Les riverains et les communes sont dupés
Le truc de Simonetta Sommaruga pour empêcher les oppositions à la 5G

La couverture du réseau par les antennes 5G risquait d'échouer en raison d'une avalanche de recours. La Confédération et les cantons limitent désormais les possibilités d'opposition avec une astuce légale simple, laissant les riverains et les communes dans l'impasse.
Publié: 27.12.2021 à 06:06 heures
|
Dernière mise à jour: 27.12.2021 à 07:16 heures
1/4
L'utilisation d'un facteur dit de correction ne doit plus être soumise à autorisation.
Photo: Keystone
Danny Schlumpf

Le débat autour des antennes 5G s’envenime en Suisse. Trois pommes de discorde l’expliquent: la construction de nouvelles antennes, la transformation d’anciennes installations et l’augmentation de la puissance d’émission. Dans les trois cas, les opérateurs de téléphonie mobile, la Confédération et les cantons luttent désespérément contre une avalanche d’oppositions.

Le secteur des télécommunications a déclaré dès le début que seules une multitude d’antennes 5G et une puissance d’émission plus élevée permettraient de déployer la nouvelle technologie sur l’ensemble du territoire.

Les opposants aux antennes sont tout aussi clairs et assurent qu’aucun des deux n’est envisageable! La Confédération et les cantons manœuvrent entre les deux fronts de manière si maladroite que le conflit s’est envenimé en un rien de temps.

Plus de 3000 oppositions déposées en Suisse

Le premier point de litige concerne les nouvelles constructions 5G. Ces antennes dites adaptatives émettent de manière ciblée et devraient donc, selon les opérateurs de téléphonie mobile, générer bien moins de rayonnement électromagnétique que ce que les opposants craignent. Mais de nombreux riverains n’y croient pas. Dans toute la Suisse, plus de 3000 oppositions ont déjà été déposées contre la construction de telles installations.

La deuxième pomme de discorde concerne les transformations. Swisscom et consorts peuvent transformer des installations conventionnelles en antennes 5G. C’est possible pour la plupart des 20’000 pylônes du pays. Mais là aussi, les plaintes risquent d’affluer. Car la transformation en une antenne adaptative est une modification de l’installation. Il faut donc un nouveau permis de construire, ce qui ouvre la voie à des recours de la part des riverains. C’est la conclusion d’une expertise réalisée par l’Institut du droit de la construction de l’Université de Fribourg en été 2021.

Procédure «bagatelle»

Les cantons ont voulu remédier au problème par une astuce. Sur le conseil de la Confédération, ils ont davantage utilisé la procédure dite «bagatelle» pour les transformations. En effet, cette procédure rapide ne permet pas de faire opposition. Les cantons l’ont appliquée plus de 3000 fois.

Les experts juridiques fribourgeois ont été critiques sur ce point et ont souligné la nécessité d’une procédure ordinaire avec possibilité d’opposition, étayant ainsi un jugement du tribunal administratif bernois qui était déjà arrivé à cette conclusion début 2021.

Introduction d’un «facteur de correction»

La troisième pomme de discorde est l’augmentation de la puissance d’émission. Il existe certes des valeurs limites de rayonnement fixées par la loi. Mais sur recommandation des opérateurs de téléphonie mobile, la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga a introduit l’utilisation d’un «facteur de correction». Celui-ci permet à Swisscom et autres de dépasser de manière irrégulière la valeur limite prescrite pour la puissance des antennes adaptatives, tant que celle-ci est respectée en moyenne.

Seulement voilà: tout comme le rééquipement, l’utilisation d’un facteur de correction constitue une modification de l’installation, affirment les experts juridiques de l’université de Fribourg. C’est pourquoi des recours devraient être possibles dans ce cas également.

