Un quatrième parcours de golf romand a subi les affres de vandales, dans la nuit de samedi à dimanche. Après Vaud et Genève, c’est dans le canton de Fribourg que les greens ont été endommagés. «Les auteurs, dont le mode opératoire ressemble aux activistes climatiques, n’ont pas revendiqué l’action», nous apprend «24 heures», à qui la police fribourgeoise a confirmé le dépôt d’une plainte pénale.
Tandis que les déprédateurs avancent masqués, c’est un message on ne peut plus revendiqué qui est arrivé dans la boîte mail des rédactions romandes. Son auteur? L’ancien politicien écologiste Fernand Cuche, 76 ans et toujours aussi militant. Sur son site internet, l’agriculteur de Lignières met d’ailleurs en avant son engagement avant ses mandats politiques, qui l’ont mené du Grand Conseil neuchâtelois au Conseil d’État avec un crochet par Berne et le Conseil national (1999-2005).
«Les terrains choisis pour y accueillir des golfs, argumente l'ancien élu dans son communiqué, sont des surfaces nourricières, plates, fertiles et choisies pour leur exposition au soleil, leur profonde couche de terre végétale et la possibilité de capter de l'eau dans la proximité.» Un sacrifice d'autant plus regrettable dans un contexte de dérèglement climatique, où renforcer la sécurité alimentaire se révèle nécessaire, poursuit-il.
Pour autant, cette urgence justifie-t-elle le vandalisme? Le retour du vieux sage dans l’arène politique surprend jusqu’à Berne, où le conseiller national neuchâtelois en exercice Damien Cottier, lui aussi Neuchâtelois, dénonce «une nouvelle prise de position de représentants Verts qui trouvent des excuses pour des atteintes à la propriété». Ce serait même, aux yeux du chef de groupe PLR sous la Coupole, une «négation des règles qui valent dans une République».
Qu'en dit le principal intéressé? Blick a contacté Fernand Cuche pour savoir ce qui se cachait derrière cette solidarité soudaine et engagée en faveur des jeunes militants climatiques.
Pourquoi ce besoin de soutenir une action de déprédation de terrains de golf?
Oh, je n’ai pas attendu le collectif Grondements des Terres pour critiquer les terrains de golf. Il y a presque vingt ans, en 1994, lorsque le plus beau domaine agricole de toutes les Franches-Montagnes est devenu un green à 18 trous aux Bois (JU), j’avais déjà tenté de m’y opposer.
Si le golf vous dérange, il y a des voies démocratiques, que vous connaissez mieux que quiconque au vu de votre parcours politique. Pourquoi encourager le vandalisme?
Il est vrai que je dois mettre un bémol à mon soutien: je partage l’esprit de l’action, un peu moins le mode opératoire. À l’époque de mon militantisme, j’ai toujours convaincu mes collègues paysans d’agir à visage découvert, de revendiquer de manière très directe leurs actions. À la place de ces jeunes, je serais allé de jour sur ces golfs et j’aurais mis en terre des topinambours, des légumes ou des patates, pour montrer que ce sol est cultivable. Plus de 4000 hectares de terres agricoles non exploitées au profit d'un loisir comme le golf en Suisse, c’est loin d’être anodin!
Il n’y a donc pas la place pour du golf et de l’agriculture en Suisse?
Tous les scientifiques le disent: nous sommes dans un contexte de dérèglement climatique. On peut penser que, comme toujours en Suisse, on va s’en sortir, qu’on est préservés par notre niveau de vie ou notre position au centre de l’Europe. La réalité, c’est que la Suisse importe aujourd’hui plus de 50% de ce qui est nécessaire à l’alimentation de ses habitants. Il y a un moment où nous ne pourrons plus profiter de notre pouvoir d’achat élevé pour acheter des denrées qui deviendront plus rares et plus chères. Il faut prévoir, réfléchir à mieux utiliser nos terres plutôt qu'importer depuis des pays qui sont déjà aujourd'hui en situation difficile.
Pourquoi avoir décidé de vous engager avec des actions militantes, parfois illégales, alors que les Vert-e-s auraient bien besoin de voix politiques qui portent?
