Il a été chirurgien viscéral, colonel à l'armée, motard... Depuis neuf ans, il est aussi politicien: du PDC au Mouvement citoyens genevois (MCG), en passant par six années au sein du PLR. Qu'est-ce que Philippe Morel n'a jamais fait? «Difficile à dire», répond en souriant celui qui nous reçoit dans ses quartiers, à la clinique genevoise de Beaulieu, un jeudi après-midi.
Pourtant, il reste bien un rêve à réaliser à ce Genevois qui ne tient pas en place: celui de s'asseoir dans l'un des sièges du Conseil d'État, à l'issue des élections cantonales d'avril 2023. Et Philippe Morel pourrait avoir ses chances avec le MCG – qui a sucré ce candidat au grand parti bleu, pour remplacer son propre ténor, Mauro Poggia, qui, lui, ne se représentera pas à ce poste, comme nous le révélions début novembre.
En effet, une sorte de jeu de chaises musicales a profité à Philippe Morel: l'actuel ministre de la santé MCG envisageant (très) probablement de se présenter aux élections fédérales pour le Conseil des États, en octobre 2023, il laisse une place vacante que le chirurgien estime être pile poil taillée pour lui.
Il faut patienter quelques minutes dans la salle d'attente du petit cabinet: il arrive un peu essoufflé, entre deux patients, avec sa blouse blanche. «Entrez, je vous en prie!» De son parcours à ses convictions profondes, en passant par sa tendance à changer de parti, et ses connivences avec le programme du candidat indépendant Pierre Maudet, révélé il y a peu, il raconte à Blick pourquoi il pense avoir ses chances lors de cette élection. Et nous expose ses solutions aux grandes problématiques genevoises.
Monsieur Morel, vous avez trois grandes passions dans la vie: la chirurgie, la politique et la moto. Si vous deviez n’en choisir qu’une?
Aujourd’hui, la politique. J’ai eu une carrière très heureuse en chirurgie, aux HUG. Beaucoup de bonheur! Et, pour ce qui est de la moto, je dois avouer que j’abandonne gentiment. Avec les risques de la circulation, le trafic… Être motard, aujourd’hui, c’est dangereux.
Qu’est-ce qui pousse un médecin à vouloir faire de la politique?
La politique, c’est l’art de comprendre les gens: leurs manques, leurs angoisses, leurs problèmes, leurs incertitudes… et de trouver des solutions! Je suis dans la sphère politique depuis douze ans maintenant, et je peux vous dire que certains aspects relationnels ne sont pas si différents de la médecine! J’ai également œuvré presque toute ma vie dans l’institution publique que sont les HUG. En plus d’opérer, j’y faisais en réalité, dans les relations professionnelles, de la «politique», en tant que chef de service, puis directeur d’un département. Si on part du postulat que la politique c’est l’art de réussir à faire route commune avec des idées et des mentalités au départ différentes, en faisant des concessions. On négocie, on discute, on fait des compromis… mais toujours dans l’intérêt du patient. Si je suis élu, j’en ferai de même au sein du Conseil d’État.
Si la médecine et la politique c’est pareil, alors pourquoi quitter l’une pour l’autre?
Car la médecine reste un champ relativement restreint – on s'occupe bien sûr de personnes malades. Alors que la politique, ça concerne tout le monde. Je veux travailler pour le bien commun à une plus large échelle. Et sur un plan plus personnel, j’aime cet aspect négociation qu’offre la politique. Comment réussir, à partir d’avis divergents, à œuvrer ensemble? Le médecin peut proposer deux ou trois traitements différents pour la même maladie, par exemple, et tenter de convaincre le patient de ce qu’il pense être le mieux pour lui. Mais il n’a pas beaucoup plus de marge de manœuvre. En politique, le choix du «traitement» face à telle ou telle problématique est bien plus vaste, si on poursuit avec l’analogie.
Vous avez rejoint le PLR il y a six ans, avant de le quitter il y a quelques jours. Vous êtes désormais la tête d’affiche du Mouvement citoyens genevois (MCG) à la place de Mauro Poggia pour les élections genevoises de 2023. C’est une question de convictions… ou de stratégie?
