Elle est le visage juvénile des anti-avortement en Suisse. L’an passé, nous avions rencontré Marie-Bertrande Duay sur un parking d’une zone industrielle de Collombey-Muraz (VS). Accompagnée de son cousin, l’avocate-stagiaire s’était réveillée à l’aube pour récolter des signatures en faveur de deux initiatives visant à restreindre le droit à l’avortement. La première «La Nuit porte conseil» demandait 24 heures de réflexion pour les femmes enceintes avant toute intervention. La seconde visait à interdire l’avortement tardif.
Malgré l’engagement de la jeune femme, les textes n’ont pas récolté suffisamment de signatures pour passer la rampe d’une votation populaire mais elle ne s’avoue pas vaincue.
Lundi 4 mars, la France célébrait un jour historique avec l’inscription de l’IVG dans sa Constitution. Même la tour Eiffel s’était illuminée pour fêter ce vote. Et les larmes de joie de couler sur les joues des militantes féministes.
Marie-Bertrand Duay, vous avez pleuré le 4 mars?
Certainement pas de joie. Plutôt de tristesse. Cette inscription dans la Constitution est une incohérence.
Qu’est-ce qui est incohérent?
Ça a été inscrit dans la Constitution en tant que droit fondamental. Or, un droit fondamental doit être quelque chose d’important, d’indéniable pour l’épanouissement de l’être humain. L’avortement n’est pas une chose qui contribue au bonheur de l’être humain et de la femme.
Ne pensez-vous pas que le droit de disposer de son propre corps participe au bonheur de la femme?
Eh bien. Aucune femme n’avorte de gaieté de cœur. Même les femmes qui avortent avec conscience et volonté ne sont jamais heureuses de le faire. Elles ne vont jamais célébrer leur avortement. C’est une contrainte. Elles le font pour des raisons personnelles et privées, mais ce n’est jamais une joie de le faire.
Sur quoi repose ce sentiment?
Simone Veil, la précurseure du droit à l’avortement en France, lorsqu’elle a proposé son projet de loi, disait que: «L’avortement doit rester l’exception, aucune n’y recourt de gaieté de cœur. C’est toujours un drame. C’est pourquoi si le projet de loi qui vous est présenté admet la possibilité d’une interruption de grossesse, c’est pour la contrôler et autant que possible en dissuader la femme». Pour moi, ce sont les bases de l’avortement. Il doit rester un moyen subsidiaire pour les personnes qui en ont vraiment besoin, mais ce n’est pas censé devenir la norme. Car ce n’est pas un acte joyeux.
Un droit fondamental est forcément associé à l’idée de bonheur?
Exactement. C’est pour cela que les droits fondamentaux existent. Ils sont issus de la période des Lumières, durant laquelle on a commencé à se concentrer, non plus sur le bien-être uniquement de la nation, mais aussi sur le bien-être individuel et le bonheur de l’individu dans la société. Par exemple, pour la liberté d’expression, le fait que chaque citoyen puisse s’exprimer librement contribue à son bonheur. Il est heureux de le faire. Tandis que pour une femme, l’acte d’avorter, peu importe les circonstances, est source de malheur.
Craignez-vous que l’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution en France ne donne des idées aux mouvements pro-avortement en Suisse?
Oui, c’est une possibilité. Il faut garder en tête que si le président Macron a fait ça, c’est probablement pour obtenir un petit coup de pub en sa faveur, car sa cote baissait dans les sondages ces derniers temps. Il voulait répondre aux Etats-Unis et séduire à nouveau le peuple afin d’acquérir plus de popularité.
Rappelons qu’actuellement en Suisse, le Code pénal autorise l’interruption de grossesse durant les 12 premières semaines suivant le début des dernières règles et pour autant que la femme invoque une situation de détresse. L’an passé, la conseillère nationale verte Léonore Porchet a déposé une initiative parlementaire, enterrée par le Conseil national le 7 mars 2023 pour retirer l’avortement du Code pénal en Suisse. C’était une mauvaise idée selon vous?
Absolument. C’est bien que l’avortement reste dans le Code pénal, réglementé ainsi. Cela va dans le sens de ce que disait Simone Veil. L’avortement doit rester un moyen subsidiaire, il ne doit pas devenir la norme.
Vous ne vous opposez pas complètement à l’avortement?
A titre privé, oui, je m’y oppose. Après, j’admets que cela reste une possibilité intégrée dans nos lois, qui est devenu presque une chose «normale» dans la société. Mais je souhaite que cela ne devienne pas un droit fondamental car l’avortement n’est pas bénéfique à l’humain.
