Une aide inattendue a profité à Baume-Schneider
Comment le PLR a voulu affaiblir le PS

C'est historique: une Jurassienne entre au gouvernement. La surprise «EBS», qui a pris de court jusqu'aux plus fins analystes de la Berne fédérale, s'explique par la personnalité de la citoyenne des Breuleux, mais aussi (surtout?) par un jeu politique. Notre analyse.
Publié: 07.12.2022 à 22:21 heures
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Dernière mise à jour: 07.12.2022 à 22:46 heures
Tout un canton exulte: le Jura se réjouit de l'élection de sa première conseillère fédérale. Grâce au PLR?
Photo: keystone-sda.ch
Pascal Tischhauser

Souvent, observer les visages est le meilleur moyen de récolter des indices. Un jour d'élection au Conseil fédéral, le fait que plusieurs présidents de parti fassent la moue à l'annonce d'un résultat est révélateur. Ce fut le cas ce mercredi, lorsque le Grison Martin Candinas a informé en romanche l'Assemblée fédérale de l'élection d'Elisabeth Baume-Schneider.

Une surprise de taille, alors qu'Eva Herzog était affublée du qualificatif de «favorite» depuis l'annonce de sa volonté d'accéder au gouvernement. C'est pourtant EBS, que la Suisse alémanique ne connaît que depuis un petit mois, qui a pris place sur la photo officielle, tandis que la malheureuse Bâloise devait avaler une deuxième couleuvre, douze ans après avoir perdu contre une certaine Simonetta Sommaruga.

Les visages, donc, n'ont pas pu cacher leur surprise. Malgré sa magnifique campagne, la Jurassienne ne semblait pas vraiment en mesure de rassembler suffisamment de suffrages pour obtenir l'ambitieuse majorité absolue, fixée à 123 bulletins. «Est élue avec 123 voix: Elisabeth Baume-Schneider», a pourtant clamé Martin Candinas.

Toutes les analyses le disaient: EBS avait trop de vents contraires pour combler le retard pris «à l'allumage» face à sa camarade de parti et de chambre fédérale. Elle est Romande, alors que le siège est alémanique. Elle représente les régions périphériques, alors que le Conseil fédéral manque cruellement d'ambassadeurs des villes (Karin Keller Sutter est la seule et vient de Wil, 20'000 habitants). «Nous avons un Conseil fédéral en bottes», ont critiqué des parlementaires irrités.

De plus, Elisabeth Baume-Schneider vient du canton emblématique des «losers» de la péréquation financière: aucun ne reçoit davantage d'argent que le pauvre Jura. Alors, quand en face d'elle se présente la directrice des Finances de l'élève modèle bâlois, qui s'est de plus engagée en faveur de la Réforme de l'imposition des entreprises en s'opposant à la gauche...

«Tout s'explique par le PLR»

Le Parlement préfère avoir des conseillers fédéraux agréables et accessibles, justifiait-on dans les Pas perdus pour expliquer le triomphe d'Elisabeth Baume-Schneider, pendant que la Breulotière allait entonner la Rauracienne sur la Place fédérale.

Certes, sur le plan de l'enthousiasme, il n'y avait pas photo entre la joie de vivre communicative d'EBS et l'austérité certaine d'Eva Herzog. Rajoutez à cela l'éventualité d'une solidarité romande, le côté agricole de cette fille de paysans de l'Oberland bernois qui possède des moutons Nez noir et vous expliquerez une partie de son succès.

Fair-play, Eva Herzog a félicité sa camarade de parti, malgré une deuxième défaite cruelle en douze ans.
Photo: Keystone

Mais est-ce suffisant pour le cataclysme de ce mercredi matin? «Cela dépend, si l'on prend en compte la volte-face du PLR», souffle un stratège du parti. C'est-à-dire? Les Libéraux-radicaux auraient-ils changé d'avis, eux qui ne voulaient pas, dans un premier temps, ne serait-ce qu'auditionner la Jurassienne?

Oui, c'est ce que montre une enquête de Blick: aux yeux du PLR, Elisabeth Baume-Schneider est soudain devenue une option crédible, non seulement pour une période de transition, mais peut-être plus que cela. En voilà une surprise, qui explique largement l'autre.

«Ce n'était pas une recommandation»

Si l'on veut aider la cause du PLR, il faut voter Baume-Schneider. C'est presque un alexandrin, et c'est surtout ce qu'aurait déclaré le président du parti, Thierry Burkart, au groupe parlementaire. Aux aurores, l'Argovien aurait livré l'analyse suivante: le fait de ne plus avoir de représentant alémanique ni des villes au Conseil fédéral, deux cases que cochait la candidate Herzog, nuirait la cause du Parti socialiste.