Le déclic s’est fait en mars, lorsque je suis allé à Vufflens-la-Ville (VD). Des jeunes y ont monté un camp dans une colline boisée convoitée par l’entreprise de construction Orllati. Au contact de ces personnes, j’ai senti une urgence, un besoin d’agir. Sur l'aspect du militantisme, il est indissociable de la politique dans notre camp. J’en suis le parfait exemple: j’ai eu des mandats électifs, mais j’ai aussi fait trois mois de prison pour avoir interrompu mon service militaire alors que j’étais grenadier et que j’avais déjà fait quatre cours de répétition. Aujourd’hui, le service civil paraît une évidence, alors que des milliers de personnes ont été emprisonnés pour objection de conscience. Parfois des pères de famille comme moi.
La désobéissance de ces jeunes vous parle, donc. Et à l'inverse, ils vous écoutent?
J’espère, oui. Je vais les voir ce mardi soir à Lausanne, ils sont intéressés par l’avis de l’ancien militant et porte-parole du syndicat Uniterre. Ces actions illégales, il faut beaucoup de conviction pour les mener. Je sens ces jeunes à la fois sincères et effrayés. Ils ont la vingtaine, ils ont encore trois quarts de leur vie devant eux, contrairement à moi. Et nous partageons tous l'éco-anxiété.
A l'époque, vos protestations parfois violentes pour une agriculture équitable étaient bien vues par la population. A l’inverse, celles menées par Renovate Switzerland sur les autoroutes du pays sont très impopulaires. Vous partagez aussi leur mode d’action?
Je m’y suis intéressé: je suis allé chez Renovate, j’ai même suivi un jour de formation. Ils sont bien organisés, ils préparent leurs militants à tous les risques, qu’il s’agisse d’accidents ou de confrontations toujours plus violentes avec les automobilistes, plus enclins à accepter des bouchons que des actions ponctuelles pour le climat. Cela dit, je me suis senti encore moins à l’aise avec le mode opératoire.
Pourquoi?
Est-ce que le message porte? Mon sentiment, c’est que ces blocages entraînent plutôt des réactions hostiles, cela ne fait pas vraiment prendre conscience à la population ce qui se passe.
Pire: les Vert-e-s sont donnés perdants dans les sondages pour les prochaines élections fédérales. Votre parti n’est-il pas en train de se marquer un sacré autogoal en ne prenant pas position contre ces actions?
Il ne faut pas dramatiser ces sondages qui font perdre quelques plumes aux Vert-e-s. On perdrait deux pourcents, et alors? Il ne faut pas en faire un pataquès. Il y a deux choses importantes: d’abord, la cohérence du programme. Et ensuite, le fait que lorsque l’on est écologiste, on s’engage pour une cause, pour la nature, et pas pour un parti politique: cette course à l’augmentation du nombre de membres n’est pas l’essentiel! Il y a des gens qui veulent s’engager sans avoir une étiquette politique, et ils sont les bienvenus. L’enjeu, c’est de permettre la vie demain sur Terre, ça dépasse largement un score électoral court-termiste.
Reste que, quatre ans après l’euphorie de la «vague verte», l’ambiance a tout de même un peu changé pour les écologistes. Où est-ce que cela cloche?
Nous avons un peu l’étiquette du mouvement qui prive les gens de leur liberté ou de leurs plaisirs, comme le montre l’exemple du golf. Ce n’est pas facile, et le refus de la loi CO2 le montre bien. Il y a une grande prise de conscience à faire, un débat à mener sur cette notion de liberté.
La seule solution, c’est la décroissance?
J’entends souvent parmi les milieux de droite et du centre et même dans certaines sphères scientifiques, que c’est l’innovation qui va nous sauver, qu’elle va nous permettre de continuer à vivre comme maintenant. C’est être aveugle: notre planète a des limites, on commence à en faire l’amère expérience au niveau de l’eau, de l’électricité, des ressources alimentaires. Le consumérisme est devenu une addiction et il va falloir réapprendre à vivre avec moins, mais mieux.