L’an passé, vous avez porté deux initiatives visant à restreindre l’avortement. Vous n’êtes pas satisfaite du régime des délais actuels?
L’initiative «La nuit porte conseil», ne restreignait pas totalement l’avortement. Elle donnait l’opportunité à la femme qui souhaite interrompre sa grossesse d’être informée de toutes les alternatives possibles avant de procéder à cet acte.
Et l’autre?
L’initiative «Sauvez les bébés viables» visait à interdire les avortements tardifs lorsque le fœtus était viable en dehors de l’utérus. Alors oui, elle restreignait, dans une certaine mesure, la possibilité de pouvoir avorter. Dans des situations vraiment particulières, pourquoi un fœtus apte à vivre en dehors de l’utérus de sa mère, ne peut-il pas être considéré comme un être humain? À partir de quel moment, son élimination pourrait-elle être considérée comme un homicide? Alors qu’à l’état civil, ce même fœtus peut être enregistré comme une personne décédée dans le cas d’un accident par exemple. On voulait mettre en avant toutes les incohérences. On ne parle pas que d’un amas de cellules. C’est un être peut vivre et naître.
Vos deux initiatives n’ont pas récolté suffisamment de signatures pour passer la rampe d’une votation populaire. C’est un signal assez clair, non?
Pour la nuit porte conseil, il ne nous a manqué que 5000 signatures que j’attribue simplement à un manque de logistique. Aucun parti ne nous a soutenu, les récoltes de signatures se sont faites de manière bénévole. J’ai rencontré plus de réticences, c’est vrai, pour la deuxième initiative.
Depuis l’entrée en vigueur du droit à l’avortement en 2002, les tentatives visant à la restreindre ont été systématiquement refusées en votation populaire. Vous allez néanmoins continuer le combat?
Oui, parce qu’on pense que c’est quelque chose de juste. Notre idée n’est pas d’interdire l’avortement, mais simplement de faire prendre conscience à la population que l’avortement est une mesure qui doit rester subsidiaire. D’autres solutions peuvent être considérées en premier lieu. Il ne faut pas oublier qu’on parle d’un être qui commence à naître, à évoluer et à se développer. Vous voulez un exemple?
Allez-y.
Lors d’une grossesse désirée, si par malheur une femme perd son enfant, on ne va pas lui dire: «Ah, mais tu t’en fous, c’est juste un amas de cellules, tu n’as pas besoin de pleurer». Non, elle est triste, elle vit un deuil. Et donc, on veut faire prendre conscience que l’avortement est un deuil et qu’il ne doit pas être vu comme quelque chose de positif et de joyeux.
Vous préparez donc une future initiative?
Oui, qui sera assez similaire à celle «La nuit porte conseil». Nous n’avons pas encore élaboré les détails, mais elle ira dans ce sens-là.
Et vous pensez avoir des chances cette fois?
Pour récolter le nombre de signatures, oui. Même sans soutien de partis politique, on pourra se concentrer sur une seule et unique initiative contrairement à l’année passée. En votation populaire, cela pourra nourrir les débats et on verra ce que la population en pense. Après, on sait que la gauche ne se privera de nous attaquer en présentant notre proposition comme une restriction inadmissible à l’avortement. Ce qui serait un discours complètement malhonnête. Avoir un jour de réflexion est une mesure pragmatique qui va dans l’intérêt de la femme.
Est-ce qu’il y a vraiment besoin d’un cadre légal? Est-ce qu’une femme n’est pas capable de réfléchir par soi-même?
Alors, c’est triste à dire, mais j’ai connu des jeunes filles de 18 – 19 ans qui sont tombées enceintes lorsqu’elles vivaient encore chez leurs parents. Elles n’avaient pas l’intention d’avorter. Par méconnaissance des possibilités qui existaient et à la suite des propos de leurs parents qui leur auraient dit «Si tu n’avortes pas, on te fout dehors». Elles ont eu peur et elles ont fini par avorter. Ces 24 heures de réflexion pourraient permettre à ces jeunes femmes, peut-être pas encore assez matures, de prendre en considération toutes les possibilités, savoir que l’Etat peut leur venir en aide ou des associations, on pense que c’est pertinent. Il faut défendre ces femmes.
Vous êtes une féministe alors?
(Elle rit). Pas une féministe de la Grève des Femmes. Ça au grand jamais! Je défends la société en général. On est d’accord, un homme ne peut pas avorter. Mais pourquoi, il n’aurait pas son mot à dire? Si une femme décide toute seule d’avortement de l’enfant qu’ils ont conçu, les deux. L’avis de l’homme doit aussi être pris en considération même s’il ne porte pas l’enfant.