Un peu des deux, pour être honnête. Au début, c’était une question de convictions. Car ce n’est que très récemment que j’ai appris, en même temps que les membres du MCG, que Monsieur Poggia ne se représentera pas. Cela fait une dizaine d’années que je connais et côtoie régulièrement les membres de mon nouveau parti, qui m'avaient par ailleurs déjà fait des offres, que j’avais alors refusées pour diverses raisons. Ce qui m’a toujours séduit, dans le MCG, c’est le fait que ce soit un parti purement genevois.
Et maintenant, le moment opportun pour le rejoindre est arrivé.
En quelque sorte. Il y a effectivement aussi un aspect stratégie dans ma décision: j’ai voulu me présenter au Conseil d’État sous la bannière du PLR. Lors des dernières élections: j’ai été écarté par un vote démocratique du parti. Donc, lorsque le MCG m’a – à nouveau – approché, en me proposant la place de Mauro Poggia, c’était pour moi, de fait, une opportunité évidente.
Est-ce que le MCG serait plus horizontal que le PLR, du coup, au niveau du pouvoir?
Oui, et peut-être que ça rend l’action politique plus efficace. Je suis un homme d’action.
Et un homme qui a changé de parti trois fois. Vous avez également été élu au PDC, que vous avez quitté pour le PLR en 2015. Cette fois, au MCG, c’est la bonne?
Je crois bien que oui (rires)! Le PLR clame, actuellement, que je suis parti car je voulais jouer un rôle de premier plan, et qu’on ne me l’a pas accordé. C’est faux! Je voulais juste qu’on mette mes compétences à profit. Je veux juste être utile. Je suis avant tout un homme qui sert les autres. À commencer par mes patients, dont certains, venant de pays pauvres, ont été soignés gratuitement et logés chez moi pendant des semaines. J’ai, par exemple, également été en Libye au début des années 2000, pour y faire de la médecine humanitaire, à mes frais. Aujourd’hui, je veux mettre cette passion que j’ai de servir les autres au service de la population genevoise. En tant que député je le fais déjà depuis des années.
Servir la population genevoise, d’accord, mais comment? Avec toutes ces étiquettes, c’est quoi votre ADN politique, au final?
Je crois qu'au fond, ma sensibilité est au centre droit. Cela signifie, pour moi, de faire en sorte que les personnes du lieu où j’habite aient les meilleures conditions de vie possibles. Et je m’adresse en particulier à ceux qu’on appelle la «classe moyenne», même si cela ne veut plus dire grand-chose, aujourd'hui. Je crois par ailleurs que je préfère la terminologie de «classe populaire», car ça reflète mieux la paupérisation actuelle de la société. Et je viens moi-même de ce milieu social: mon père était un ingénieur, ma mère couturière. J’ai grandi à la Rue De-Miléant 12, à Genève. Dans un immeuble de six étages. En revanche, j’étais enfant unique, ma mère n’ayant pas pu avoir d’autres enfants: mes parents m’ont donc tout donné, et surtout une éducation.
Ça ne vous fera pas un peu mal au cœur, de dire adieu à la blouse blanche pour la cravate du conseiller d’État? Vous ne pourrez pas continuer à opérer, si vous êtes élu.
Oui, il faut le dire: je vais regretter cette vie chirurgicale qui a été passionnante. J’adore l’acte chirurgical, en fait, ainsi que le contact avec les patients. Le fait d’opérer va me manquer… C’est pour ça que, ces jours-ci, je passe ma vie au bloc (rires)! Mais il faut faire des choix. Et ce siège de conseiller d’État est un rêve de longue date. Mais, si je ne suis pas élu, je continuerai évidemment avec bonheur à opérer pendant un certain temps.
Imaginons que ce rêve politique se réalise: la tâche n’en sera pas pour autant facile.
Non, effectivement, je pense que notre canton vit une période difficile. Mais je me sens prêt pour ce défi!
Justement: on entend, à propos de Genève, des choses comme «perte d'attractivité», «se reposer sur ses acquis»... Qu'est-ce qui ne va pas, ou plus, dans la cité de Calvin, selon vous?
