«Le monde entre dans une ère de chaos.» Ce sont les mots du chef du secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres pour décrire l'époque dans laquelle nous vivons. La situation géopolitique mondiale a rarement été aussi tendue qu'actuellement.
La conférence sur la sécurité de Munich a eu lieu ce week-end, rassemblant chefs d'États et politiques du monde entier pour faire face aux conflits géopolitiques et aux nombreuses guerres qui font rage, notamment en Ukraine et à Gaza. Il s'agit d'un rendez-vous incontournable en matière de défense.
Le nouveau secrétaire d'Etat à la politique de sécurité Markus Mäder revient sur cet événement et sur le climat de conflit qui règne actuellement. Le chef de la sécurité a de nouveau souligné que la Suisse devait renforcer sa capacité de défense et approfondir la collaboration avec ses partenaires. Interview.
Markus Mäder, comment la mort d'Alexei Navalny a-t-elle été accueillie lors de la Conférence de Munich sur la sécurité?
La consternation a été grande. C'était un défenseur de la démocratie et des droits fondamentaux en Russie.
La présidente de la Confédération Viola Amherd et le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis veulent organiser une conférence de paix sur l'Ukraine à Genève au premier semestre 2024. Avez-vous trouvé de nouveaux partenaires et soutiens à Munich?
A Davos, le président ukrainien Volodymyr Zelensky avait fait part de son souhait de voir la Suisse organiser une conférence sur la paix. Nous sommes en pleins préparatifs, tout en sachant qu'il s'agit d'une tâche exigeante. Il est temps de se consacrer à la diplomatie.
Vous étiez avec la présidente de la Confédération la semaine dernière en Estonie, à la frontière extérieure de l'OTAN avec la Russie. Le gouvernement estonien affirme que la Russie pourrait attaquer les pays baltes d'ici à cinq ans. Doit-on s'inquiéter?
Aucun pays européen n'a intérêt à créer la panique, mais chacun doit veiller à sa sécurité. Il s'agit d'une politique de sécurité responsable. Nous sommes aussi d'avis que la Russie est une menace réelle. Elle est déterminée à poursuivre la guerre contre l'Ukraine et s'en tient à ses objectifs maximaux. De plus, la Russie procède actuellement à un énorme réarmement. Il y a donc de vraies raisons de s'inquiéter en Europe.
Quelque chose vous a-t-il particulièrement touché lors de votre voyage dans les pays baltes?
En règle générale, je ne suis pas très émotif, du moins pas dans le domaine professionnel. Mais la tension de la Russie se ressent très clairement lors des entretiens.
Vous êtes secrétaire d'État depuis sept semaines maintenant. Qu'incarnez-vous?
Le réalisme.
C'est-à-dire?
Nous devons axer notre politique de sécurité sur le réel et nous occuper du monde tel qu'il existe, pas d'un monde que nous aimerions avoir.
Où faut-il corriger le tir?
Nous avons dû changer nos attentes vis-à-vis de la Russie. Après la guerre froide, beaucoup pensaient qu'il s'agissait d'un partenaire de politique de sécurité européenne. Malheureusement, ce n'est pas le cas.
Hormis la Russie, quelle est la plus grande menace pour la Suisse?
Elle vient d'un ordre mondial qui n'est plus basé sur des règles. La force du droit ne doit pas se substituer au droit de la force, car tout le monde en souffrirait, surtout les plus faibles. La Suisse, justement, s'engage pour un ordre basé sur des règles et pour le respect du droit international.
Viola Amherd veut renforcer les liens entre la Suisse de l'OTAN. Pourquoi?
Il s'agit d'approfondir la coopération. Le cadre institutionnel reste le Partenariat pour la paix. La question de l'adhésion à l'OTAN ne se pose pas. Mais nous voulons travailler plus étroitement ensemble et mieux utiliser la marge de manœuvre pour défendre nos intérêts. En tant que Suisses, nous voulons aussi contribuer à un monde plus sûr grâce à notre histoire et à notre cadre juridique.
La question s'est récemment posée de savoir si les soldats suisses devraient participer aux exercices de l'OTAN en cas de défense.
Nous participons depuis de nombreuses années aux exercices de l'OTAN en tant que pays partenaire. Jusqu'à présent, nous avons également participé en tant qu'observateurs à des exercices qui tombent sous le coup de l'article 5, c'est-à-dire qui supposent un cas de défense. La question se pose aujourd'hui: pouvons-nous et voulons-nous également participer activement à ces exercices? L'OTAN envisage au cas par cas d'inviter des pays. Nous sommes ouverts à cette idée, mais il n'y a pas d'automatisme de part et d'autre.
Actuellement, l'OTAN organise le plus grand exercice depuis la chute du mur de Berlin. Ne serait-il pas dans l'intérêt de la Suisse d'y participer?
Nous n'avons pas reçu d'invitation pour cet exercice. De plus, notre système de milice impose certaines limites: jusqu'à présent, nous planifions les exercices jusqu'à deux ans à l'avance, afin que nos soldats de milice puissent les coordonner avec leurs employeurs.
La Suisse doit assumer des tâches qui incombaient jusqu'à présent à la Suède et à la Finlande. Celles-ci sont désormais libres parce que ces deux pays sont devenus membres de l'OTAN.
Nous allons examiner cela individuellement avec l'OTAN. Peut-être que les postes qui se libèrent ne correspondent pas à ce que nous pouvons apporter. Qu'est-ce que nous voulons apporter et qu'est-ce qui nous fait avancer? Le retour de connaissances et d'expériences doit servir au développement de nos propres capacités.
Dans votre thèse de doctorat, vous citez un historien romain: «Si tu veux la paix, prépare la guerre.» Qu'est-ce que cela signifie pour la Suisse?
La paix est la condition préalable à la sécurité et à la prospérité. Nous devons nous préparer à la guerre, même si nous espérons qu'elle ne se produira jamais. Plus nous sommes préparés, plus l'effet dissuasif est grand. Nous devons renforcer notre capacité de défense et approfondir la coopération avec nos partenaires.
Une partie de l'UDC ne voulait même pas d'un Secrétariat d'Etat à la politique de sécurité. Pourquoi la Suisse en a-t-elle besoin?
Les défis sont devenus plus complexes, plus imprévisibles et plus interconnectés. Nous devons nous réorganiser. Le Secrétariat d'Etat à la politique de sécurité assure plus de focalisation, plus de cohérence et une meilleure coordination dans la politique de sécurité de la Suisse.
Le diplomate Jean-Daniel Ruch, puis le diplomate Thomas Greminger devaient devenir secrétaires d'État. Avez-vous le sentiment d'être le troisième choix?
Le Conseil fédéral m'a nommé le 22 décembre. Le 1er janvier, j'ai pris mes fonctions. Je vais vers l'avant.
Quelle conclusion ramenez-vous de Munich?
Nous devons collaborer encore plus étroitement avec les acteurs qui partagent nos valeurs et qui défendent un ordre mondial fondé sur des règles.