Thierry Burkart contredit cette affirmation avec véhémence... tout en la confirmant indirectement. Il aurait dit trois choses, selon lui: premièrement, chaque membre du groupe parlementaire est libre de choisir la personne de son choix. Deuxièmement, il ne faut choisir que parmi les candidats officiels (candidates, pour le PS).

Le PLR aurait fait basculer les choses ce mercredi, selon une enquête de Blick.
Photo: Zamir Loshi

Et troisièmement? L'homme fort du PLR a détaillé, explique-t-il à Blick, quelles seraient les conséquences de l'élection de Mme Herzog et celles de Mme Baume-Schneider. «J'ai notamment montré que la présence de deux représentants du PS romand au Conseil fédéral ne serait pas bénéfique pour les socialistes.»

Il ne s'agissait en aucun cas d'une recommandation de vote, insiste Thierry Burkart, mais d'une simple évaluation. De là à écrire que les membres du groupe PLR ont pris l'analyse pour argent comptant...

«KKS» à la manœuvre?

Selon des bruits des nombreux couloirs du Palais fédéral, Thierry Burkart n'aurait pas été seul à la manœuvre: cette «évaluation» aurait pour source une certaine... Karin Keller-Sutter. La proximité du président du PLR avec sa conseillère fédérale n'est un secret pour personne. Il est également connu que «KKS», comme on la surnomme à Berne, veut absolument diriger le Département des finances (DFF).

Thierry Burkart et Karin Keller-Sutter ne voulaient pas d'une autre femme puissante au Conseil fédéral.
Photo: Keystone

Ce qui expliquerait qu'on ait soudain voulu barrer la route de l'ancienne directrice des finances à succès qu'est Eva Herzog. Karin Keller-Sutter n'aurait, en outre, pas souhaité la présence d'une autre femme de poigne au Conseil fédéral, qui lui aurait disputé sa position de leader au sein du collège gouvernemental. Plusieurs personnes d'ordinaire très bien informées le supputent.

Avec ces éléments, le triomphe de la surprise Elisabeth Baume-Schneider est vite moins surprenant. Et cela explique aussi la jovialité de Thierry Burkart sitôt la nomination des deux nouveaux membres du Conseil fédéral actée. Le visage de l'Argovien tranchait avec celui de Mattea Meyer et de Cédric Wermuth, les deux coprésidents du PS, mais aussi ceux de Gerhard Pfister (Centre) et Jürg Grossen (Vert'libéraux), dont le parti était le seul à officiellement rouler pour Herzog et qui est d'habitude toujours de bonne humeur.

Le jeu en vaut-il la chandelle?

Si cette analyse dit vrai, l'enjeu est de taille pour le PLR, qui s'était publiquement opposé à Elisabeth Baume-Schneider. Être la formation qui a soudain propulsé la Jurassienne au Conseil fédéral pourrait nuire à la crédibilité du parti. Le fait, en outre, que ce soit le «parti de l'économie» qui s'engage contre la représentante d'un moteur de l'économie helvétique et un donateur à la péréquation financière est également loin d'être anodin. À Bâle, qui attend un représentant au gouvernement depuis un demi-siècle, la frustration est énorme.

Reste à savoir si la manœuvre du PLR a valu la peine. Car Elisabeth Baume-Schneider n'est pas une conseillère fédérale alibi: elle a les compétences pour enchanter la population, tout comme elle l'a fait avec les parlementaires lors des auditions.

Et si la sympathique Baume-Schneider damait le pion de la stratégie PLR?
Photo: Keystone

Mattea Meyer et Cédric Wermuth peuvent se consoler en se disant qu'ils bénéficient d'une ministre qui fait office de sympathique «mère à la nation». Mais les élus de l'ancien PDC peuvent témoigner de l'expérience Doris Leuthard: avoir une ministre sympathique aux yeux de la population n'assure pas le succès du parti. La formation qui est devenue le Centre n'a jamais pu surfer sur la vague Leuthard.

Plutôt qu'une chouchou de la population, Jürg Grossen et Gerhard Pfister avaient besoin d'une conseillère fédérale forte, qui marque le gouvernement de son empreinte. Et aussi d'une conseillère fédérale qui sache tenir tête à la puissante Karin Keller-Sutter.

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