Votations du 13 juin
Loi antiterroriste: plus personne n'est à l'abri?

Le 13 juin, les Suisses voteront sur la loi antiterroriste. Que propose-t-elle? Pourquoi suscite-t-elle des critiques internationales? Blick répond aux questions les plus pressantes.
Publié: 06.06.2021 à 08:50 heures
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Dernière mise à jour: 06.06.2021 à 11:27 heures

En septembre dernier, la terreur a soudainement frappé la Suisse: un islamiste a poignardé à mort un homme à Morges (VD). En novembre, un partisan présumé de l'État islamique a attaqué plusieurs personnes à Lugano (TI). Ces attaques ont provoqué la panique. Mais jusqu'où l'État peut-il agir pour protéger sa population? À quel point les droits fondamentaux des individus peuvent-ils être limités?

Le 13 juin, les électeurs se prononceront en faveur ou contre la loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme ou, en abrégé, la loi antiterroriste. Il s'agit d'une décision impliquant non seulement des vies humaines, mais aussi les droits de l'homme.

Qu'est-ce qui est en jeu?

La loi antiterroriste est destinée à faciliter la lutte contre la menace islamiste, mais aussi contre les extrémistes de gauche et de droite. Une personne est considérée comme une menace s'il existe des indices concrets qu'elle compte commettre un acte terroriste à l'avenir. Afin de pouvoir prendre des mesures à l'encontre des personnes considérées comme dangereuses, la police doit disposer de plus de moyens (même sans procédure pénale).

Avec cette loi, la Suisse changerait la donne: pour la première fois, les autorités pourraient imposer des mesures sévères dès qu'elles disposent «d'indices concrets et récents». La violence, la menace de violence ou les infractions pénales ne seraient plus des conditions préalables à l'intervention de la police puisqu'un soupçon de sa part serait suffisant. Voici les mesures policières qui pourraient être appliquées: interdiction de contact, surveillance électronique, localisation par téléphone portable, interdiction de quitter le pays, obligation de se présenter à un poste de police et assignation à résidence.

Un réexamen de la mesure par un tribunal n'est prévu qu'en cas d'assignation à résidence, qui peut être imposée aux personnes âgées de plus de 15 ans. Les autres mesures de police peuvent être utilisées contre des enfants dès 12 ans.

Pour quelles raisons la loi a-t-elle été créée?

La loi antiterroriste fait partie de la stratégie globale du Conseil fédéral en matière de lutte contre le terrorisme. Cette stratégie a été élaborée en 2015 sous la pression de la menace djihadiste en Europe. Les piliers de la stratégie sont le plan d'action national pour la prévention de la radicalisation et de l'extrémisme violent et la mise en œuvre de la convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme.

Le troisième point essentiel serait la loi antiterroriste, qui viserait à prévenir autant que possible le terrorisme sur le sol suisse. Il en va de même pour l'exportation et le soutien d'activités terroristes depuis la Suisse. Avec cette loi, le Conseil fédéral autour de la ministre de la Justice Karin Keller-Sutter veut donc créer les instruments nécessaires à la répression du terrorisme.

Pour la ministre de la Justice Karin Keller-Sutter, les capacités de la police ne sont pas suffisantes aujourd'hui pour prendre des mesures préventives contre les menaces terroristes.
Photo: KEYSTONE

Que disent le Conseil fédéral et le Parlement?

Pour le Conseil fédéral et la majorité conservatrice du Parlement, une chose est claire: il faut absolument mieux protéger la Suisse contre la menace terroriste. La loi a été adoptée sans heurts par le Parlement lors de la session d'automne 2020.

Le législatif était conscient que les politiciens s'aventuraient sur un terrain délicat avec les mesures policières préventives. Le PS, les Verts et les Vert'libéraux étaient donc contre le projet de loi. Toutefois, les avantages l'ont emporté sur les inconvénients pour l'alliance conservatrice du Centre, du PLR et de l'UDC.

À l'époque, le fait que les mineurs puissent également être concernés par ces mesures avait donné naissance à de vives controverses. La gauche avait demandé un relèvement de la limite d'âge pour prévenir le risque que les enfants soient stigmatisés et criminalisés.

La majorité conservatrice a cependant fait référence aux expériences à l'étranger, selon lesquelles des mineurs sont souvent impliqués dans des attaques terroristes. La ministre de la Justice Keller-Sutter a assuré que l'intérêt supérieur de l'enfant serait pris en compte dans tous les cas.

Pourquoi le peuple vote-t-il maintenant sur la loi?

