Mattea Meyer, coprésidente du Parti socialiste (PS), et Andri Silberschmidt, conseiller national du Parti libéral-radical (PLR) sont habillés pareil lorsqu'ils pénètrent dans la rédaction de Blick. Mais le style vestimentaire est le seul point qu'ils aient en commun.
Et pour cause: les deux élus ont des idées très différentes en ce qui concerne les prochaines votations du 3 mars prochain. Les Suisses se prononceront sur l'initiative pour une 13e rente AVS et sur l'initiative sur les rentes des jeunes libéraux-radicaux. Fondamentalement opposés sur la question, les deux politiques se livrent à un débat sur l'AVS pour Blick.
Mattea Meyer, Andri Silberschmidt, les retraités n'ont jamais été aussi bien lotis en ce moment. La revendication d'une 13e rente AVS semble un peu de trop dans le tableau.
Mattea Meyer: Pourtant, les gens que je rencontre me tiennent un tout autre discours: les primes d'assurance maladie et les loyers explosent, les prix des denrées alimentaires augmentent. Les gens sont indirectement privés d'une rente mensuelle entière. Nous avons absolument besoin d'une 13e rente AVS.
Andri Silberschmidt: Le système social actuel est fait pour garantir le pouvoir d'achat à la retraite. Grâce aux prestations complémentaires (PC), chaque personne peut vieillir dans la dignité en Suisse. Si l'on s'intéresse au groupe de personnes qui est le plus touché par les problèmes financiers, on remarque qu'il s'agit avant tout des jeunes et des mères et pères élevant seuls leurs enfants. Nous devrions plutôt se concentrer sur les domaines où le besoin d'agir est le plus urgent.
Pourtant, le Parlement vient de décider que les PC seraient réduites pour de nombreux retraités.
Andri Silberschmidt: Nous avons adapté la base de calcul de manière que les retraités très fortunés ne touchent plus ces prestations complémentaires. Cette réforme n'a pas été contestée au Parlement. D'ailleurs, Mattea Meyer elle-même n'y était pas opposée.
Mattea Meyer: Je me suis abstenue, en effet, parce que la révision apportait certaines améliorations, notamment en ce qui concerne les loyers maximaux. Mais le fait est que l'on économise 400 millions de francs sur les PC se fait au détriment des bénéficiaires. Certaines personnes reçoivent plusieurs centaines de francs de moins depuis le début de l'année. Sans la 13e rente AVS, il n'y aura pas de rentes plus élevées dans un avenir proche.
Andri Silberschmidt: L'AVS a augmenté ces dernières années, même avec un renchérissement négatif. Son pouvoir d'achat n'a cessé d'augmenter. Quelqu'un devra payer pour cette 13e rente. Peu importe comment: au final, ce sont les plus jeunes qui en feront les frais. C'est une décision antisociale, car la génération la plus âgée est, en moyenne, la plus fortunée.
Mattea Meyer: Monter les familles et les jeunes contre les retraités n'apportera rien. L'AVS est le moyen le plus économique et le plus efficace d'obtenir de bonnes rentes. Les jeunes en profiteront aussi. Eux aussi deviendront vieux un jour.
Opposé à une 13e rente AVS, le Conseil national soutient l'alternative des Vert'libéraux qui prévoit un milliard de francs pour les retraités les plus défavorisés.
Mattea Meyer: C'est une manœuvre de diversion bon marché dans la campagne de votation. Si les bourgeois voulaient vraiment soutenir les personnes ayant une faible retraite, ils auraient eu la possibilité de faire une contre-proposition. Une telle proposition a été rejetée en commission.
Andri Silberschmidt: Nous avons donné au Conseil fédéral le mandat d'apporter une aide ciblée là où elle est nécessaire. Mais il doit trouver une contrepartie financière. Nous ne pouvons pas simplement dépenser un milliard de plus. Pour vous, la gauche, il ne s'agit pas seulement des bas revenus: vous exigez 5 milliards de francs supplémentaires de redistribution au détriment de la population active.
La question de savoir comment une 13e rente AVS sera financée revient toujours sur la table.
Mattea Meyer: L'AVS est systématiquement dénigrée par les bourgeois, alors qu'elle repose sur des bases stables, à hauteur de 50 milliards de francs actuellement. Elle enregistrera des excédents au cours des prochaines années. D'ici 2030, elle accumulera une réserve record de 67 milliards de francs.
Andri Silberschmidt : Ce qui est déterminant, c'est de savoir si l'AVS dépense plus d'argent qu'elle n'en gagne à long terme. Il manquera 100 milliards de francs à l'AVS d'ici 2050. Dans quelques années déjà, les comptes basculeront dans le rouge. Dire aujourd'hui que l'AVS est stable, c'est faire preuve d'une négligence grossière pour les générations futures qui devront payer toutes ces dettes.
