Dès les premiers jours d’octobre, son installation devant la Brasserie Grand-Chêne annonce les prémices de la période des fêtes. Derrière les bâches en plastique, dans une ambiance fraîche et humide, huîtres, moules, bulots, crabes et homard s’étalent sur un lit de glace en attendant d’être dégustés. À l’heure où les montagnes environnantes commencent à se poudrer de blanc, ces délices iodés nous invitent pour une dernière virée à la plage. Riches en vitamines, en minéraux et pauvres en calories, les huîtres, qu’on aime déguster juste ouvertes sur un coin de bar, accompagnées d’un verre de blanc ou en plateau chic avec une coupette de champ', sont le petit (ou grand) luxe qu’on adore.
Aux commandes de ce banc de l'écailler lausannois qui offre depuis vingt-cinq hivers le meilleur des produits de la mer: Tiago Jesus, serial ouvreur de coquillages et champion du monde 2022 de sa profession. C'est lui qui sélectionne et apprête les coquillages avec passion durant toute la saison.
Et côté fruits de mer, il y connaît un rayon: son titre, il l'a obtenu grâce à un plateau en forme de tableau des Jeux olympiques d’hiver, comme un clin d'œil à cette manifestation sportive intimement liée à la ville de Lausanne et à son Palace. Quant à son job, outre la maîtrise parfaite de l’ouverture de ces dangereux mollusques qui, chaque année, envoient des milliers de mains blessées aux urgences, il consiste à explorer, déguster, goûter un produit dont on croit - à tort - tout connaître.
Juste avant le rush des fêtes, durant lesquelles Tiago et son équipe prépareront, entre autres, plus de 120 commandes à emporter le jour de Noël, on a interrogé le pro sur tout ce qu’il faut savoir avant de se payer une bourriche.
Que signifient les numéros des huîtres?
Les chiffres qui accompagnent souvent le nom des huîtres correspondent à leur catégorie. Plus le chiffre est élevé, plus l’huître est petite et légère. Plus il est bas, plus elle est lourde et charnue. Quand les creuses, les plus consommées dans nos contrées, sont classées de 0 à 5, les plates, elles, le sont de 00 à 5.
L’huître creuse numéro 3, le calibre le plus courant, correspond à un spécimen de 66 à 85 grammes, tandis que la Papillon, un modèle tiny mais yummy, se situe entre 30 et 45g. Pour l’apéro, préférez les petites; les moyennes sont parfaites pour une entrée et réservez les grosses, bien présentes en bouche, pour la version gratinée.
En termes de catégories, on distingue aussi les Fines et les Spéciales, deux termes qui font en fait référence au temps d’affinage des coquillages. Il est d’au moins 28 jours pour la Fine de Claire et de minimum quatre semaines pour la Spéciale de Claire, selon les appellations inventées par les producteurs de la région Marennes-Oléron.
Les huîtres, c'est de saison?
Pour Tiago Jesus, la réponse est oui: «J’aimerais d’ailleurs qu’on en propose ici en toute saison. Dans les régions de bord de mer, on en consomme même en plein été.» Mais que faire alors de l’adage qui limite leur consommation aux mois en «r», ce qui exclut donc mai, juin, juillet et août? Pour le champion du monde, c’est une croyance dépassée:
«C’était le cas à l’époque, car les mois d’été sont ceux de la reproduction où l’huître est moins charnue, plus laiteuse. Mais désormais, avec les huîtres triploïdes, qui sont pratiquement stériles, on n’a plus ce problème. Il suffit de choisir des espèces d’huîtres adaptées à la saison.»
Des huîtres triploïdes, quésaco? L’Ifremer, l'institut français de recherche pour l'exploitation de la mer, les définit ainsi: «Les huîtres triploïdes (3n) sont obtenues par croisement entre des huîtres femelles diploïdes (2n) et des mâles tétraploïdes (4n = 40 chromosomes).» Leur intérêt? Elles ne se reproduisent pas et gardent donc toute leur énergie pour la croissance sans jamais être laiteuses, ce qui en fait un produit à la saveur régulière toute l’année.
Quelle différence entre une huître de Méditerranée et une huître de l’Atlantique?
Si on a l'habitude de dire que les huîtres de l'océan sont plus iodées et que celles de mer ont une saveur de noisette plus marquée, Tiago note de plus en plus de subtilités dans les différentes provenances: «Aujourd’hui, on a accès à des huîtres qui viennent d’endroits plus lointains ou qui sont élevées ailleurs que dans leur zone originelle.
Aux côtés de celles de Méditerranée, de Bretagne, de Normandie ou de la côte atlantique, on trouve désormais des produits comme l’Ostra Régal Numéro 3 au goût unique, sucré et iodé, qui passe une partie de sa vie en mer d’Irlande, une eau très froide qui amène beaucoup de salinité, avant de revenir en Bretagne. La Gillardeau, à la chair ferme, croquante et moelleuse, passe du temps dans des parcs en Irlande ou au Portugal. Comme pour les vins, le terroir a une influence sur les huîtres.»
Comment déguster les huîtres?
«C’est ainsi que je les préfère, assure Tiago. C’est le seul moyen pour se rendre compte de la finesse de leur chair, des subtilités des différentes saveurs selon les provenances. Il n’y a rien de meilleur que le produit brut. C’est pareil pour les Saint-Jacques, rien ne vaut un coquillage frais servi en fines lamelles!» Pour accompagner les huîtres, Tiago ne jure que par le vin blanc sec.
Comment choisir les huîtres et les conserver?
Si vous les achetez en bourriche, cette espèce de panier en bois fin sans anses, laissez-les dedans bien serrées et conservez-les à une température comprise entre 4 et 6 degrés. Le bac à légume du frigo est une bonne solution et c’est entre 4 et 6 jours après leur sortie de l’eau de mer qu’elles sont les meilleures. «Lorsqu'elles ne sont pas ouvertes, elles peuvent se conserver ainsi une dizaine de jours après la date de production. Par contre, une fois ouvertes et conservées sur un lit de glace, elles doivent être consommées dans les trois heures maximum.» En ce qui concerne l’eau rejetée par les mollusques, le champion du monde conseille de jeter la première, car elle est très salée et peut être chargée d’impuretés.