Le PS lausannois pourrait agir
La devanture d'un bâtiment du Flon est-elle raciste?

Depuis 2019, une inscription «magasins de denrées coloniales» trône sur un bâtiment de la place de l'Europe, au cœur de Lausanne. Mise en lumière par un travail universitaire, cette mention pourrait faire l'objet d'une intervention du Parti socialiste.
Publié: 03.05.2022 à 04:33 heures
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Dernière mise à jour: 15.06.2022 à 14:19 heures
L'inscription problématique se trouve en plein centre-ville de Lausanne.
Photo: Keystone/DR
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Adrien SchnarrenbergerJournaliste Blick

Des dizaines de milliers de personnes passent devant tous les jours, mais aucune n’avait tiqué. Depuis 2019, une inscription figure en lettres capitales sur les trois côtés du bâtiment abritant la Migros du quartier du Flon, à Lausanne: «Magasins de denrées coloniales».

Grise sur blanc et en hauteur, la mention est discrète, mais suffisamment visible pour attirer l’attention de Sandra-Flore Delaloye, étudiante en anthropologie à l’Université de Neuchâtel. Elle en a fait son mémoire de master, intitulé «Mystère d’un non-problème dans l’espace public à Lausanne».

L'inscription sur la maquette...
Photo: DR
...et dès la rénovation en 2019.
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Ce qui est piquant, c’est que l'épigraphe est apparue à une époque où les villes ont plutôt tendance à faire disparaître, ou du moins remettent en question, la visibilité de certaines figures sulfureuses. C'est le cas de David de Pury à Neuchâtel ou de Carl Vogt à Genève, par exemple.

À Berne, l'installation d’un Colonial Bar à l’emplacement d’un ancien magasin de denrées coloniales avait suscité l’ire d’un collectif lors de son ouverture en 2016. L’exploitant avait admis avoir choisi le nom avec «négligence» et accepté de modifier le nom de l’établissement.

Le «Colonial Bar» de Berne a été rapidement rebaptisé après son ouverture.
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À Lausanne, c'est l'inverse qui s'est produit. L’enseigne du bâtiment de la place de l’Europe avait, en effet, disparu dès 1977. Le terme «denrées coloniales» avait été remplacé par «cafés & thés en gros» — un intitulé correspondant mieux aux produits vendus sur place mais s’inscrivant surtout dans un contexte de désamour pour l’époque coloniale.

D'après les plans de 1911

Pourquoi l’avoir ressuscité? L’enquête de l’étudiante montre que l’édifice en question a été rénové il y a deux ans par la régie K. Celle-ci dit s'être inspirée des plans du début du XXe siècle, de 1911 exactement. «Le bâtiment était ancien et comme c’est l’entrée du Flon, il a été décidé de le mettre en valeur», est-il écrit dans le procès-verbal de l’entretien mené par Sandra-Flore Delaloye avec la régie.

Les autres témoignages récoltés par l'étudiante attestent de cette remise en état «comme à l’époque». «J’ai réalisé que personne n’avait vraiment connaissance de ces inscriptions et de leur aspect problématique. Qu’il s’agisse de la régie, de l’architecte ou de la ville», explique-t-elle à Blick.

Mais cette inscription est-elle vraiment un problème? Le touffu cadre théorique du travail — qui a par ailleurs été récompensé par une excellente note — l’atteste: «Le terme 'coloniales' peut faire référence à l’exploitation et à la souffrance humaine envers les peuples colonisés. Son emploi nécessite donc d’être contextualisé. L’apparition sans explication en 2019 représente donc de la violence épistémique.»

«Quand même, ça gêne...»

La Ville de Lausanne, via son Service du patrimoine, explique ne pas avoir été consultée, quand bien même le bâtiment est classé. «Ce que l’on a validé, ce sont les matériaux et les couleurs, pas les inscriptions», se défend l’architecte de la Ville. Ce qui ne l'empêche pas de reconnaître le problème: «Il y a eu un bug dans les validations, nous n'avons pas eu le filtre nécessaire. À l'évocation de ce texte à l'interne, tout le monde s'est dit 'Ah oui, quand même, ça gêne...'».

Tandis que la régie admet également avoir «manqué de réflexion» par rapport à cette enseigne, la Migros botte en touche, expliquant qu’elle est locataire et qu’elle n’est pas concernée par la façade du bâtiment. Se peut-il que ces écrits aient une valeur patrimoniale, l’édifice étant classé? Ce n’est pas le cas, assure l’architecte de la Ville. «Sur les fiches historiques, il n’est jamais fait mention de ces inscriptions», explique-t-elle.

Le PS pourrait intervenir

Sandra-Flore Delaloye l’écrit: il s’agit pour l’instant d’un «non-problème», personne ne s’étant plaint jusqu’ici. Elle l’explique par deux facteurs: la discrétion de l’inscription, peu lisible et en hauteur, mais aussi l’absence d’un «relais» de l’indignation qui pourrait porter cela sur le terrain politique.

Pour son travail, Sandra-Flore Delaloye a été récompensée d'une excellente note par l'Université de Neuchâtel.
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Cela pourrait changer par l’entremise de Samson Yemane. Le conseiller communal socialiste de Lausanne va solliciter une discussion entre son groupe politique et l’administration communale. «Nous envisageons une intervention parlementaire, dont la forme est encore à définir», explique-t-il à Blick.

À titre personnel, l’employé de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) verrait d’un bon oeil la disparition de l’enseigne: «Étant moi-même racisé, je sais à quel point la communauté afro et afro-descendante est sensible au racisme ordinaire. Une telle inscription n’a pas sa place, surtout pas en plein centre-ville. Il faudrait au minimum y apposer une plaque explicative.»

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