Place financière à terre
«Le secteur bancaire incarne depuis des années tout ce qui ne va plus en Suisse»

François Garçon est connu, en France, pour défendre la Suisse et son modèle dans ses livres. Face à la débâcle de Credit Suisse, son jugement est clair: la place financière helvétique est le pire secteur du pays en termes de gouvernance.
Publié: 20.03.2023 à 16:34 heures
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François Garçon est un universitaire basé à Paris. Ses livres portent sur le modèle suisse, qu'il défend face aux difficultés récurrentes de la France.
Photo: Richard Werly
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Richard WerlyJournaliste Blick

François Garçon est un défenseur chevronné du modèle suisse. Ses livres, tous consacrés à l’excellence helvétique par rapport aux défaillances françaises, contribuent depuis des années à l’attractivité de la Confédération dans l’Hexagone. Or là, rien ne va plus. Credit Suisse est à terre. Et si cet universitaire, ancien enseignant à l’École polytechnique de Paris, n’avait rien compris?

Je vais te le dire franchement: à voir la dégringolade de Credit Suisse, tes livres me paraissent assez trompeurs. Tu nous as vendu une Suisse parfaite. Or, on est loin du compte…
Tu te trompes. Relis mes livres. À chaque fois, j’ai bien pris soin d’émettre de grandes réserves sur un secteur: les banques et la place financière suisse. Là, je n’ai jamais retrouvé le niveau d’excellence qui existe dans tous les autres domaines de l’économie. On parle beaucoup des banques suisses en raison de leur importance et du poids qu’elles pèsent en termes d’emplois. Elles sont survalorisées dans les médias en raison de leurs campagnes publicitaires. Leurs enseignes sont connues dans le monde entier. Et après? Pour moi, ce secteur a toujours été surévalué. Credit Suisse a contourné des embargos, fait espionner ses cadres, manipulé cette référence bancaire qu’est le taux Libor… L’incurie de sa gouvernance était sans limites. C’est ça, la Suisse? Non, c’est le pire de la Suisse!

Tu ne vas quand même pas me dire qu’à part ça, tout va bien! La presse française s’en donne à cœur joie contre la Suisse. Ce n’est pas grave?
Quelle presse? J’ai ouvert ce matin le quotidien de gauche «Libération» et il n’y a rien sur Credit Suisse. Les autres journaux plus portés sur l’économie et la finance, comme «Le Figaro», s’attardent sur le montage et le sauvetage de Credit Suisse par l'UBS. Franchement, l’image du pays en France n’a rien à voir avec cette débâcle bancaire. Qui se préoccupe de Credit Suisse, sauf ceux qui y ont placé des lingots d’or, ou qui ont acheté des actions? Pour 99,9% des Français, la Suisse, ce n’est pas Zurich et ses banques. Cela n’enlève rien, je le répète, à l’incurie abyssale de Credit Suisse. Mais je ne vais pas pour autant changer le titre de mon dernier livre. La France est une démocratie défaillante. Elle ferait bien de regarder du côté de la Suisse.

Donc, on oublie tout et on recommence? La Suisse, plus forte que ses crashes. On oublie la déconfiture de Swissair. On pardonne à Credit Suisse. On dit bravo les Helvètes?
Je te parle de sentiments vis-à-vis de la Suisse. Que pensent les Français de notre pays? Sur quoi fondent-ils leur vision? Les 150'000 frontaliers qui passent chaque jour la frontière pour travailler en Suisse sont bien plus importants que les banquiers de Credit Suisse et leur bonus astronomiques et insensés! Et regarde les chiffres: les garanties données par la Banque nationale suisse sont prises au sérieux. On sait que la Suisse peut payer. Que son budget national est bien géré. Qu’elle est gouvernée par des gens méthodiques. Tout ça n’est pas balayé. Les entreprises helvétiques sont toujours là. L’apprentissage fonctionne. Les universités sont parmi les meilleures du monde. Basta Credit Suisse, c’était un fardeau!

Sauf que, pour beaucoup d’observateurs, notamment en France, voilà à nouveau la confirmation que la Suisse est un État financier voyou!
Tu y vas fort. Voyou, Credit Suisse? Avec ses clients, avec ses actionnaires peut-être. Mais quel rapport avec le pays, avec sa solidité, avec la confiance qu’il inspire? Je prends les paris que dans deux ou trois jours, la parenthèse médiatique sera refermée. Les problèmes que nous avons en matière de neutralité, ou nos relations compliquées avec nos voisins européens, sont des défis bien plus grands. C’est là que se joue la réputation de la Suisse.

Or là, comme tu dis, rien ne va plus…
La Suisse se trahit elle-même lorsqu’elle contrevient à ses règles et à ses normes. Je m’explique. Je tombe des nues lorsque j’entends des politiciens suisses, au nom de la neutralité, défendre l’idée que nous ne devrions pas acheter d’avions de chasse, car notre espace aérien est protégé par nos voisins. Cette mentalité de passager clandestin est insupportable. C’est elle qui nous fait du tort. Le pays est riche, tout le monde le sait, mais notre gouvernement veut voyager au sein du marché européen sans payer le ticket d’entrée. Cette Suisse-là n’est plus crédible. La sympathie pour l’Ukraine, la nécessité de serrer les rangs entre Européens est trop forte. On s’illusionne en pensant que les agissements de la Suisse vont être tolérés…

Conclusion: l’image de la Suisse reste défendable en France?
Elle est bonne, l’image de la Suisse. Très bonne! Bien meilleure qu’avant, à l’époque où le secret bancaire et l’évasion fiscale empoisonnaient tout. Tiens, tu vois, j’y reviens. Les banquiers. Ils sont détestés partout, suisses ou pas. Ce qu’il faut, c’est les empêcher de faire n’importe quoi avec la réputation du pays, en utilisant le drapeau à croix blanche.

À lire de François Garçon: «Le génie des Suisses» (Ed. Tallandier)

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