Les questions relatives à la migration ne sont pas qu'un dossier politique pour Samson Yemane: c'est l'histoire de la vie du conseiller communal lausannois. Le socialiste n'avait que «12 ou 13 ans» lorsqu'il a fui l'Érythrée en direction de la Libye puis de l'Europe. Sur un bateau.
Aujourd'hui bientôt trentenaire et naturalisé, le Vaudois travaille à l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés et s'est beaucoup engagé dans la votation sur Frontex, l'agence européenne de protection des frontières dont il a fait le sujet de son mémoire de master.
Malheureux de l'issue de la votation sur le plan fédéral, Samson Yemane essaie d'agir à son échelle: celle de sa commune de Lausanne. Il vient de déposer un postulat pour rendre la capitale vaudoise «inclusive et non-discriminante». Interview.
Vous écrivez que Lausanne a directement participé, voire contribué à l'esclavage et au colonialisme. À quoi faites-vous référence?
C'est là tout l'enjeu: la population n'a pas du tout conscience qu'au début du XXe siècle encore et même jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, il y avait des «zoos humains» au coeur de Lausanne. La Suisse a accueilli des dizaines de «villages nègres» et autres exhibitions exotiques, pour le plus grand plaisir des habitants. Il y a donc un immense devoir de mémoire et de visibilisation.
Votre postulat a pour point de départ le travail d'une étudiante sur une devanture au Flon. Or, la régie voulait justement faire retrouver au bâtiment son visage d'origine. N'est-ce pas précisément un travail de mémoire?
Où est l'importance historique de cette inscription? Elle avait été effacée et, là, on la fait renaître sans contexte, sans explication. Il s'agit purement de racisme ordinaire, et c'est pour cela que j'ai pris autant cette histoire à cœur: elle mérite que des mesures soient prises.
Par exemple?
Tout dépend du contexte. Pour cette inscription, beaucoup de gens sont pour qu'elle soit effacée, car elle n'a pas vraiment d'utilité et elle heurte les personnes concernées. De manière générale, je milite pour qu'un état des lieux soit réalisé sur le passé colonial de Lausanne. Cela peut prendre plusieurs formes (conférence, discussion, etc.), mais devrait impérativement inclure des personnes compétentes dans ces sujets-là.
Jusqu'où cela peut-il aller? Le stade Pierre de Coubertin (ndlr: notoirement raciste, persuadé de la supériorité des Blancs sur les Noirs) doit-il être rebaptisé, selon vous?
C'est un bon contre-exemple: dans ce cas, ce lieu a un important héritage historique. Le rebaptiser serait contre-productif et ne serait pas compris par la population. Je ne suis pas pour réécrire l'histoire, ni pour créer une polémique, mais pour sensibiliser les Lausannois: pourquoi ne pas mettre une mention sur place, ou réaliser quelque chose au Musée olympique par exemple?
N'est-ce pas un peu infantilisant, comme démarche? Faut-il vraiment une intervention du monde politique?
Il y a toujours des combats plus importants que d'autres, mais celui-ci est très légitime à mes yeux. Cette inscription heurte beaucoup de monde, et le vivre-ensemble est primordial, surtout au niveau communal. Plusieurs études scientifiques prouvent que reconnaître notre passé colonial nous amène à consolider notre cohésion sociale. D'autres villes (Berne, Zurich, Genève...) ont d'ailleurs fait cet exercice.
Lausanne dispose déjà pour cela d'un Bureau lausannois pour les immigrés (BLI), avec notamment une permanence contre le racisme. Vous voulez aller plus loin?
Mon postulat s'inscrit précisément dans ce contexte. Le travail du BLI est crucial et contribue intellectuellement à notre cohésion sociale. Je veux encourager la Municipalité à mettre l'accent sur l'histoire coloniale. Je l'ai vu avec les réactions après votre premier article: c’est un sujet tabou, très clivant et qui fait parler tout le monde. Un débat public éclairé n'en sera que plus bénéfique. «Décoloniser» l’espace public ne vise en aucun cas à falsifier l’histoire de notre commune — au contraire, le but est de reconnaître les faits historiques et de sensibiliser.
Informée par la Ville que l’inscription «Magasin de denrées coloniales» du Flon faisait débat, la régie propriétaire du bâtiment assure à Blick qu’elle avait comme «unique perspective un rappel purement historique de la fonctionnalité du bâtiment».
C’est pour cette raison que Mobimo a voulu restituer le nom des enseignes présentes au Flon comme au début du XXe siècle. «Nous comprenons les sensibilités actuelles et sommes conscient des préoccupations de notre société face à des faits socio-historiques ainsi qu’à la portée sémantique des mots», assure Hélène Demont, porte-parole pour la Suisse romande.
Mobimo estime qu’en tant qu’acteur économique, elle n’a «pas la légitimité de porter un jugement sur des faits historiques se rapportant à l’inscription». Mais elle veut la replacer dans son contexte avec une notice explicative, et se conformera à la décision de la Ville si un effacement venait à être décidé.
Informée par la Ville que l’inscription «Magasin de denrées coloniales» du Flon faisait débat, la régie propriétaire du bâtiment assure à Blick qu’elle avait comme «unique perspective un rappel purement historique de la fonctionnalité du bâtiment».
C’est pour cette raison que Mobimo a voulu restituer le nom des enseignes présentes au Flon comme au début du XXe siècle. «Nous comprenons les sensibilités actuelles et sommes conscient des préoccupations de notre société face à des faits socio-historiques ainsi qu’à la portée sémantique des mots», assure Hélène Demont, porte-parole pour la Suisse romande.
Mobimo estime qu’en tant qu’acteur économique, elle n’a «pas la légitimité de porter un jugement sur des faits historiques se rapportant à l’inscription». Mais elle veut la replacer dans son contexte avec une notice explicative, et se conformera à la décision de la Ville si un effacement venait à être décidé.