Un ou deux jours de grand beau, et puis c’est de nouveau l’automne au mois de juillet: météo maussade, changeante, déprimante… L'été semble avoir oublié de pointer le bout de son nez, cette année.
Est-ce que le temps estival est vraiment extraordinairement dégueulasse, en 2024, ou est-ce juste une impression induite par notre frustration collective, alors que, en réalité, on a déjà connu bien pire, comme été? On a demandé à MétéoSuisse.
Le météorologue Lionel Fontannaz a bien voulu sortir ses données et faire quelques tableaux Excel pour nous éclairer: est-ce qu’on vit vraiment l’été le plus pourri depuis des décennies? Spoiler: pour le moment, oui, un peu. Mais la saison n'est (de loin) pas encore terminée.
Le soleil aux abonnés absents
À l’autre bout du fil, Lionel Fontannaz commence par poser le cadre: de quoi parle-t-on, quand on parle de météo pourrie, et sur quelle période? On retient l’ensoleillement, les précipitations et la température comme critères.
Comme nous sommes au milieu de l’été, on ne se penche que sur le laps de temps entre le 1ᵉʳ juin et le 15 juillet, pour comparer la météo avec les années précédentes, à savoir de 2003 à 2024. Quant au lieu de référence, Lionel Fontannaz a sélectionné Genève.
On commence avec le soleil: alors, y en-a-t-il vraiment moins, cette année? Le météorologue sort ses chiffres. «On peut en effet dire que la période du 1ᵉʳ juin au 1ᵉʳ juillet 2024 a été l’une des moins ensoleillées» des 22 dernières années, avance le spécialiste.
Il détaille: «C’est la première fois depuis 2003 que nous avons moins de 300 heures de soleil sur cette période. C’est-à-dire exactement 294. En 2023, nous avons eu 442 heures de soleil à Genève sur ce mois et demi, à titre de comparaison.» Et par rapport à la moyenne sur les 22 dernières années? Le météorologue rétorque: «C’est à peu près 95 heures de soleil en moins que la moyenne habituelle, pour cette première moitié de l’été.»
Niveau pluie, on a connu pire!
Si seulement nous avions simplement manqué de soleil: tout le monde a été marqué par les impressionnantes intempéries de ce début d’été, surtout en Valais et au Tessin, où il y a eu des morts, mais aussi (un peu plus tôt, en avril) à La Chaux-de-Fonds.
Y a-t-il vraiment eu davantage de pluie et de précipitations que d’habitude? Eh bien, en réalité, pas vraiment. «Il y a eu plusieurs étés très arrosés, ces 22 dernières années. On peut notamment citer 2007 et 2021. Selon les régions, 2021 a même été l’été le plus humide en 100 ans!»
Le scientifique enjoint donc à relativiser: «Malgré le côté impressionnant des intempéries de ces dernières semaines, et les dégâts occasionnés, c’était souvent pire en 2021 pour cette première moitié d’été, très concrètement, en termes d’humidité. À Genève, en 2021, nous avions eu 210 millimètres de pluie, contre 175 sur la période qui nous intéresse en 2024.»
Oui, il fait plus froid!
Quid de la température? Lionel Fontannaz commence par expliciter: «D’après nos critères, une journée estivale est une journée où les températures sont égales ou supérieures à 25 degrés. Une journée dite tropicale dépasse quant à elle les 30 degrés.»
Sans surprise, entre juin et juillet 2024, on n’était pas exactement sous les tropiques, en Suisse: «En effet, à Genève, sur la période qui nous intéresse, il n’y a eu que deux jours où la température a atteint ou dépassé les 30 degrés. Alors que la moyenne, sur ces 22 dernières années, est plutôt de huit ou neuf jours tropicaux.»
On l'a dit, 2021 a été une année particulièrement arrosée, mais même cette année-là a compté plus de journées de grosse chaleur du 1ᵉʳ juin au 15 juillet que 2024 — cinq au total, en l’occurrence, d’après le pro de la météo. Il commente: «2024 est en effet marquée par le peu de journées très chaudes, pour le moment du moins, en plus d’un ensoleillement particulièrement déficitaire. La même période en 2022 et 2023 avait déjà donné respectivement 14 et 12 journées tropicales – donc le contraste avec 2024 est juste impressionnant.»
Si on parle de journées simplement estivales, le décalage avec la «norme» est un peu moins grand. «En 2024, on a déjà eu 21 jours à 25 degrés ou plus. À titre de comparaison, au 15 juillet 2022 et 2023, on comptait déjà 36 et 41 journées estivales, soit deux fois plus que cette année.» Mais le météorologue invite à relativiser: «On l’a oublié, mais en 2004, par exemple, nous avons aussi connu un été très frais. Il n’y a eu que 16 jours où il a fait 25 degrés ou plus.»
La faute au réchauffement climatique?
Bref, oui, on peut dire qu'il fait particulièrement moche en ce moment, par rapport aux années précédentes — mais la période estivale n’est pas terminée, donc tout peut encore changer. Et le réchauffement climatique, là-dedans? «En fait, avec le changement climatique, ce qui se dessine, c’est que nous allons avoir plus de sécheresses dans les pays du sud, déjà assez secs, et davantage de précipitations et d’humidité dans les pays du nord en hiver», indique Lionel Fontannaz.
La Suisse, qui est entre ces deux pôles, aura a priori de plus en plus droit à ces deux fléaux en alternance… «Disons que, malgré ce qu’on voit cet été, les étés en Suisse vont avoir tendance à devenir plus chauds et plus secs — à l’image des sécheresses que nous avons connues en 2022 et 2023 par exemple, explique l'expert. En moyenne, depuis 2003, on a connu de nombreux étés où la température estivale a été entre 1,5 et 2°C supérieure à la norme. En 2003, elle était même supérieure de 3°C.»
Il ajoute: «En Suisse, les vagues de chaleurs sont déjà devenus plus fréquentes, plus longues et plus intenses que par le passé. Mais Il ne faut pas oublier que la Suisse est également influencée par le courant d’ouest atlantique et, à ce titre, elle connaîtra toujours une certaine variabilité en termes de météo…» Ces mois de juin et de juillet sont donc de toute évidence trompeurs, par rapport à la tendance sur le long terme.
Quant aux prévisions pour le reste de l’été, Lionel Fontannaz préfère ne pas trop s’avancer. Il prédit simplement que, dans ces prochains jours, ça ne devrait pas beaucoup changer, par rapport à ce que nous avons connu depuis le début de la saison, «on devrait rester dans des courants par moment perturbés avec quelques poussées d’air chaud…»