Trois retraitées racontent
«Ma retraite me permet de survivre, mais pas de vivre»

Parmi les personnes âgées, les femmes sont deux fois plus touchées par la pauvreté que les hommes. Trois d'entre elles racontent leur quotidien induit par une faible pension et indiquent ce qu'elles voteront en mars.
Publié: 05.02.2024 à 11:37 heures
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Dernière mise à jour: 05.02.2024 à 12:26 heures
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Malgré les prestations complémentaires qu'elle touche, il ne restait que 7 francs à Esther Huwiler (71 ans) fin janvier.
Photo: Thomas Meier
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Lisa Aeschlimann et Cécile Rey

Esther Huwiler est assise dans son appartement de 2,5 pièces, sobre et bien rangé, à Zofingen, dans le canton d'Argovie. La table est dressée. Cela fait longtemps qu'elle n'a pas eu de visite, nous affirme la femme de 71 ans en souriant. Ancienne comptable, mère d'un fils, elle vit chaque mois avec 2195 francs de rente AVS. Comme cela ne suffit pas, elle reçoit 720 francs de prestations complémentaires (PC).

Son loyer est de 1348 francs par mois et ses impôts s'élèvent à 200 francs, auxquels s'ajoutent les frais de caisse maladie, les charges, ses assurances et ses divers abonnements. Fin janvier, il lui restait 7 francs. «Ma rente AVS et mes PC suffisent pour survivre, mais pas pour vivre», affirme-t-elle. Il lui manque de l'argent pour sortir, pour offrir des cadeaux à ses proches ou pour cuisiner des repas spéciaux en période de fête. Même un voyage au Tessin, son plus grand souhait, serait trop cher pour elle. 

De nombreuses personnes âgées en Suisse sont dans le même cas qu'Esther. Un retraité sur cinq est pauvre ou menacé de pauvreté. Ces personnes disposent de moins de 2500 francs par mois. Avec 17,7%, les femmes sont presque deux fois plus touchées par cette pauvreté que les hommes (9,9%).

«Lorsque des amies me demandaient si j'allais au cinéma ou au restaurant, j'avais toujours des excuses prêtes, car j'étais gênée de dire que je ne pouvais pas payer», raconte Esther. Elle a ainsi perdu de nombreux contacts. Le seul luxe qu'elle s'accorde est son chien Timmy, un bâtard de huit ans originaire de Sardaigne, qu'elle a sauvé du centre d'abattage. «Sans lui, je ne serais probablement plus en vie.»

Le fait que les femmes aient moins d'argent à disposition lorsqu'elles sont âgées est immanquablement lié aux stéréotypes de genres. Aujourd'hui encore, les femmes assument la majeure partie de l'éducation des enfants, elles gagnent moins que les hommes et travaillent à des taux inférieurs. Les conséquences arrivent tôt ou tard: beaucoup de femmes reçoivent peu, voire pas du tout, de deuxième pilier. Les hommes, en revanche, n'ont aucun désavantage à craindre lorsqu'ils fondent une famille. Selon l'Union syndicale, les hommes avec enfants ont même une rente plus élevée que les hommes sans enfants.

«Les hommes ont un autre confort»

Esther poursuit: «Lorsque mon fils est venu au monde il y a bientôt 50 ans, je suis restée à la maison pour l'élever. C'était comme ça à l'époque. Mon ex-mari et moi nous sommes séparés sept ans plus tard. C'était dur.» Elle a alors trouvé de petits boulots, dans le service ou le nettoyage. «Après le divorce, j'ai reçu une pension alimentaire. Je n'ai appris que bien plus tard ce qu'étaient une caisse de pension et un troisième pilier. Je n'ai ni l'un ni l'autre. Les hommes qui ont toujours travaillé ont un autre confort financier.»

La pension d'Helen Fischer ne lui suffit pas non plus pour vivre. La femme de 66 ans reçoit 1640 francs par mois de l'AVS. Son appartement lui coûte 750 francs, auxquels s'ajoutent 150 francs de charges. Elle ne vit en Thurgovie qu'en raison du coût de la vie, qui y est moins élevés. À la fin du mois, il ne lui reste rien. Pas question de prendre des vacances ou d'aller manger dehors. Elle se rend même chez le coiffeur en Allemagne. «Je ressens extrêmement le renchérissement. Depuis peu, j'ai une carte Caritas. Mais le marché le plus proche est à Winterthour... et l'essence est chère», déplore-t-elle.