Plusieurs choses, en réalité. Du moins essentiel au plus essentiel, je dirais, pour commencer, que les gens ne s’amusent plus. Beaucoup de grands événements ont disparu, d’autant plus depuis la pandémie de Covid. Les terrasses ferment plus tôt, les fêtes de Genève sont au point mort, les forains sur les quais ont disparu… Or, c’est important. Les gens doivent pouvoir se détendre!
Mais encore?
Ensuite – et je l’ai déjà mentionné – il y a la paupérisation progressive de la population. Le pouvoir d’achat, notamment des personnes âgées, est fortement diminué. Nos seniors sont dans une telle situation de précarité que beaucoup ne peuvent même plus subvenir à leurs besoins essentiels. Je m’inquiète également pour notre jeunesse, eux qui sont notre avenir. Alors qu’il y a plus de jeunes diplômés que jamais, beaucoup ne trouvent pas de débouchés, que ce soit en sortant d'un apprentissage ou de longues études! Ils et elles doivent être mieux informés des réalités du marché du travail genevois. Il nous faudrait littéralement une cartographie des besoins professionnels dont nous avons besoin dans le canton! On pourrait ainsi mieux orienter notre jeunesse.
Poursuivons dans le concret. Avec votre domaine de prédilection: la santé. Comment réagissez-vous aux grèves? La dernière en date étant celle des assistants en soins et en santé communautaire.
Les grèves, c’est un trop-plein qui explose, et cela peut parfois être justifié! Il faut comprendre ces personnes, et instaurer un vrai dialogue. Du côté politique, il faut aussi expliquer ce qui est possible et ce qui ne l’est pas. Ainsi, chacun fait un pas vers l’autre. Pour moi, c’est ça, la politique. L’obtention d’un compromis.
N’est-ce pas un peu flottant et idéaliste, comme vision?
Peut-être, mais nous vivons tous d’idées! Quelqu’un qui n’a pas de vision n’accomplit rien.
Comment jugez-vous le bilan de votre (potentiel) prédécesseur Mauro Poggia, dans ce domaine?
Lors de la grosse crise qu’était le Covid, je trouve qu’il a agi de manière parfaitement adéquate face à une situation inconnue. D’un côté, il a tenu des positions difficiles. De l’autre, il a su expliquer ces dernières à la population. Honnêtement, et je l’ai dit il y a un an déjà: il a tenu la meilleure ligne possible dans cette situation. Et nous savons que les hommes politiques se révèlent véritablement dans les moments de crise: Charles de Gaulle n’aurait pas été Charles de Gaulle s’il n’y avait pas eu la Seconde guerre mondiale.
Et la mobilité? C'est un sujet qui occupe beaucoup les politiques. Que pensez-vous du débat sur les 30km/h à Genève, par exemple, vous qui étiez un féru de moto?
Alors ça! J’avais, à l’époque déjà, organisé deux manifestations publiques contre les projets et réalisations de pistes cyclables telles qu’elles ont été faites. Vous imaginez, moi, organiser des manifestations (rires)! Avec l’autorisation de la police, évidemment. Ne vous méprenez pas: je suis conscient qu’il faut modifier la mobilité à Genève! Il faut moins de voitures en ville, et les deux roues – motorisés ou non – doivent occuper une place qui leur revient sur la chaussée. Mais il ne faut pas le faire sous forme d’un arrêté (ndlr: un arrêté est une décision administrative unilatérale émanant d’un ministre), comme Monsieur Dal Busco l’a fait pour les 30 km/h ou sous forme de peintures nocturnes de la voie publique. Pour moi, c’est une insulte à nos concitoyens: on ne gouverne pas avec des arrêtés, dans une démocratie! Il faut davantage de dialogue sur cette question. À nouveau: discussion, négociation et compromis.
Dans les grandes problématiques genevoises, il y a aussi le logement. Qu’est-ce que vous pourriez proposer, pour remédier à la pénurie?
Il faut aussi contrôler les prix, qui sont devenus surréalistes. Nous devons construire, bien sûr, mais je crois que nous construisons déjà passablement à Genève en ce moment. Ce qu’il nous faut, c’est un système de contrôle des prix pour une partie du marché. L’État doit pouvoir contrôler les loyers, et il faut encourager les promoteurs immobiliers à revenir à des prix plus raisonnables dans le marché libre. Quand un appartement de trois pièces, pour une famille avec deux enfants, coûte quelque 4500 francs par mois, ce n’est plus possible!
