L'évêque Charles Morerod
«Noël n’évoque pas le Christ pour pas mal de monde»

Pour le jour de Noël, Charles Morerod, l'évêque de Lausanne, Genève et Fribourg, nous ouvre ses portes. Drôle, sensible et enjoué, l'homme de foi décortique la signification des Fêtes, livre ses vœux pour 2023 et se mouille sur l'action du pape François. Entretien.
Publié: 25.12.2022 à 09:22 heures
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Dernière mise à jour: 25.12.2022 à 16:07 heures
Drôle, sensible et enjoué, l'évêque de Lausanne, Genève et Fribourg Charles Morerod se confie pour Noël.
Photo: GABRIEL MONNET
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Antoine HürlimannResponsable du pôle News et Enquêtes

Le sensible et pince-sans-rire Charles Morerod est loin d’être ennuyeux. Contrairement à la pluie qui tombe dru, ce vendredi matin, peu avant 10h. Mais pas le temps d’affûter ses meilleures vannes avant de croiser le verbe avec l’évêque de Lausanne, Genève et Fribourg. Le sexagénaire nous attend à l’évêché pour une interview de Noël. Dépêchons!

Ce rendez-vous est l’occasion de parler de la naissance de Jésus, bien sûr, mais aussi de la signification beaucoup plus large de cette grande fête chrétienne. Entre deux «sadique!» proférés à l’attention de mon collègue photographe Gabriel Monnet — un métier qu’on fait si «on apprécie voir les gens souffrir» —, l’homme de foi, qui n’aime visiblement guère prendre la pose, se confie sur son enfance. Sur son rapport à Dieu et au père Noël mais aussi sur l’action du pape François face aux abus sexuels qui ont ébranlé l’Eglise ces dernières années. Et sur un débat lancé par… l’humoriste vaudois Yann Marguet. Interview.

Posée à un évêque, cette question peut sembler absurde. Mais que vous évoque Noël?
Mmmh… D’abord, Alfred Hitchcock relevait que c’était l’absence d’une lettre entre le «K» et le «M» (ndlr: «no L»). Mais il y a aussi d’autres éléments. Par exemple: la naissance de Jésus. Cette réponse, l’air de rien, n’est pas d’une banalité complète puisque, pour pas mal de monde, Noël n’évoque pas le Christ.

Et enfant, qu’est-ce que le 25 décembre vous inspirait?
Les fêtes de famille, la crèche, les cadeaux, les repas… La première fois que je suis allé à la messe de minuit, j’avais 20 ans. Donc ce n’était pas Jésus qui m’occupait l’esprit lorsque j’étais enfant.

Pourquoi cette première messe de minuit à 20 ans seulement?
J’allais parfois à la messe le dimanche et j’ignorais complètement qu’il y avait d’autres possibilités. J’ignorais même l’existence de la Semaine sainte jusqu’à ce que je sois séminariste. J’avais clairement une forme d’ignorance religieuse.

Parce que votre famille n’était pas très branchée religion?
Ça tient, entre autres, au fait que mon père était reformé. Conséquence: chez une bonne partie de la famille, on n’intercalait pas d’éléments religieux lors des Fêtes. Ce qui ne nous empêchait toutefois pas d’aller à la messe le matin de Noël.

Vous avez d’abord cru au père Noël ou en Jésus?
D’abord pas au père Noël, parce que c’était Saint-Nicolas. Ce qui est quand même beaucoup mieux. Enfant, à Bulle, je lui avais une fois demandé comment il avait fait pour descendre du ciel: en avion, en hélicoptère ou en fusée? Je me souviens que ça l’avait laissé un peu perplexe et que j’avais été tout à fait déçu de son absence de réponse.

Comment le Christ est arrivé dans votre enfance?
Je ne sais pas vraiment. J’ai quand même cessé de croire à Saint-Nicolas relativement vite! Quand est-ce que j’ai commencé à penser à Jésus? Je n’en ai pas un souvenir précis…

Il y a deux camps, à l’approche de Noël. Celles et ceux qui se réjouissent et… les autres. De quelle équipe faites-vous partie?
Des gens qui se réjouissent. Même si c’est quand même un jour de travail. Heureusement, mon travail me plaît! (Rires) Mais je vois bien que pour des personnes, Noël évoque des souvenirs d’une époque heureuse alors que leur présent ne l’est plus à cause de la solitude ou quelque autre souffrance. Ça renforce leur tristesse.