La pension d'Helen Fischer ne lui suffit pas pour vivre. C'est pourquoi cette femme de 66 ans continue à travailler comme aide-soignante, payée à l'heure.
Photo: Thomas Meier

Helen n'a pas d'enfants et a toujours travaillé, dans une agence de voyage, ou en tant qu'assistante personnelle. Comme elle a parfois travaillé à l'étranger, elle ne reçoit toutefois pas la totalité de sa rente AVS. Elle n'a pas de troisième pilier. En 2019, cette Zurichoise d'origine a émigré à Madère et s'est fait verser sa caisse de pension de 279'000 francs. Elle souhaitait se mettre à son compte, mais cela n'a pas fonctionné.

En mai dernier, elle est donc revenue en Suisse pour des raisons de santé. Elle doit bientôt se faire opérer de la hanche et a donc demandé des PC. Mais elle n'en recevra pas car, selon les autorités, elle a dépensé trop d'argent à l'étranger. Elle a fait recours contre cette décision.

Puisque l'argent lui manque, elle doit continuer à travailler. À son âge, ce n'est pas une mince affaire de trouver un emploi: «J'ai cherché pendant six mois, j'ai envoyé 25 candidatures, je n'ai reçu que des réponses négatives», rapporte-t-elle. Un poste chez Securitas, par exemple, n'était pas envisageable à cause de sa hanche. Désormais, elle soigne et s'occupe de personnes âgées à domicile pour une entreprise privée. «C'est serré. Je gagne 21 francs de l'heure et l'essence n'est pas payée», indique Helen, qui ne sait pas combien de temps elle pourra encore faire ce travail.

Gabrielle Lauenstein, 80 ans, a, elle aussi, travaillé toute sa vie et même au-delà de l'âge ordinaire de la retraite. «Je me suis fait payer l'AVS à l'avance à 62 ans. J'étais indépendante et je n'étais pas toujours sûre d'avoir suffisamment de revenus. J'ai pris ma retraite définitive à 68 ans et j'ai passé les dix années suivantes à Majorque. Ma famille et de nombreux amis y vivent, c'est ma deuxième patrie», explique la Saint-Galloise. 

«J'ai commencé à avoir des craintes existentielles»

En 2018, elle est revenue en Suisse. «Mon AVS ne s'élevait alors qu'à 1700 francs et Majorque devenait de plus en plus chère. J'ai commencé à avoir des angoisses existentielles.» De retour en Suisse, elle a à nouveau demandé des PC. «Je suis très reconnaissante de les recevoir», exprime-t-elle. Elle dispose ainsi de 3050 francs par mois. Son loyer s'élève à 1740 francs. À cela s'ajoutent 210 francs de téléphone et de télévision, 45 francs pour l'électricité et 439 francs pour la caisse maladie privée.

Gabrielle dépense peu pour son alimentation. Une fois par mois, elle s'offre toutefois une visite chez le coiffeur pour 44 francs. «C'est important pour mon bien-être», indique-t-elle. Parallèlement, elle essaie de gagner un peu d'argent en donnant des conseils nutritionnels. Mais le chiffre d'affaires est faible. «A 80 ans, il est difficile de trouver des clients quand on est majoritairement à la maison.»

Ce qui exaspère le plus la Saint-Galloise, c'est que sa rente AVS n'a augmenté que de 70 francs au cours des 20 dernières années. «C'est ridicule avec un tel renchérissement», estime-t-elle. Elle sait toutefois que de nombreuses personnes vivent moins bien qu'elle. Son argent lui suffit tout juste pour vivre. Malgré tout, elle est malheureuse ici en Suisse: «Ma famille et mes amis espagnols me manquent.» Son grand rêve est de pouvoir retourner vivre à Majorque un jour.

Gabrielle et Helen voteront ainsi toutes deux oui le 3 mars. «La pauvreté en Suisse est réelle. Les opposants l'ignorent. Tout le monde doit pouvoir vivre dignement jusqu'à la fin de sa vie. Avec une 13e rente AVS, j'aurais plus d'air et je pourrais peut-être même arrêter de travailler», affirme Helen.

Gabrielle dit s'inquiéter pour les retraités qui ont encore moins d'argent à disposition. «Que feront-ils si l'initiative est rejetée?» 165 francs de plus par mois l'aideraient à payer ses assurances et ses cotisations annuelles, qui seront dues à partir de mars, sans avoir à payer par tranches.

Pour Esther aussi, une 13e rente serait un coup de pouce bienvenu. Au début, elle était sûre de voter oui. Mais depuis, elle a des doutes: «Pourquoi tout le monde doit-il recevoir plus et pas simplement les 20% qui en ont besoin? Ainsi, le financement serait gérable, sans que les jeunes voient leurs charges salariales augmenter ou que les plus âgés doivent travailler une année de plus.»

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