanesque. Mais cela ne sera jamais possible avec la FIFA sous sa forme actuelle.