Une antenne 5G en feu dans le canton de Berne
0:27
Incendie criminel:Une antenne 5G en feu dans le canton de Berne

La DTAP et l’OFEV changent d’avis

Le mandat pour l’expertise a été confié par la Conférence des directeurs cantonaux des travaux publics et de l’environnement (DTAP). «Nous reprenons cette interprétation», a commenté son vice-président Jean-François Steiert en octobre à nos collègues de SonntagsBlick. «Une nouvelle technologie ne doit pas être introduite par-dessus la tête des citoyens», explique le politicien socialiste.

Mais aujourd’hui, la DTAP a changé d’avis. L’utilisation d’un facteur de correction n’est plus considérée comme une modification de l’installation, estiment désormais les cantons. Avec ce revirement, ils rejoignent la position l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), qui a aussi retourné sa veste récemment.

Certes, l’office avait déclaré à SonntagsBlick en automne 2020 qu’une autorisation sera nécessaire pour toutes les antennes dont la puissance d’émission doit être augmentée. Mais à la fin de la semaine dernière, l’OFEV a fait savoir que l’utilisation d’un facteur de correction n’était pas une modification et qu’elle n’était donc pas soumise à autorisation. Aucune objection ne sera donc plus possible. La nouvelle règle entrera en vigueur dès le 1er janvier 2022.

Dans une lettre adressée aux cantons fin octobre, l’OFEV parlait d’une «modification insignifiante». La réalité est autre. La décision concerne tout d’abord les 600 antennes adaptatives qui existent désormais dans le pays et qui ont été autorisées dans le cadre d’une procédure ordinaire.

Réduction du nombre de plaintes à venir

L’OFEV ouvre ainsi la voie à l’augmentation de la puissance des 3000 antennes adaptatives qui ont déjà été approuvées dans le cadre d’une procédure mineure. L’ordonnance modifiée stipule en effet de manière très générale que «l’application d’un facteur de correction aux antennes émettrices adaptatives existantes n’est pas considérée comme une modification d’une installation». Cette définition s’applique judicieusement indépendamment de la pratique d’autorisation.

Interrogé par nos confrères de SonntagsBlick, l’OFEV n’a pas démenti cette affirmation. Et l’Association suisse des télécommunications (ASUT) le lit également ainsi. Pour Swisscom et Cie, c’est une bonne nouvelle. «Le nombre de plaintes sera certainement réduit», déclare le directeur de l’ASUT Christian Grasser.

«Il pourrait s’agir de beaucoup plus»

La décision ne réjouit pas Rebekka Meier, présidente de l’association «Protection contre le rayonnement» (Schutz vor Strahlung). «En fin de compte, dit-elle, il pourrait s’agir de beaucoup plus d’antennes».

Après avoir reçu l’expertise fribourgeoise, la DTAP a recommandé de ne plus mener de procédures mineures jusqu’en mars 2022. «Mais le revirement concernant le facteur de correction montre clairement que la DTAP peut rapidement changer d’avis», déclare Rebekka Meier.

La porte serait alors grande ouverte au rééquipement et à l’augmentation de puissance de milliers d’antennes en Suisse, et ce sans possibilité de recours. «La conseillère fédérale Simonetta Sommaruga met en péril l’Etat de droit», assène Rebekka Meier.

Contre les experts fribourgeois?

L’OFEV et la DTAP se disent convaincus de ne pas contredire l’expertise fribourgeoise. Ils soulignent à l’unisson que cette décision renforce la sécurité juridique. Reste à savoir si les communes sont du même avis. Elles sont compétentes en matière de permis de construire et courent désormais le risque d’être ignorées dans le cadre de la 5G.

Les oppositions au facteur de correction ne sont donc plus d’actualité pour le moment. Mais dès que les antennes rayonneront davantage, les riverains pourront déposer des recours juridiques, comme ils le font déjà pour les procédures mineures. Les tribunaux devront alors se pencher sur la question. On ignore s’ils se rallieront à l’OFEV ou aux experts juridiques fribourgeois.

(Adaptation par Alexandre Cudré)

Découvrez nos contenus sponsorisés
Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la