Pas d’obligation d’enregistrer son temps de travail, pas de durée maximale, pas de règles sur le travail de nuit, du dimanche ou sur les temps de pause. C’est ce qui attend quelque 110’000 salariés en Suisse, s’alarme l’Union syndicale suisse (USS) dans un papier d’analyse dont Blick a obtenu copie. Pire: ce serait même une estimation basse.
Dans le viseur de la puissante faîtière: un projet qui fait son chemin au Conseil national. Sa commission de l’économie et des redevances propose une nouvelle disposition légale «prévoyant que certains collaborateurs d’une nouvelle entreprise sont exclus du champ d’application de la loi sur le travail pendant les cinq années suivant la fondation de l’entreprise».
Une minorité de la commission souhaite aussi leur retirer toute protection liée à la santé au boulot. Pour être concerné, ledit personnel devrait «détenir des participations» dans la firme, par exemple sous la forme d’actions.
Vote cet hiver au Conseil national?
«Si la commission décide d’aller de l’avant lundi ou mardi, le Conseil national pourrait être amené à voter durant la session d’hiver déjà», s’inquiète Benoît Gaillard, porte-parole de l’USS. Le cas échéant, la question d’un référendum se posera, appuie-t-il.
Pour lui, «c’est un cheval de Troie». En clair, «sous couvert de vouloir aider les start-ups, la droite veut affaiblir la protection des travailleurs et permettre aux entreprises qui le souhaitent de contourner la loi sur le travail», développe le conseiller communal (législatif) lausannois.
Selon les termes actuels du projet, de grandes sociétés qui créeraient des filiales ou des banques qui fusionneraient pourraient aussi en profiter, alerte le socialiste. «Il suffirait d’avoir une nouvelle structure tous les 5 ans, peu importe sa taille.»
Incitation à recréer une entreprise régulièrement
De fait, de nombreux secteurs pourraient soudain être libérés de leurs obligations envers leurs employés, si une participation — même dérisoire — aux bénéfices leur était accordée, souligne encore Benoît Gaillard. «Dans la restauration, la coiffure, la construction ou la boucherie, la durée de vie moyenne d’une boîte est faible et de nouvelles structures sont créées très souvent. Ce changement renforcerait cette tendance.»
Le Vaudois perçoit un réel danger, qui pourrait toucher beaucoup de monde. «Concrètement, la droite prépare la semaine à 60 heures pour au moins 110’000 personnes, chiffre calculé sans tenir compte de l’effet incitatif à recréer une entreprise régulièrement.»
Large opposition lors de la consultation
Un point étonne. Un avant-projet avait été mis en consultation entre novembre 2022 et mars 2023. Et il avait suscité une large opposition, également de nombreux cantons pourtant dirigés par le camp bourgeois. Malgré cela, la commission a décidé de foncer, sans changer une ligne à son texte.
«Dernièrement, le Conseil fédéral s’est prononcé contre», ajoute le communicant. Le gouvernement encourage le Parlement à explorer d’autres pistes et à agir par voie d’ordonnance pour créer une exception qui s’adresserait spécifiquement aux start-ups.
À l’origine, le cofondateur de Digitec
À l’origine du projet actuel, une initiative parlementaire de Marcel Dobler, cofondateur de Digitec, qui visait — justement — à faciliter la vie des start-ups. Problème, le terme n’est pas défini juridiquement en Suisse. C’est pourquoi la commission de l’économie a décidé de parler des organisations créées dans les cinq dernières années.
Interrogé par Blick début septembre, l’élu libéral-radical avait jugé «absurdes» les craintes exprimées par des villes, des cantons et les milieux syndicaux ou de protection de la santé. À ses yeux, les patrons qui veulent commettre des abus peuvent déjà le faire aujourd’hui.
Pour Marcel Dobler, il aurait suffi d’apporter des précisions. Mais la commission de l’économie y a renoncé.