Depuis aussi loin que je me souvienne, ma mère et moi avons toujours confectionné des biscuits de Noël. Petite, j’étais debout sur une chaise pour être suffisamment élevée pour former les milanais ou les bruns de Bâle. Mais honnêtement, j’en avais rapidement assez de découper soigneusement ces formes à l'emporte-pièce et préférais m’empiffrer de pâte dès que ma mère avait le dos tourné.
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Vingt ans plus tard, la tradition se poursuit. Même si je ne vis plus avec mes parents, j’essaie toujours de m’arranger pour bloquer une ou deux journées pour aider à préparer les biscuits de Noël. Autant de temps? Oui, car dans la famille, nous en confectionnons toujours près de dix sortes – donc des centaines de biscuits au total – même si, chaque fois, nous nous promettons d’en faire moins l’année suivante.
Une tradition ancestrale
Historiquement, la tradition de faire des biscuits remonterait à l’ère préchrétienne. Les premières traces de recettes nous viennent du Moyen-Âge, lorsque la cannelle, le gingembre, le poivre et les amandes gagnèrent en popularité. Selon la légende, les populations paysannes préparaient des biscuits en forme d’étoiles, de cœurs ou encore de triangles pour chasser les mauvais esprits pendant le solstice d’hiver.
On retrouve la tradition de confectionner des biscuits principalement au nord et à l’ouest de l’Europe, notamment dans les régions ayant été sous influence germanique à un moment de l’histoire. Ils sont incontournables en Alsace, en Belgique, au Luxembourg, aux Pays-Bas, en Allemagne et évidemment en Suisse. L’origine des variétés de biscuits d'aujourd’hui et de leur forme n’est pas connue avec précision. Les premières recettes écrites pour les crêtes-de-coq à l’anis, les bruns de Bâle, les étoiles à la cannelle et les milanais remontent au XVIIIe siècle, mais les chercheurs supposent qu’ils étaient déjà confectionnés auparavant en Suisse alémanique. Ces sortes de biscuits ont connu un nouvel essor avec l’apparition des écoles ménagères, qui enseignaient les différentes techniques nécessaires à la pâtisserie.
Un plan de bataille
Le choix des variétés et des recettes est propre à chaque famille. Chez moi, les classiques sont à l’honneur avec quelques additions plus contemporaines au fil du temps. Cette année, nous en avons fait dix sortes: crêtes-de-coq, bruns de Bâle, étoiles à la cannelle, milanais, croissants à la vanille, lunes au citron, roses des sables au chocolat, miroirs, macarons à la coco et le petit nouveau: cookie au gingembre. «C'est la nouvelle recette qu'on va tester cette année», m'annonce ma mère. Pour produire tous ces biscuits, j’ai réservé deux jours à la mi-décembre. Je la retrouve chez elle, car sa cuisine est évidemment plus grande et mieux équipée que la mienne.
Avant de mettre les mains à la pâte, il faut établir un plan de bataille et sortir le beurre du frigo pour qu’il se tempère. Les courses sont déjà faites, et rien n’a été oublié grâce au tableau Excel que ma mère a créé il y a quelques années. «Bon, tu vas commencer par la pâte des brunsli, moi, je m’occupe des zimtsterne et des milanais», me lance-t-elle, décidée, avec un léger accent qui trahit ses origines suisses alémaniques. Oui, chef! Il faut être bien organisé, car chaque biscuit a ses particularités: les bruns de Bâle doivent être découpés et laissés à sécher pendant une nuit avant la cuisson, alors que la pâte des miroirs doit reposer plusieurs heures et être bien froide avant d’être formée.
Tout à l’huile de coude
Et c’est parti! Spatules à la main, nous commençons à mesurer les amendes moulues, le sucre et le beurre… Beaucoup de beurre, recommande Betty Bossi, notre référence. «Ne te trompe pas dans les ingrédients», insiste-t-elle. Je soupire, agacée d’être traitée comme une enfant. Et je n’ai pas manqué de le lui rappeler lorsqu’elle a mis du cumin à la place de l'anis dans des biscuits… à l’anis. Il faut dire que les pots se ressemblent. Fou rire. C’est aussi ça, faire des biscuits en famille: des petites tensions et beaucoup de bonne humeur. Bonne humeur symbolisée par les cœurs de chocolat que je découpe à la chaîne.
A 23h, après 7 heures de travail debout, les bruns de Bâle, les étoiles à la cannelle, les lunes au citron et les crêtes-de-coq sèchent sur la table du salon. «Pourquoi est-ce que je m'inflige ça chaque année, soupire ma mère en s'étirant. Qu'est-ce qu'on ne fait pas pour faire plaisir à sa famille.» Le reste des pâtes est au frigo. Il est temps d’aller reposer nos bras et nos poignets, fatigués à force de mélanger. Tout est fait à l’huile de coude. Pas parce que nous sommes des puristes, surtout par habitude: «C'est vrai qu'on aurait pu faire les pâtes au robot, remarque-t-elle, je n'y ai même pas pensé. Je les ai toujours faits comme ça.»
Une nouvelle tradition familiale
Après une nuit où le cœur, les lunes et les étoiles ont dansé derrière nos paupières, ma mère et moi relevons à nouveau nos manches. Le four est déjà chaud: les premières plaques cuiront pendant que nous étalons le reste des pâtes à coups de rouleau. Je me lance dans la confection des croissants à la vanille, les plus infernaux à former: la pâte est tellement friable qu’il faut prendre son mal en patience. «Ce sont vraiment mes préférés, mais qu'est-ce qu'ils sont embêtants à faire, commente ma mère. Je suis bien contente que tu les fasses toi cette année!»
Je sors la règle. Parce que oui, ici, c’est du sérieux: les milanais font 7 millimètres d’épaisseur, les croissants à la vanille mesurent 4 centimètres et chaque cookie au gingembre pèse 8 grammes très précisément. «Sinon, ils ne cuiront pas tous de la même façon», me répète ma mère.
Alors que je forme péniblement mon 156e croissant à la vanille, je m’interroge: «Maman, comment tu as commencé à faire des biscuits?» Je sais qu’elle n’en a jamais confectionné avec sa mère, ce n’était pas son truc. «Comme j’aimais bien cuisiner quand j’étais jeune, ça m’a paru logique de faire des biscuits de Noël.» Son déménagement en Suisse romande ne l’a pas freinée dans son élan, au contraire: «Je prenais un jour de congé pour faire des biscuits de Noël. Ça faisait tellement plaisir à mes collègues.» Ma naissance l’a encouragée à continuer, «pour créer une nouvelle tradition en famille».
Retour à l’enfance
Pendant que la dernière plaque passe au four, je passe au comptage. Bilan: nous avons confectionné 688 biscuits en l’espace d’une quinzaine d’heures. Je note ce chiffre avec un sentiment fierté. Une douce odeur vanillée continue d’embaumer la maison.
Alors que nos vies vont à 100 à l’heure, trouver un créneau pour confectionner des biscuits n’est pas facile. Mais s’arrêter un moment et réaliser quelque chose de ses petites mains de A à Z permet de souffler, de renouer avec ses racines et de passer du temps en famille. Pour moi, faire des biscuits de Noël, c’est retourner en enfance, et retrouver un peu d’insouciance en piquant des morceaux de pâte dans le dos de ma mère. Mais faire des biscuits de Noël, c'est aussi retrouver le plaisir d’offrir quelque chose de simple que l’on a fait soi-même.