Deux comités ont déposé un référendum contre la loi en invoquant l'État de droit, car ce texte législatif restreint les droits fondamentaux et les droits de l'homme. Le premier comité référendaire est issu de l'association «Les Ami.e.s de la Constitution», tandis que le second comité «Non à la peine préventive» comprend les Jeunes vert'libéraux, les Jeunes socialistes et les Jeunes Verts. Le Parti Pirate, le Chaos Computer Club et le parti PARAT sont également membres de ce dernier.

Si le référendum a d'abord failli échouer, les opposants à la loi ont reçu une aide précieuse, notamment de la part du PS. En janvier, ils ont ainsi pu soumettre conjointement 141'264 signatures, dont 76'926 déclarées valides.

Que disent les opposants à la loi?

Les opposants craignent qu'en raison du «libellé vague» de la loi, tout citoyen puisse être considéré comme un terroriste potentiel et dénoncent une restriction sévère des droits fondamentaux des individus. Ils considèrent le projet de loi comme une attaque frontale contre l'État de droit. Les mesures vont effectivement au-delà de la prévention. La police pourrait appliquer une punition sans qu'un crime ait été commis ou qu'une condamnation n'ait été prononcée. Il existe également un risque que certains groupes de personnes fassent l'objet d'une suspicion générale en raison de leur origine.

Les mesures préventives conduiraient à un renversement du fardeau de la preuve: la personne accusée devrait prouver qu'elle ne représente aucun danger, ce qui est loin d'être simple voire parfois impossible. Il appartiendrait donc aux seules autorités de décider si l'application d'une mesure est proportionnée.

De plus, des mesures de police pourraient être appliquées à des enfants de plus de 12 ans. La loi viole donc la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. L'État de droit et la protection des droits de l'homme seraient ainsi sacrifiés sur l'autel de la lutte contre le terrorisme, sans que la population ne bénéficie d'une sécurité accrue.

Pourquoi cette loi suscite-t-elle des critiques internationales?

Les experts des Nations Unies mettent en garde contre le fait que cette loi contrevient aux droits de l'homme. Parmi les opposants à cette dernière, on trouve la représentante spéciale des Nations Unies pour les droits de l'homme Fionnuala Ni Aolain. Avec cette loi, la Suisse pourrait devenir un modèle pour les régimes autoritaires (qui pourraient s'en inspirer pour persécuter leurs opposants).

Cette critique est partagée par divers groupes de défense des droits de l'homme: en premier lieu, Amnesty International, mais aussi les Commissaires aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe ou le Réseau suisse des droits de l'enfant, ainsi que plus de 60 professeurs de droit de diverses universités suisses. Avec une loi proposant des mesures proches de celles des dictatures, la Suisse créerait un précédent pour un affaiblissement des droits de l'homme.

Quels sont les arguments des défenseurs de la loi?

Le Conseil fédéral et l'Office fédéral de la police font valoir que plusieurs dizaines d'autres attentats ont eu lieu en Europe depuis les attaques de Paris en 2015. Selon le Service fédéral de renseignement (SRC), la menace terroriste reste élevée en Suisse également. Cependant, la police ne dispose actuellement que de possibilités limitées pour prendre des mesures préventives contre les menaces terroristes. La loi permettrait désormais de combler cette lacune.

«Nous essayons d'identifier ces auteurs autant que possible à l'avance et prévenir ainsi les attaques», avait expliqué Mark Burkhard à Blick. Le président des commandants de la police cantonale comprend qu'il est problématique au regard du principe de l'État de droit de prendre des mesures contre des personnes qui n'ont peut-être pas encore commis de crime. Mais il avait ajouté: «Dans un tel environnement, des mesures sont nécessaires pour restreindre la liberté de mouvement des personnes dangereuses. Si une personne dangereuse est identifiée, l'État doit également avoir les moyens de prendre des mesures à son encontre.»

Un comité composé de l'UDC, du PLR et du Centre s'est formé pour le projet de loi.

Pourquoi le Parlement a-t-il rejeté un nouveau durcissement?

La détention préventive pour les personnes dangereuses a été retirée de la loi par le Parlement au cours des consultations. Elle n'allait ainsi pas assez loin pour l'UDC. Avec une initiative parlementaire, le parti a voulu rendre cela possible dans la dernière ligne droite. Au début du mois de mars, le Conseil des États a toutefois rejeté la proposition. Selon lui, cette mesure aurait une portée trop importante et contreviendrait à la notion d'État de droit.

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