Les syndicats ont-ils volé la vedette à Ignazio Cassis? Mercredi aurait dû être LA journée du ministre des Affaires étrangères. Il en a été autrement. En effet, dans le cadre du dossier sur un rapprochement avec l'Europe, le Conseil fédéral s'était résolu à confier le mandat de négociation au DFAE. Une lueur d'espoir pour le chef de l'institution et une victoire importante, bien que modeste, avant les élections fédérales.
L'élu PLR a voulu s'assurer du soutien des principaux partenaires sociaux, c'est-à-dire les employeurs et les syndicats, ainsi que les dirigeants des partis, afin de gérer lui-même la communication autour du dossier européen.
Suisse-Europe, que faire ?
Mais lundi, les fédérations Union syndicale suisse et Travailsuisse – en somme, l'ensemble des représentants des travailleurs suisses – ont coupé l'herbe sous le pied du Conseiller fédéral en publiant un communiqué de presse reprenant une rhétorique qui leur est propre: garantir le service public et protéger des salaires en cas de rapprochement avec Bruxelles.
Les syndicats n'ont pas su tenir leur langue
En clair, l'Union syndicale suisse et Travailsuisse ont rompu le marché conclu avec le DFAE en annonçant la nouvelle, que le Conseil fédéral n'a lui-même annoncé que deux jours plus tard.
Dans leur communiqué, l'USS et Travailsuisse se sont ainsi dits «très préoccupés» par le «déroulement des discussions» avec la Commission européenne. Le «projet d'accord institutionnel» s'est transformé en «programme de libéralisation», ont déploré les représentants des travailleurs, en évoquant le marché de l'énergie et celui des transports. De quoi alimenter la rancœur de l'administration fédérale, bien décidée à montrer les muscles face au président de l'USS Pierre-Yves Maillard et à ses camarades.
«Ce n'est pas un leader»
Dans le camp pro-européen, les critiques à l'égard d'Ignazio Cassis vont, elles aussi, bon train. Ainsi, le Tessinois serait «faible», déclare une conseillère nationale PLR. «Ce n'est pas un leader», renchérit un collègue de parti. Tous ont l'impression que la peur des syndicats règne au sein de son département. Le Conseiller fédéral a même été désavoué au sein du Conseil fédéral. Selon des informations de Blick, le DFAE prévoyait en effet de publier un rapport ambitieux mettant en lumière les résultats obtenus à Bruxelles.
Mais là encore, tout a capoté quand les socialistes Alain Berset et Elisabeth Baume-Schneider, avec l'appui des UDC Guy Parmelin et Albert Rösti, ont minimisé les résultats d'Ignazio Cassis. La version originale indiquait par exemple que les questions en suspens entre Berne et Bruxelles auraient pu être réglées par des entretiens exploratoires. Mais le rapport final a indiqué qu'une «grande partie des questions auraient pu être résolues de manière satisfaisante».
Un timing surprenant
Dans le camp pro-Europe, c'est surtout le timing de cet imbroglio qui étonne, car toutes ces différentes passes d'armes interviennent à un moment idéal pour tester la force politique des syndicats.
Lors de la dernière législature, ce jeu de pouvoir avait fonctionné lorsqu'ils s'étaient opposés, forts d'une alliance réussie avec la droite, à un accord-cadre avec Bruxelles au printemps 2021. Sans qu'il n'y ait jamais eu le moindre indice d'un risque d'échec au préalable: les quelques sondages réalisés au préalable avaient toujours indiqué une approbation d'une solution institutionnelle avec Bruxelles.
Un sondage commandé par l'association professionnelle Interpharma avait même montré que 64% des votants souhaitaient un accord institutionnel. Mais le scrutin n'a jamais eu lieu: le 26 mai, le Conseil fédéral a enterré l'«accord-cadre 1.0» sans jamais avoir consulté le peuple.
Les cartes seront redistribuées après le départ de Berset
Aujourd'hui, deux ans et demi plus tard et avec un Parlement fraîchement élu, le vent ne semble plus tourner autant en faveur des syndicats, mais de leurs adversaires: Paul Rechsteiner, président de longue date de l'USS, ne siège plus au Conseil des Etats. Corrado Pardini, cadre d'Unia, n'a plus siégé depuis quatre ans déjà. Adrian Wüthrich, président de Travailsuisse, vient de rater son entrée au Conseil national. Et Katharina Prelicz-Huber, présidente des Vert-e-s du SSP, a tremblé pour sa réélection. Sans parler de l'érosion des effectifs au sein de ces différentes organisations.
Le conseiller aux Etats vaudois Pierre-Yves Maillard, fraîchement élu, est donc le dernier véritable alpha des syndicats sous la coupole fédérale. Les cartes seront donc redistribuées après le départ d'Alain Berset.
Par ailleurs, les représentants des syndicats ont-ils les compétences requises pour accaparer des sujets tels que la politique énergétique? Rien n'est moins sûr. Les milieux économiques, eux, réclament un accord sur l'électricité et un accord sur les transports terrestres. Et vite!
«Les syndicats torpillent un accord avec l'UE»
Selon les calculs de l'association économique faîtière Economiesuisse, l'échec d'un accord sur l'électricité avec l'UE signifierait une perte de pouvoir d'achat de 150 francs par an pour chaque ménage suisse. Le président d'Economiesuisse Christoph Mäder explique cela de la sorte: «Les syndicats torpillent un accord avec l'UE. Ils acceptent que la population paie plus cher l'électricité et que le réseau électrique soit menacé. Il est incompréhensible qu'on leur offre maintenant encore une plate-forme particulière dans le cadre de l'accord sur l'électricité.»
Le conseiller national PLR zurichois et proche de Cassis Hans-Peter Portmann présidera la Commission de politique extérieure (CPE) au cours de la nouvelle législature. Le PLR va encore plus loin en menaçant de priver les représentants des travailleurs de tout pouvoir: «Le Parlement devra briser le monopole des syndicats et engager des réformes vers un partenariat social véritablement libéral», déclare-t-il dans un entretien avec Blick. Lundi, il veut présenter le sujet à la CPE – ce qui ne simplifie pas la situation de départ pour Cassis.