La chronique de Samson Yemane
Immunité parlementaire: le bouclier des partis contre la justice?

La Commission des affaires juridiques a récemment décidé de protéger l'immunité du Conseiller aux Etats UDC Marco Chiesa. Une décision qui soulève des questions sur la séparation des pouvoirs et l'impartialité de la justice, estime notre chroniqueur Samson Yemane.
Publié: 15.10.2024 à 10:16 heures
Le récente décision de la Commission des affaires juridiques de protéger l'immunité du Conseiller aux Etats UDC Marco Chiesa (photo) soulève des questions sur la séparation des pouvoirs et l'impartialité de la justice, estime notre chroniqueur Samson Yemane.
Photo: keystone-sda.ch
Par Samson Yemane, politologue et élu socialiste lausannois

Comment justifier qu'une plainte déposée contre un parti politique pourrait échouer en raison de l'immunité parlementaire d'un-e élu-e? Cette situation suscite la colère de plusieurs associations qui ont initié une action en justice contre les campagnes politiques discriminatoires et racistes de l'UDC en 2023.

Or, le parti semble se retrancher derrière l'immunité parlementaire de son ancien président Marco Chiesa, membre du Conseil des États, pour échapper à toute poursuite judiciaire. En effet, la Commission des affaires juridiques du Conseil des États a refusé mardi de lever cette immunité, invoquant notamment l'argument de la «liberté d'expression». 

Cette décision de la commission soulève plusieurs problèmes. D’abord, elle montre une absence de considération pour les personnes étrangères et racisées, qui souffrent des propos discriminatoires diffusés par l’UDC. Bien que la liberté d'expression soit un droit fondamental, elle a des limites dans une démocratie comme la nôtre. Les propos incitant à la haine, à la violence ou à la discrimination ne sont pas protégés par la liberté d’expression.

La peur et la haine au détriment de la cohésion sociale

Il est important de rappeler que la dignité humaine est un principe clé des droits humains, et cibler librement les personnes étrangères serait ignorer ces limites, d'autant que les discours et actions xénophobes sont strictement interdits (article 261 bis du code pénal). Ce type de campagne, en incitant à la haine, aggrave les tensions sociales et provoque des souffrances psychologiques et physiques chez les personnes visées, renforçant ainsi leur exclusion et stigmatisation.

«
L'UDC semble préférer exploiter la peur et la haine, au détriment de la cohésion sociale et des valeurs fondamentales de notre démocratie.
Samson Yemane, politologue et élu socialiste lausannois
»

Un discours politique responsable – que l'UDC choisit manifestement de mépriser – doit tenir compte des ravages causés par la discrimination et s'efforcer d'unir plutôt que de diviser. Mais hélas l'UDC semble préférer exploiter la peur et la haine, au détriment de la cohésion sociale et des valeurs fondamentales de notre démocratie.

L'UDC doit rendre des comptes

De plus, sur quelle base cette plainte contre l’UDC devrait-elle être classée sous le prétexte de l’immunité parlementaire de Marco Chiesa? Les associations de défense des droits humains ne ciblent pas Marco Chiesa en tant qu'individu, mais bien la campagne du parti.

En clair, c’est l’UDC qui doit rendre des comptes pour ses actions discriminatoires, que ce soit par l’intermédiaire de son ex-président ou de tout autre représentant-e. Il est absurde à ce jour que la justice bernoise soit paralysée par une immunité qui individualise une plainte visant en réalité les pratiques d’un parti entier.


Ce subterfuge ne devrait pas permettre à l’UDC d’échapper à ses responsabilités. Autrement dit, l’immunité parlementaire de cet élu ne doit pas être un passe-droit pour l’UDC pour échapper à la justice.

Une incohérence flagrante!

Par ailleurs, si une plainte est déposée contre un parti politique dont le président ou la présidente n'est pas membre du Parlement fédéral, la justice pourrait alors mener une enquête sans obstacle, puisque cette personne ne bénéficie d'aucune immunité. Une telle situation soulève une incohérence flagrante!

Un autre point de critique majeur réside dans le système même de l'immunité parlementaire. Sans entrer dans le débat sur sa suppression ou pas, il est évident qu’il existe un vrai problème de terme de séparation des pouvoirs.

Actuellement, ce sont les parlementaires eux-mêmes qui décident s’ils doivent lever ou non leur propre immunité face à une convocation judiciaire. Cela pose un sérieux problème d'impartialité: comment peut-on prétendre à une justice équitable quand les élu-e-s sont à la fois juges et parties?

Une commission extraparlementaire pour statuer de l'immunité

Ce mécanisme autoprotecteur mine la confiance des citoyen-ne-s dans nos institutions et nourrit l'idée que les parlementaires sont presque intouchables. Pour ma part, je plaide en faveur de la création d'une commission extraparlementaire compétente et spécialisée, composée d'expert-e-s du domaine, dépourvue de toute implication d'élu-e-s.

Cette commission serait chargée de déterminer, évidemment sur l’initiative de la justice, si la levée de l'immunité d'un-e parlementaire justiciable est nécessaire ou pas. 

Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la