Vous avez quelque chose à dire, à ces gens qui seront dans la peine ce week-end?
(Il réfléchit plusieurs secondes) Noël n’est pas seulement une fête de famille joyeuse, lumineuse et tout ce qu’on veut. Si on regarde la naissance de Jésus, il est venu pour nous montrer que Dieu nous aime. Donc, en prenant ce sens d’origine, Noël doit aussi être quelque chose d’heureux pour les gens dans la souffrance.

Et vous-même, vous ne voyez en Noël que son aspect joyeux?
C’est aussi l’occasion d’avoir des réminiscences un peu nostalgiques. Je dirais que j’ai de bons souvenirs de mon enfance, mais je ne regrette pas de ne plus être un enfant. Ce n’est qu’une nostalgie partielle. Et pas du tout l’aspect dominant.

Pour beaucoup, c’est aussi l’occasion de penser aux proches qui ne sont plus là. Pour vous aussi?
Oui, effectivement. Avec les années, de plus en plus de personnes qu’on a connues dans notre enfance ne sont plus là. Cette réalité est encore davantage marquée chez les personnes plus âgées que moi. Je remarque, par exemple, que Noël est une fête plus difficile pour ma mère que pour moi.

Quelle est sa situation?
Elle se retrouve pratiquement seule dans sa génération. Petit à petit, que ce soit son mari, ses frères et sœurs, ses beaux-frères et belles-sœurs, tout le monde est mort. Dans ces conditions, c’est douloureux.

Et vous, comment allez-vous passer les Fêtes?
Oh, je pense les passer assez bien! (Rires)

Mais vous allez faire quoi, concrètement?
J’ai une messe, le soir du 24 décembre, à 22h30. Puis, une messe le matin et le soir de Noël, dans la cathédrale de Fribourg. Entre-deux, une de mes cousines, qui n’habitent pas très loin, a invité plus ou moins toute la famille. C’est assez rare que je puisse participer à un repas du genre à Noël, mais là, comme c’est juste à côté, je pourrai m’y rendre.

Comment réagit votre famille à votre venue? Vous êtes la superstar du moment? Ça doit être assez incroyable d’avoir l’évêque à sa table à cette occasion.
Non, je crois qu’ils se sont bien habitués. Ça ne les surprend pas beaucoup. Pour être franc, je n’ai pas le sentiment de les impressionner particulièrement. (Rires)

Le portrait de l'évêque Charles Morerod, suspendu à l'évêché, est bien plus moderne que celui de ses prédécesseurs.
Photo: GABRIEL MONNET

Difficile de vous avoir sous la main et de ne pas aborder l’actualité du Vatican. On a appris dans la presse, il y a quelques jours, que le pape avait signé préventivement une lettre de démission en cas de trop gros problèmes de santé. Cette nouvelle, c’est un cadeau sous le sapin?
Il n’est pas le premier à avoir fait ça! Je pense que c’est assez normal. C’est dû à une faille du système. Il n’y a personne qui puisse déclarer à sa place qu’il n’est plus capable. Il doit donc le faire lui-même. Alors, évidemment, il y a ensuite l’interprétation de la lettre qui doit être faite par quelqu’un qui estime qu’il n’est plus capable. En clair: aucun système de destitution n’existe.

Des travaux pour pallier ce vide juridique sont en cours?
Ah, si vous saviez! Il y avait de grandes discussions au XVIe siècle pour savoir si quelqu’un peut démettre le pape dans le cas où il perdrait la foi. Tout ça a débouché sur des débats concernant la relation entre le pape et le concile. Conclusion: pas de vraie réponse à la question initiale. Ainsi, personne ne peut destituer le pape. Par contre, pour certains évêques, on a trouvé d’autres méthodes.