Mattea Meyer: Il est important que l'AVS soit financée de manière solidaire. Pour la 13e rente AVS, il faut 0,4% de salaire de la part des employeurs et des employés. Un banquier comme Sergio Ermotti verse ainsi environ 4000 francs supplémentaires par mois sur un salaire d'un million, un électricien avec 6000 francs seulement 24 francs. En contrepartie, tous deux recevront plus tard une rente mensuelle d'environ 200 francs. Les millionnaires n'ont effectivement pas besoin de l'AVS, mais l'AVS a besoin des millionnaires. Vous, en revanche, vous voulez que tout le monde travaille plus longtemps.
Andri Silberschmidt: Ce calcul n'est qu'à moitié vrai, puisqu'il ne tient pas compte du fait que l'AVS promet déjà à l'heure actuelle plus de rentes que le financement n'en assure. Pour financer le système actuel avec la 13e rente AVS, il faudrait, selon le Conseil fédéral, des taux de TVA de 11,5%. Le pouvoir d'achat de la classe moyenne serait alors massivement réduit.
La gauche veut financer l'AVS par de nouvelles recettes supplémentaires, tandis que l'initiative sur les retraites souhaite le faire par un relèvement de l'âge de la retraite. Pourquoi ne pas accorder aux personnes de 65 ans leur retraite tant méritée?
Andri Silberschmidt: J'accorde à chacun sa retraite! Il y a des gens qui ne peuvent pas travailler plus longtemps physiquement. Ils pourront prendre une retraite anticipée dans la mise en œuvre de l'initiative. Mais pour 80% de la population, travailler un an de plus est faisable. C'est bien mieux que de payer toujours plus de taxes pendant des décennies. C'est un compromis social!
Mattea Meyer: Si votre idée avait été introduite dans les années 70, les gens devraient aujourd'hui travailler jusqu'à 70 ans, voire plus. La question est de savoir qui devra travailler plus longtemps avec votre solution. Ce sont ceux qui ne peuvent pas se permettre de prendre une retraite anticipée: la vendeuse, l'employée de la crèche, le personnel soignant. En revanche, les personnes qui gagnent bien leur vie, comme les banquiers par exemple, sont ceux qui arrêtent de travailler plus tôt, simplement parce qu'ils ont les moyens de le faire.
Andri Silberschmidt: La retraite anticipée sera également plus chère pour ces personnes si l'âge de la retraite augmente. D'ailleurs, le nombre de retraites anticipées est en baisse. De nombreuses personnes travaillent déjà au-delà de l'âge ordinaire de la retraite. Le marché du travail est adapté pour les travailleurs âgés!
Si les gens peuvent déjà travailler plus longtemps de leur plein gré, pourquoi faut-il en faire une obligation?
Andri Silberschmidt : Parce que sinon, l'AVS aura un trou de 100 milliards dans ses caisses. C'est trois fois plus que ce que nous avons dépensé pour la pandémie du Covid. Et quatre fois plus que ce que nous a coûté la NLFA (ndlr: La Nouvelle ligne ferroviaire à travers les Alpes). Nous ne pouvons pas laisser l'œuvre sociale la plus importante de Suisse au bon vouloir de la population.
Mattea Meyer: Ceux qui veulent travailler plus longtemps peuvent le faire. Contraindre les gens à le faire est une chose complétement différente.
Andri Silberschmidt: De nombreux pays autour de nous ont déjà augmenté l'âge de la retraite. En Suisse, nous nous mettons le doigt dans l'œil si nous pensons être un îlot de bonheur ou être les seuls à pouvoir prendre notre retraite à 65 ans. Nous courons à la perte de notre prospérité actuelle.
Mattea Meyer: Si l'on regarde l'âge effectif de la retraite dans les pays voisins, il est plus bas qu'en Suisse! Certains pays bénéficient déjà une 13e rente. Il ne s'agit pas de faire de nous un îlot de bonheur, mais de permettre aux personnes qui ont largement contribué à la prospérité de la Suisse de profiter d'une retraite digne, sans angoisse existentielle.
Voici une proposition conciliante pour finir: voter deux fois oui le 3 mars. Alors, deal?
Mattea Meyer: (rires) Je ne pourrai pas franchir le pas.
Silberschmidt : A long terme, soit dans quelques décennies, une 13e rente AVS sera une option. Mais nous devons d'abord régler nos problèmes financiers, et cela se fera en augmentant l'âge de la retraite.
