Après deux ans d'âpres négociations, les syndicats et le patronat s'étaient mis d'accord lors de l'été 2019 sur la réforme de la prévoyance professionnelle: le taux de conversion devait baisser, certes, mais il y aurait des suppléments de rente.
Ces derniers auraient dû être financés par une retenue sur le salaire de 0,5%, y compris sur celui les personnes fortunées. C'est ainsi ficelé que le Conseil fédéral avait envoyé le modèle au Parlement.
La participation solidaire des plus fortunés disparaît
Or, quatre ans plus tard, le compromis qu'avaient trouvé syndicats et patrons a été abandonné. Le taux de conversion doit désormais passer de 6,8 à 6%, et les suppléments ne seront accordés… qu'à la moitié des retraités!
Qui plus est pour seulement quinze années de transition. Autre changement amené par le Parlement: les cotisations salariales augmentent uniquement pour ceux ayant un revenu annuel inférieur à 170'000 francs. En d'autres termes, la participation solidaire des plus fortunés disparaît.
La ligne qu'a adoptée l'Assemblée fédérale a profondément déçu les partenaires sociaux concernés. Si les employeurs ne veulent même plus se prononcer sur le projet, l'Union syndicale suisse n'a, elle, cependant pas tardé à réagir. Elle a annoncé le lancement d'un référendum, avant même que le Conseil national ne discute pour la deuxième et dernière fois du projet lors de la session de printemps qui commence lundi 27 février.
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«Les bourgeois ne veulent pas que les riches contribuent»
«La réforme de la prévoyance professionnelle est un gâchis, s'énerve le président de l'Union syndicale suisse (USS) Pierre-Yves Maillard. En 2019, tout le monde était d'accord pour dire qu'une baisse du taux de conversion ne devait pas entraîner de réduction des prestations.» Le socialiste estime que le Parlement a fait voler en éclats le compromis. «Les bourgeois ne veulent pas que les riches contribuent. C'est pourquoi tant de rentes baissent».
Qu'est-ce que cela signifie concrètement? Gabriela Medici, spécialiste de la prévoyance à l'USS, a fait le calcul: «En moyenne, les assurés perdent jusqu'à 200 francs par personne et par mois avec la réforme de la LPP. Les pertes de rentes sont les plus élevées pour les personnes qui ne font justement plus partie de la génération de transition.»
Il y a toutefois une différence majeure entre le projet du Conseil des États et le projet du Conseil national: si le modèle du premier venait à s'imposer, ce sont tous les revenus mensuels dès 4600 francs qui seront concernés, alors que pour le second, ce sont les revenus dès 4200 francs qui sont visés. Selon Gabriela Medici, cela correspond à peu près à «la moitié des femmes et les trois quarts des hommes».
L'inflation n'est pas prise en compte
À cela s'ajoute le fait que l'inflation ne sera pas compensée dans le deuxième pilier. Conséquence: «Mesurée aux dépenses de consommation, une personne seule de plus de 65 ans risque de perdre 300 francs de pouvoir d'achat d'ici à 2024, explique Gabriela Medici. Finalement, la perte de rente peut atteindre les 500 francs par personne et par mois.»
Selon la spécialiste en prévoyance, le fait que seule la moitié des retraités soit désormais indemnisée par des suppléments pèse d'autant plus lourd dans la balance. «Ainsi, seules les rentes d'à peine 1000 francs par mois sont protégées.» Or, ce sont précisément ces personnes qui dépendent généralement des prestations complémentaires à la retraite.
Ces prestations devraient d'ailleurs être déduites sur les montants des suppléments. «Ces assurés paient donc des cotisations salariales plus élevées, mais n'ont pas plus d'argent à la retraite. Leur situation se détériore. Les femmes sont particulièrement touchées», pointe la spécialiste.
La réforme de la LPP manque ainsi clairement l'objectif d'abaisser le taux de conversion sans réduire les rentes. «Elle apporte néanmoins des améliorations pour les travailleurs à temps partiel et les bas salaires», souligne le conseiller aux États UDC Hannes Germann.
Une votation populaire prévue en mars 2024
Cette nouvelle modification de la LPP sera difficile à défendre par les partis de droite. Les changements prévus impliquent des cotisations plus élevées pour les employeurs des branches à bas salaires.
Pour Hannes Germann, ces acteurs doivent cependant absolument être pris en compte, au risque de provoquer «à la fois la gauche et la branche des bas salaires au point de créer une alliance contre-nature». Auquel cas «la réforme n'aura probablement aucune chance dans les urnes», conclut-il.
Le scrutin aura lieu quoi qu'il arrive. «Le référendum est fixé», confirme Pierre-Yves Maillard. La votation aura vraisemblablement lieu en mars 2024. Le même jour, le peuple se prononcera également sur l'initiative du PS pour une 13e rente AVS. Pour Pierre-Yves Maillard, les deux projets sont liés: «Au lieu de payer trois milliards par an pour une baisse des rentes dans la LPP, nous pouvons décider d'une 13e rente AVS pour tous.»
L'affaire doit prendre fin
Un non à la réforme de la LPP ne signifierait toutefois rien de bon pour les jeunes, assure Hannes Germann. «Si nous ne changeons rien, les personnes qui gagnent bien leur vie continueront à prendre l'argent de la prévoyance des générations futures dans le pot commun.»
Même le conseiller aux États UDC ne défend plus la situation avec zèle. «Nous aurions mieux fait de laisser de côté la baisse du taux de conversion pour la génération de transition et de nous concentrer sur les mesures en faveur des travailleurs à temps partiel et des bas salaires. Il y a en effet des majorités claires pour cela.»
Les années de conflit autour de la réforme du deuxième pilier ont laissé des traces. Le seul point qui semble désormais faire l'unanimité à Berne est le suivant: l'affaire doit prendre fin, coûte que coûte.