Ah bon? Lesquelles?
La Conférence des évêques suisses s’est une fois réunie en Valais. Nous sommes allés dans un bled dont j’ai complètement oublié le nom. Tout ce dont je me rappelle, c’est qu’il y faisait extrêmement froid. Bref. Une fois sur place, l’évêque de Sion, Jean-Marie Lovey, nous a expliqué pourquoi il nous avait emmenés là-bas. Il y avait récemment joué une pièce de théâtre nommé «Le meurtre de l’évêque». Il nous a dit: «Vous voyez la tour, ici? On a jeté le prince-évêque de Sion dans le vide depuis son sommet. Ainsi, on a pu avoir un nouvel évêque!»

Il y a une tour que je n’aurais pas encore vue, dans votre évêché?
(Rires) Ici, il y a pas mal d’endroits dont on pourrait jeter quelqu’un pour le faire passer de vie à trépas.

Bon, plus sérieusement, quels sont vos vœux pour l’année 2023 qui approche?
(L’évêque se redresse) Il y a des raisons d’être inquiet. La pandémie, le réchauffement climatique et le risque d’une crise nucléaire sont autant de préoccupations. Tout comme la crise climatique, l’éventualité d’une guerre atomique est une menace planétaire sérieuse… Que ces gens puissent être un peu raisonnables, si vous voyez ce que je veux dire.

Il y a, par ailleurs, vos combats personnels qu’on connaît bien. Contre la pédophilie au sein de votre diocèse, notamment. Mais aussi pour révéler ce qui a été commis par le passé. Ça sera toujours une priorité l’année prochaine?
Absolument. Je ne l’ai pas cité avant parce que la menace d’une guerre atomique est plus urgente et massive. Mais oui, dans un but préventif, je crois à l’importance de comprendre le mécanisme qui mène à ces abus. Ce qui implique de les étudier historiquement et beaucoup plus largement qu’uniquement localement.

On parlait du pape François. En a-t-il fait assez face à ces drames qui ont ébranlé l’Eglise ces dernières années?
Je me pose sincèrement la question. Ce n’est pas une manière de ne pas vous répondre. Je m’interroge vraiment. Je n’en suis pas sûr. Il parle de tolérance zéro, mais les victimes n’y croient pas trop. Parce que, mettre en œuvre la tolérance zéro, si elle signifie sanctionner dès l’apparition du moindre soupçon et avant toute enquête, c’est très difficile. Je crois que le pape est affecté par ce qu’il se passe.

Que feriez-vous à sa place?
Je ne sais pas comment j’agirais. Je vois ce que je fais à la mienne, mais nos positions ne sont pas les mêmes. Lui doit gérer des sensibilités très différentes. Il y a des pays où, dans l’Eglise, on ne veut surtout pas parler de ça. Il y en a d’autres où on s’est mis à en parler. Le pape doit faire en sorte qu’on en parle vraiment. Il y a un profond changement de culture à entreprendre.

Mais vous êtes sur la bonne voie?
J’espère! Enfin… On peut dire qu’on est sur la bonne voie. Mais pas partout.

Pour conclure de façon un peu légère, j’aimerais vous sonder concernant un débat ouvert par l’humoriste vaudois Yann Marguet. Qui a raison quant à la création du monde: les astrophysiciens ou la dame du catéchisme?
Les deux!

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Je me réjouis de voir comment vous allez réussir à les concilier…
La Bible se présente, elle-même, comme un texte écrit par des auteurs humains sous une inspiration divine. Mais avec leur propre style, leur propre culture. S’il y a 3000 ans, quelqu’un avait décrit la création du monde avec les connaissances d’astrophysique d’aujourd’hui, personne n’aurait rien compris. Et cela n’aurait pas été nécessaire. En outre, même si la Bible avait été écrite avec les connaissances actuelles, le texte risquerait fortement d’être un peu ridicule dans 100 ans, au vu de la vitesse des progrès scientifiques.

Et donc?
Ces textes disent simplement que: s’il y a ça, c’est que Dieu l’a fait. Ça n’implique pas de prétendre que ça s’est fait en exactement sept jours ou qu’il y a eu la lumière avant le soleil, par exemple. Je ne vois pas d’opposition entre les deux protagonistes de votre question. Par contre, je comprends bien que cette dernière se pose. Ceci dit, il n’est pas sûr que la dame du catéchisme et l’astrophysicien comprennent toujours bien le discours de l’autre.

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