L'entreprise Skyguide est responsable du bien le plus précieux de l'aviation civile. Elle surveille l'espace aérien suisse et garantit ainsi la sécurité des passagers et du personnel. L'entreprise fédérale basée à Meyrin dans le canton de Genève traverse toutefois de graves turbulences depuis quelque temps. Une série de pannes techniques, une pression économique grandissante et un manque de personnel ont fait la une des journaux dans toute la Suisse.
Aujourd'hui, un document émanant de l'intérieur de l'entreprise montre que Skyguide va mal. Blick dispose d'un mail de Klaus Meier, le Chief Technology Officer (CTO) de l'entreprise. Le 8 mars, il s'est adressé aux quelque 600 collaborateurs de son département. Le chef technique y écrit qu'il s'agit d'une «situation très grave» pour Skyguide: «Nous sommes en crise, et il n'y a pas d'autre mot plus approprié pour décrire la situation que nous traversons en ce moment.»
Il poursuit: «L'accumulation des récents problèmes techniques, l'écho médiatique et la perte de confiance dans notre entreprise, ainsi que le débat sur la conformité avec l'Office fédéral de l'aviation civile (OFAC) qui s'en est mêlé ont créé une sacrée tempête.» Ce dernier point fait référence à l'échange avec l'OFAC qui, en tant qu'autorité de surveillance, surveille de près l'entreprise.
Stress, angoisses et incertitude
Le chef technique dénonce également la pression quotidienne exercée sur les contrôleurs aériens: «La pression est forte et le sentiment de ne pas offrir un bon service à nos partenaires est frustrant. Il ajoute: Certains d'entre nous doivent faire face à des angoisses en raison de la pression exercée 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, mais également des incertitudes.»
Les difficultés auxquelles fait face Skyguide ne s'expriment pas seulement en termes de gestion d'entreprise, elles se répercutent aussi sur le domaine de la sécurité. Ces derniers temps, l'entreprise a fait parler d'elle plusieurs fois pour de graves pannes. A plusieurs reprises, les contrôleurs ont dû annoncer un «Clear the Sky»: l'espace aérien a dû être fermé. Cette mesure de dernier recours n'est appliquée que lorsque les services de la navigation aérienne ne sont plus en mesure d'exclure à 100% une collision entre deux avions.
Le dernier incident connu remonte au 18 février, lorsqu'un serveur a temporairement ralenti. Le 30 octobre 2023, le trafic aérien est resté bloqué pendant deux heures à l'aéroport de Zurich. Une erreur de manipulation lors de la mise en place de nouveaux pare-feux en était la cause. Plus de 6000 passagers ont été touchés par cette panne de logiciel.
Espace aérien bloqué
L'incident le plus grave s'est produit le 15 juin 2022, lorsque l'espace aérien a dû être fermé pendant cinq heures entières. Aucun avion n'a été autorisé à survoler la Suisse, et encore moins à décoller ou à atterrir. Il s'agissait de la plus grande panne de l'histoire de la compagnie. On a appris plus tard qu'un commutateur défectueux était à l'origine de la panne.
Il y a quelques semaines, fin février, le syndicat des contrôleurs aériens Helvetica a tiré la sonnette d'alarme dans une lettre adressée au patron de Skyguide, Alex Bristol. Dans cette lettre, citée par les journaux de Tamedia, le syndicat remet en question la garantie de la sécurité: «Le personnel d'exploitation a perdu confiance en nos systèmes.» Selon eux, l'objectif prioritaire est que les usagers sur le tarmac volent à une distance suffisante les uns des autres. «Mais en même temps, nous sommes dominés par la peur des pannes de système. Nous ne pouvons plus tolérer cette charge.»
L'une des raisons de cette série de pannes est sans doute que Skyguide se trouve actuellement dans un processus de transformation: alors que certains systèmes ont déjà été migrés vers une nouvelle infrastructure virtualisée, l'ancienne infrastructure n'est pas encore totalement hors service. Dans un communiqué relatif au rapport annuel 2023, on peut lire que cette double exploitation temporaire augmente la sensibilité aux erreurs.
Le contexte financier est, lui aussi, difficile: on s'est certes remis des années Covid, mais les charges d'exploitation ont augmenté de 10% pour atteindre 519 millions de francs en raison de fortes fluctuations du trafic.
L'OFAC est méfiante
L'OFAC reste vigilante: après l'incident du 15 juin 2022, ses activités de surveillance avaient été augmentées, et après le dernier incident grave du 18 février 2024, une «taskforce de haut niveau» avait été mise en place avec Skyguide pour «se faire une idée actuelle des développements dans les domaines de la technique et des opérations».
Comment alors, l'entreprise Skyguide, va-t-elle «naviguer hors de la crise», comme l'affirme Klaus Meier? Dans son mail, le chef technique propose des solutions: tout d'abord, il faut s'assurer que les systèmes fonctionnent comme prévu.
Deuxièmement, le domaine des logiciels doit être remis à niveau avec de nouvelles «versions techniques» et des «projets CNS critiques». Les CNS sont des systèmes de communication, de navigation et de surveillance qui constituent l'épine dorsale technique de la gestion du trafic aérien, comme l'écrit skyguide sur son site Internet.
Troisièmement, la stabilité du système doit faire l'objet de «toute l'attention» afin d'inverser les «réductions de capacité actuelles». «Nous devons continuer à fournir les corrections et les améliorations nécessaires au programme de résilience.»
Selon le service de presse de Skyguide, le programme de résilience est une mesure qui a été mise en place après l'incident «Clear the Sky» du 15 juin 2022. Il s'agit de mettre en œuvre systématiquement les recommandations de l'enquête externe sur le sujet, comme l'écrit une porte-parole. L'enquête menée par le Département fédéral des transports, des communications et de l'énergie (DETEC) contenait 14 recommandations visant à améliorer les services de la navigation aérienne, dont certaines avaient pour but de renforcer la résilience. En d'autres termes, il s'agit de rendre les systèmes et processus techniques plus résistants en cas de crise. Les auditeurs externes avaient constaté que la panne du 15 juin 2022 aurait probablement pu être évitée si un message de problème n'avait pas été considéré comme une fausse alerte.
Sécurité garantie?
Une grande partie des mesures ont été mises en œuvre entre-temps, indique-t-on du côté de Skyguide, «quelques nouveautés techniques importantes sont encore en attente et seront mises en œuvre dans les prochaines semaines». En ce qui concerne les prescriptions non respectées, la mise en œuvre de ces dernières nécessiteront du temps.
L'OFAC affirme que «la sécurité dans l'espace aérien suisse a toujours été et reste garantie». C'est avec hésitation que l'on reconnaît la nécessité d'agir: un échange hebdomadaire a lieu avec Skyguide dans le cadre de la «taskforce». Les «nombreuses questions» relatives aux solutions seraient ainsi «encore mieux coordonnées et accompagnées par nos soins». Skyguide annonce: «Nous travaillons de manière très étroite et transparente avec notre propriétaire et régulateur.»
Reste à savoir comment la direction va réagir. L'ancien commandant des forces aériennes Aldo Schellenberg et l'ex-pilote d'avion de combat et conseiller d'Etat UDC Res Schmid siègent au Conseil d'administration de l'entreprise. Walter T. Vogel, «administrateur professionnel», en est le président. C'est à eux que revient la responsabilité de sortir Skyguide de cette zone de turbulence.