Plus généralement, quels seraient vos trois grands projets pour Genève, si vous êtes élu au Conseil d’État sous la bannière du MCG?
Je vais peut-être me répéter, mais ce qui me préoccupe d’abord et avant tout c’est la paupérisation de la société. Beaucoup de gens qui travaillent, surtout des familles, ne peuvent plus vivre décemment… Et, pour une action locale genevoise, il n’y a pas mille solutions: nous devons baisser les impôts de cette classe moyenne et allouer des prestations «complémentaires» ciblées. Ensuite, et c’est lié, il y a les situations des seniors et des jeunes. J’ai évoqué la cartographie du marché du travail que je souhaite mettre en place pour notre jeunesse. Quant aux personnes âgées, il faut leur faciliter l’accès aux aides sociales, adapter les barèmes à la conjoncture actuelle. Le problème de l’emploi et des travailleurs frontaliers est évidemment un troisième axe! Finalement, il y a la sécurité. La police a un rôle très important évidemment!
Parce qu’ils sont tous aux Pâquis?
Peut-être (rires). Dans tous les cas, nous savons que la présence policière diminue la criminalité. Genève connaît encore des problèmes à ce niveau: la prison de Champ-Dollon est pleine. Et puisqu’elle est pleine, on relâche les «petits criminels», comme les voleurs, après deux heures au poste, souvent faute de place. Monsieur Poggia avait proposé une extension de la prison (prison des Dardelles), ce projet a été bien malheureusement refusé par le Grand Conseil à une courte majorité de gauche.
Et les frontaliers, alors? C’était, à sa création, le grand sujet du MCG. Aujourd’hui, on en entend moins parler. Votre nouveau parti se bat-il toujours pour la préférence cantonale?
Il faut dire les choses comme elles sont: nous avons besoin d’un certain quota de main-d'œuvre frontalière. À Genève, il s’agit de 100’000 postes, qui ne tourneraient pas sans les français. Mais cela n’empêche pas que nous devons, pour moi, effectivement adopter le principe de préférence cantonale. Si deux personnes à qualifications similaires postulent à une offre d’emploi, l'employeur devrait être tenu d’engager le Genevois ou la Genevoise en priorité. C’est juste du bon sens. Je compte d’ailleurs remettre cette problématique sur le devant de la scène, mais pas dans le cadre d’un discours «anti-français», mais simplement pro-genevois. Je vois cela tout simplement comme une mesure de protection pour les résidents du canton, qu’ils soient suisses ou étrangers d’ailleurs!
Il semble que le MCG a désormais un «doppelgänger», que ce soit en termes de programme, ou de structure politique: Liberté et justice sociale, le nouveau parti de Pierre Maudet, qui est un déserteur du PLR tout comme vous. Qu'est-ce qui vous distingue?
Nous avons en effet beaucoup de convergences quant à nos visions politiques respectives de Genève. J’ai admiré son action politique, lorsqu'il était au conseil d’État. Je ne me prononcerai pas sur «l’affaire Maudet». Je dis simplement que l’homme politique a eu – et a toujours – des idées remarquables. Nous avons une approche similaire quant à certaines problématiques.
Mais alors pourquoi les gens devraient voter pour vous plutôt que pour lui, si c’est la même chose au fond?
(Rires) Nous sommes deux personnalités différentes! De plus, le MCG est un parti… qui existe. Il a une histoire, il a démontré aux Genevoises et aux Genevois de quoi il est capable, son efficacité. Pierre Maudet n’a actuellement pas de parti derrière lui. Même s’il a un groupement, qui se constitue encore. Et une expérience politique indéniable. Je pense d’ailleurs que certaines personnes voteront pour lui et pour moi conjointement: et elles auraient raison! Si nous étions élus tous les deux, nous nous entendrions politiquement bien. Nous voulons tous deux une Genève économiquement forte, mais dont le bien-être économique bénéficie aussi à l’ensemble de la population.