Royaume-Uni, Canada, Australie et Etats-Unis: dans le désordre, ces quatre pays ont annoncé un boycott diplomatique des Jeux olympiques d’hiver de Pékin. «Nous sommes profondément troublés par les violations des droits humains de la part du gouvernement chinois», a déclaré le Premier ministre canadien Justin Trudeau, dernier en date à infliger un revers diplomatique au régime de Xi Jinping.
En Suisse, le groupe parlementaire des Verts a aussi dégainé cette semaine. Par voie de communiqué, il demande que le Conseil fédéral en fasse de même et se cantonne à laisser les athlètes défendre les couleurs du pays à Pékin.
Chez les écologistes, un homme est au premier plan lorsqu’il s’agit de politique extérieure: Nicolas Walder, vice-président du parti, a passé de nombreuses années sur le terrain sous l’étiquette de la Croix-Rouge (Arabie Saoudite, Somalie, Israël, Palestine, Russie…). Le Genevois est préoccupé par l’évolution des libertés en Chine. Interview.
Vous êtes offensif sur Twitter, en première ligne sur la Place fédérale… Pourquoi la question de la Chine vous intéresse-t-elle tant?
Je n’ai pas attendu d’être au Parlement: en 2013, lorsque j’étais Maire de Carouge, j’avais invité une représentante tibétaine aux célébrations officielles du 1er Août pour évoquer ce que cela fait pour son peuple de ne pas pouvoir célébrer sa Fête nationale. Depuis mon arrivée à Berne en 2019, je suis membre de la commission des Affaires extérieures. C’est donc naturellement que je m'engage beaucoup sur la question des droits humains.
Ces droits sont violés dans de nombreux pays. Pourquoi viser la Chine en particulier?
La situation en Chine est unique. On parle de camps d’internement touchant plusieurs millions de personnes, de destructions totales de lieux culturels et religieux. Tant les Ouïghours que les Tibétains font l’objet de crimes massifs assimilables à un «génocide» selon de nombreux ONGs et experts. Il existerait des plans pour éradiquer leurs cultures, par exemple en faisant que le mandarin devienne la seule langue utilisée au Tibet. Et, au-delà de protéger les minorités en Chine, il y a aussi des enjeux géostratégiques pour la Suisse et ses valeurs.
Lesquels?
La Chine est en passe, si elle ne l’est pas déjà, de devenir la première puissance économique mondiale. Elle s’imposera donc également de plus en plus sur les questions politiques et militaires. Or, la vision du droit et les valeurs portées par son gouvernement ne sont pas compatibles avec celles défendues par les démocraties libérales, qu’il s’agisse d’Etat de droit ou de droits fondamentaux.
Est-ce le rôle de la Suisse de jouer au gendarme du monde?
On présente souvent notre pays comme l’une des démocraties les plus abouties au monde, ce qu’elle est, d’ailleurs. La Suisse a tout intérêt à s’engager davantage pour protéger ce modèle face au danger que représentent les régimes dictatoriaux. Car il n’y a malheureusement aucune garantie que l’on puisse profiter ad aeternam de tels droits et libertés. Nous avons vécu durant des décennies sous l’influence américaine. Si ce mode de vie est critiquable sous bien des aspects, j’ai tendance à penser que ce modèle aura contribué à renforcer nos libertés en Europe. Si l’on vit bien chez nous, c’est grâce à notre économie forte mais aussi et surtout à nos libertés et aux droits acquis au fil des siècles. Qu’en sera-t-il le jour où le gouvernement chinois fixera les règles?
Bonne question. Qu’en serait-t-il?
Il existe un risque réel si la République populaire de Chine devient une superpuissance avec le potentiel de modifier les règles du jeu à l’échelle mondiale sans que nous ne puissions plus lui résister. C’est malheureusement un scénario de plus en plus crédible. Voilà pourquoi nous devons tout faire pour que le modèle chinois de société orwellienne, soit un régime totalitaire avec un contrôle généralisé de sa population et de ses entreprises, ne s’impose pas au reste du monde. Contrairement à ce que prétend le régime chinois, l’envie de liberté n’est pas une question culturelle. Les citoyens de Taïwan ou de Hong-Kong, qui sont aussi des Chinois, se battent pour leurs droits démocratiques, démontrant du même coup le caractère universel de la Charte des droits de l’homme.
