«Nous ne voulons pas de Sylvain Tesson comme parrain du Printemps des poètes» dit une Tribune, co-signée par près de 600 poètes, artistes, éditeurs, libraires, bibliothécaires et acteurs culturels et publiée récemment par Libération.
A y regarder de plus près, l’immense majorité d’entre eux sont de parfaits inconnus, quand ils ne signent pas avec le courage de l’anonymat. Mais là n’est pas la question; que diable viennent-ils reprocher à l’auteur de «la Panthère des neiges»? Une main leste, un cadavre dans le placard de la moralité, un délit que l’on viendrait de percer à jour, un livre raté?
Une «icône réactionnaire»
Non, rien de tout cela. Ils lui reprochent tout simplement d’être une «icône réactionnaire», précisant que la nomination de l’auteur célèbre, «loin d'être contingente, vient renforcer la banalisation et la normalisation de l'extrême droite dans les sphères politique, culturelle, et dans l'ensemble de la société». Les signataires soutiennent sans rire que «la banalisation d’une idéologie réactionnaire incarnée par Sylvain Tesson va à l’encontre de l’extrême vitalité de la poésie revendiquée par le Printemps des poètes».
A l’appui de leur oukase, les signataires font grand cas du fait que Sylvain Tesson aurait préfacé ce qu’ils présentent comme un ouvrage de référence de l’extrême droite, «le Camp des Saints» de Jean Raspail. Il est vrai sujet à polémique, présenté comme une «dystopie raciste sur l’immigration».
Il lui reproche aussi d’avoir la blague irrévérencieuse. Seulement voilà, Tesson n’a jamais préfacé cet ouvrage, mais bien un recueil des récits de voyage («Là-bas, au loin, si loin») de celui qui a été honoré en 2003 du Grand prix de littérature de l'Académie française pour l'ensemble de son œuvre. Quant à ses saillies, toujours libres, parfois provocatrices, elles font précisément sa grandeur et son insoumission.
«Je préfère la liberté à l'égalité»
Son orientation politique? Sylvain Tesson n’a jamais caché être un homme de droite. En 2017, il disait ceci: «Mes parents m'ont éduqué en me répétant que la pire des choses dans la vie était la tartufferie. On ne peut pas faire de beaux discours sur les migrants et enjamber le clochard en bas de chez soi. La gauche meurt de la non-conformité de ses discours et de ses actes. Je ne suis pas non plus un homme de gauche, car je préfère la liberté à l'égalité, l'expérience individuelle à l'expérience collective, le passé à l'avenir. Je m'intéresse à ce qui demeure et non à ce qui n'est pas encore là.»
C’est au fond là que la Tribune fait frémir: d’une orientation politique raisonnable en ce qui concerne Tesson, au filigrane pour le moins léger dans son œuvre, elle construit une exigence déraisonnable. Les gens de lettres devraient-ils être des poupées de cire sans opinion politique? A cette aune, que va-t-on faire des Marguerite Duras, Virginia Woolf et autres Gabriel Garcia Marquez? Dans quel enfer va-t-on remiser les Jean d’Ormesson, Houellebecq et Chateaubriand?
Sont-ils devenus fous?
Si l’interdiction de l’irrévérence est oblitérée par le Printemps des poètes et qu’il sied d’y être sans opinion qui ne soit celle des censeurs, il restera aux bulleurs en herbe et aux rêveurs de tous poils, de s’abreuver à la mauvaise source de la poésie calibrée aux diktats de l’époque et rédigée en langage inclusif; elle sera garantie sans aspérité et ne froissera personne. Elle sera aussi sans émotion et transportera autant que la marche à suivre pour construire un meuble nordique en kit. La dystopie, s’il en est une, c’est sans doute bien celle-là.
Mais, comme un égarement poétique vaut mille mots, voici un extrait du dernier ouvrage de Tesson, «Avec les fées», qui achèvera de vous convaincre de la dangerosité extrême du personnage:
«L'été venait de commencer quand je partis chercher les fées sur la côte atlantique. Je ne crois pas à leur existence. Aucune fille libellule ne volette en tutu au-dessus des fontaines. C'est dommage: les yeux de l'homme moderne ne captent plus de fantasmagories. Au XIIe siècle, le moindre pâtre cheminait au milieu des fantômes. On vivait dans les visions. Un Belge pâle (et très oublié), Maeterlinck, avait dit: 'C'est bien curieux les hommes... Depuis la mort des fées, ils n'y voient plus du tout et ne s'en doutent point.' Le mot fée signifie autre chose. C'est une qualité du réel révélée par une disposition du regard. Il y a une façon d'attraper le monde et d'y déceler le miracle de l'immémorial et de la perfection. Le reflet revenu du soleil sur la mer, le froissement du vent dans les feuilles d'un hêtre, le sang sur la neige et la rosée perlant sur une fourrure de mustélidé : là sont les fées. Elles apparaissent parce qu'on regarde la nature avec déférence. Soudain, un signal. La beauté d'une forme éclate. Je donne le nom de fée à ce jaillissement. Les promontoires de la Galice, de la Bretagne, de la Cornouailles, du pays de Galles, de l'île de Man, de l'Irlande et de l'Ecosse dessinaient un arc. Par voie de mer j'allais relier les miettes de ce déchiquètement. En équilibre sur cette courbe, on était certain de capter le surgissement du merveilleux. Puisque la nuit était tombée sur ce monde de machines et de banquiers, je me donnais trois mois pour essayer d'y voir. Je partais. Avec les fées.»
Tesson, reviens, ils sont devenus fous.