Un drôle de mercredi après-midi s’annonce, pour la Chambre civile du Tribunal d’arrondissement de La Côte, le 1ᵉʳ novembre prochain. Alexandre Benalla, l'ancien sulfureux chargé de mission de l’Elysée, licencié en 2018 — aujourd’hui résident genevois — y sera auditionné comme témoin à cette date, a appris Blick.
En cause: une procédure civile déclenchée en Suisse par une mystérieuse femme d’affaires française, présentée par la presse parisienne comme une proche et une protectrice d’Alexandre Benalla. Elle avait, en 2019, fait l'objet d'un article dans l'hebdomadaire «L'Obs». Le papier relatait son audition lors de l'enquête sur la disparition d'un coffre-fort qui se trouvait à l'Élysée, dans le bureau de Benalla. Elle était alors déjà domiciliée en Suisse, d'où elle opérait une société de conseil active en Afrique.
L'intéressée serait aujourd’hui domiciliée en Terre sainte (VD). C'est donc auprès de la justice vaudoise qu'elle a choisi d'attaquer le magazine français (la société éditrice et deux journalistes) pour «atteinte illicite à la personnalité». Sa demande? La suppression de deux articles en ligne la concernant. Ainsi qu’une réparation de 10’000 francs pour tort moral.
Sarkozy et Villepin parmi les témoins
Contacté, l’avocat de «L’Obs» et des deux journalistes, Me Nicolas Capt, nous a confirmé ces informations, ainsi que la date du 1ᵉʳ novembre pour la première audition de témoins. Alexandre Benalla n'est de loin pas le seul convoqué par le Tribunal de Nyon dans cette affaire.
Pas moins de 18 autres témoins ont été requis par la défense des deux journalistes attaqués. Pour n'en citer que trois: l'ancien président français Nicolas Sarkozy, l'ancien Premier ministre Dominique de Villepin, ou encore l'acteur Gérard Depardieu — tous présentés par l'hebdomadaire comme des familiers de la demanderesse. Des informations déjà révélées par «Le Temps» en 2022.
Le but de tous ces témoignages, qui pourraient conduire les intéressés à être entendus en France par commission rogatoire, comme nous l'a précisé Me Capt? Démontrer l'influence de la Française dans les cercles de pouvoir parisiens, et donc l’intérêt public des articles incriminés de «L’Obs».
Qui est cette femme?
Ces articles affirmaient que la femme d'affaires avait apporté son soutien à Alexandre Benalla en le logeant chez elle à Paris. Alors que l'ancien conseiller fuyait les médias, après la révélation de son comportement problématique lors de la manifestation du 1ᵉʳ mai 2018 à Paris (il avait ceinturé des manifestants, équipé d'un brassard de police... sans être policier).
Le magazine estimait aussi que la demanderesse pourrait détenir «la clé du secret le mieux gardé» de l'affaire Benalla. À savoir la disparition possible d'une partie du contenu d'un coffre-fort déménagé de l'Élysée. Dernier point d'intérêt: le lien fait par «L'Obs» entre cette femme, Alexandre Benalla et le sulfureux intermédiaire franco-algérien longtemps basé à Genève, Alexandre Djouhri. Le nom de ce dernier personnage est remonté à la surface ces derniers jours, avec la nouvelle mise en examen de l'ex-président Nicolas Sarkozy (dans un prolongement de l'affaire du financement libyen de sa campagne de 2007).
Décrite par l'hebdomadaire mis en cause comme une «habituée des milieux de la Françafrique et des cercles sarkozystes», l’énigmatique business woman française nie en bloc ces soupçons et ces allégations. D'où la procédure civile contre «L'Obs», lancée en Suisse.
Elle reproche pour sa part au média d’avoir publié «un portrait caricatural tendant à la dépeindre comme une personne méprisable tout en la sortant brutalement d’un anonymat essentiel à son activité professionnelle et à sa tranquillité», écrivait «Le Temps» l’année dernière. Elle accuse également l'hebdomadaire d’avoir publié son adresse privée à Paris.
Pourquoi la Suisse?
Reste la question juridique. Pourquoi lancer une procédure en Suisse, quand tout pointe vers l’Hexagone? C’est l’une des questions que soulève volontiers «L’Obs». Contactée, l’une des deux journalistes attaqués bouillonne au bout du fil. Pour elle, toute cette histoire est «une affaire absolument franco-française», qui n’a rien à faire entre les mains de la justice suisse.
Elle précise: «J’ai toujours respecté les règles en vigueur dans mon pays. Le choix du Tribunal de Nyon est, à mon avis, difficilement autre chose qu’un choix d’opportunité de la part de la demanderesse. D’autant plus qu’il n’y a pas d’équivalent, pour une telle procédure civile, en France.»
La journaliste défend l’intérêt public de son article attaqué: «Cette femme apparaît dans plusieurs dossiers judiciaires que je suis. Son nom est à la confluence de nombre d’affaires d’État, dont l’affaire Benalla. Elle est très proche des cercles de pouvoir français. Dans mon article, je m’interroge simplement sur ce personnage. Sans dire qu’il faille lui reprocher quoi que ce soit.»
Une chose est certaine: si elle se confirme, la présence d'Alexandre Benalla à Nyon le 1ᵉʳ novembre va attirer les projecteurs. Pour rappel, l’ex-chargé de mission de l’Élysée a été, de nouveau, condamné en appel à Paris le 29 septembre dernier à trois ans d’emprisonnement, dont un an ferme aménageable. Cela dans le cadre de l'affaire des violences contre des manifestants lors du rassemblement du 1ᵉʳ mai 2018.
Contactée, l'avocate de la partie demanderesse, Me Camille Haab, n'a pas répondu à nos sollicitations.