Le boycott par la diplomatie suisse d’une compétition sportive paraît léger comme levier d'action, non?
C’est un signal — il participe à une mise en garde commune envers Pékin. Nous devons dire clairement que nous ne sommes plus d’accord d’être complices de ce qu’ils font subir à leur population. Il ne faut pas accepter qu’ils se servent du sport comme vitrine, à l’image de 2008. Ce boycott permettra de rappeler, tout au long des Jeux olympiques, que les habitants en Chine sont privés de leurs libertés et que nombreux sont ceux et celles qui souffrent au quotidien.
Vous ne voyez donc pas le sport comme un moyen d’améliorer les droits humains.
Nous disposons de nombreux exemples qui montrent que ce n’est pas le cas, comme Berlin en 1936 ou plus récemment Pékin en 2008. Tout le monde pensait que ça marquerait un tournant. Le Dalaï-Lama lui-même soutenait cet événement espérant une ouverture du pays. Or, les droits humains n’ont fait que régresser depuis, encore plus depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2013. Et aujourd’hui le Comité international olympique (CIO) veut faire de Pékin la première ville à accueillir les JO d’été et d’hiver…
Certains appellent à un «vrai» boycott de la compétition, pas seulement diplomatique. Qu’en pensez-vous?
Nous avons depuis plusieurs années appelé le CIO à revenir sur l’attribution à Pékin des JO d’hiver 2022. Sans succès. Aujourd’hui, les athlètes se retrouvent face à un terrible dilemme: Mettre en péril leur carrière en renonçant aux jeux ou participer et devoir vivre avec l’idée qu’ils auront collaboré avec un tel régime. C’est difficile. Une autre voie possible est d’y aller en rendant visible leur désapprobation.
Comment?
Par exemple en arborant des symboles de défense des droits fondamentaux ou en soutien à des minorités persécutées. Comme Lewis Hamilton qui portait un casque arc-en-ciel il y a trois semaines au GP d’Arabie Saoudite, pour sensibiliser au sort de la communauté LGBTQIA+. Il est important que les sportifs et sportives rappellent les valeurs qui les animent, celles de l'Olympisme, de l’égalité et du respect de chacun.
Et il y a un autre cas récent: celui de Peng Shuai…
Absolument! Le directeur de la WTA a été extrêmement courageux, au contraire de l’ATP et du CIO. Cela montre bien les dérives de ces institutions qui, par cupidité, en ont perdu leurs valeurs fondatrices. Voir une athlète se retrouver privée de ses droits pour avoir eu le courage de dénoncer les violences sexuelles qu’elle a subies est intolérable. Elle ne peut actuellement ni s’exprimer librement, ni se défendre face à ses détracteurs. Comment oser aujourd’hui prétendre que le sport et la politique sont deux choses distinctes? Les grandes organisations sportives ont déjà instauré des règles éthiques: la Russie a par exemple été privée de Jeux pour du dopage. Il faut désormais que le respect des droits humains fasse aussi partie des règles du jeu.
Abordez-vous ces questions au sein de la commission de politique extérieure?
Oui. La Chine nous occupe de plus en plus, en commission et en plénum. À chaque Session, nous l’évoquons d’une manière ou d’une autre, récemment encore pour la lutte contre les contrefaçons ou pour le renforcement de nos relations avec Taïwan. Certaines motions ont trouvé une majorité en commission, ce qui est nouveau. Malheureusement la droite est encore trop frileuse à défendre les droits humains face aux intérêts économiques à court terme. Même lorsque cela affecte les règles du marché.
Dans quel sens?
Prenons un exemple concret: Aujourd’hui, nous importons des produits issus des camps de travail, soit une forme d’esclavage avec des personnes contraintes dont l’activité n’est pas salariée. Les produits, dont des vêtements venant du Xinjiang, bénéficient pourtant d’avantages tarifaires en Suisse grâce à l’accord de libre-échange signé entre nos deux pays en 2013. Cela soulève de nombreuses questions : comment peut-on mettre les produits en concurrence avec ceux des pays voisins où les ouvriers sont libres et salariés? Voire où ils bénéficient de droits syndicaux? C’est la preuve qu’on ne peut pas dissocier les droits humains des lois du marché. Avant de faire des affaires, il faut impérativement exiger le respect des droits humains.