L'avantage d'une prise de fonction publique durant la période de Pâques, c'est que l'on évite de devoir immédiatement répondre aux questions des journalistes. Même si ladite fonction est la première du genre en Suisse romande. Contactez la personne que vous souhaitez interroger et vous recevrez une notification vous indiquant que son e-mail professionnel n'est pas encore fonctionnel. Essayez du côté de son secrétariat et vous saurez qu’«aucune demande ne sera traitée durant cette période».
Être chocolat en espérant éviter le lapin, Blick en a ainsi fait l’expérience, il y a peu. Le 1er avril dernier, à l’occasion des États généraux de l’inclusion, le Canton de Neuchâtel accueille Nathalie Christen dans ses fonctions de préposée à l'inclusion des personnes handicapées. Une première en Suisse romande. L’exécutif neuchâtelois estime que l'ancienne collaboratrice scientifique pour le compte du Département fédéral de l'Intérieur (DFI) jouera un rôle central dans la mise en œuvre de la Loi cantonale sur l'inclusion et l'accompagnement des personnes vivant avec un handicap (LIncA). Le texte a été adopté à l’unanimité du Grand Conseil le 2 novembre dernier.
Quelques jours après la crise de foie, les boîtes mail activées, les vacances terminées et les cartons dépaquetés, nous avons réussi à en savoir plus sur cette fonction pionnière dans la région francophone du pays et sur ce qu’elle apportera concrètement aux personnes concernées par les enjeux du handicap. Début mai, dans les bureaux du Département de l'emploi et de la cohésion sociale (DECS), rendez-vous est pris avec Nathalie Christen, la nouvelle «Madame Handicap» du canton.
Nathalie Christen, félicitations pour cette nouvelle fonction, qui, d’un point de vue cantonal, est la première du genre en Suisse romande! D’ailleurs, pourquoi Neuchâtel en précurseur?
Neuchâtel est en effet le premier canton romand à mettre en place un poste de préposé-e à l’inclusion. Cela ne veut pas dire que rien n’est fait pour l’inclusion des personnes vivant avec un handicap dans les autres cantons romands, mais que les autres cantons ont choisi une autre façon de la mettre en œuvre.
On peut donc dire que Neuchâtel est précurseur dans la manière d’aborder l’inclusion des personnes vivant avec un handicap et dans sa volonté de garantir son implémentation de manière durable et systématique dans toutes les actions de l’État.
La LIncA, qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2022, vise à permettre l’inclusion des personnes vivant avec un handicap, à promouvoir et favoriser leur autonomie et leur autodétermination, à garantir aux personnes la pleine jouissance de tous les droits et libertés fondamentales sur une base d’égalité et à supprimer les inégalités et les discriminations dont elles sont victimes. Cette loi a pour but de poser les bases du changement de paradigme amené par la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées (ndlr: CDPH), ratifiée en 2014 par la Suisse. Elle propose plusieurs innovations – en plus de la création du poste de préposé à l’inclusion. Elle institue également une commission pour l’inclusion et l’accompagnement des personnes vivant avec un handicap et une commission des plaintes.
Avant d’aller plus loin, faisons un peu de sémantique: pouvez-vous nous donner une définition de l’inclusion des personnes en situation de handicap? Qu’est-ce que «l’inclusion»? C’est un synonyme «d’intégration»? Je ne crois pas…
On a parfois tendance à mélanger les deux termes, mais ils sont bien différents. Selon moi, l’inclusion va au-delà de l’intégration. L’inclusion c’est: éliminer les obstacles qui empêchent les personnes, indépendamment de leurs incapacités, de participer pleinement à la vie de la société. Contrairement à l’intégration, qui consiste à donner des «outils» aux personnes pour qu’elles s’adaptent à la société. Dans l’inclusion, la responsabilité est donc collective et non pas individuelle, comme c’est le cas pour l’intégration.
La LIncA définit l’inclusion comme suit: «Le fait de garantir à toute personne vivant avec un handicap une participation pleine et entière à la société, l’expression de son autodétermination, et l’exercice de son autonomie».
Vous avez pris vos fonctions le 1er avril dernier, à peine trois jours après que l’ONU a rendu un rapport pour le moins inquiétant sur l'application des droits des personnes en situation de handicap en Suisse. On arrive encore à se réjouir de sa nomination, quand on voit le poids de la charge?
Oui! Il est vrai que les recommandations finales du Comité CDPH sont très critiques quant à l’application de la Convention en Suisse. Notre pays est arrivé à la fin du premier cycle de rapport sur la mise en œuvre de la CDPH, un nouveau s’ouvre à lui maintenant, avec à l’horizon la présentation du prochain rapport au Comité. Le dialogue mené entre le Comité CDPH et les États parties permet de mesurer et d’assurer la mise en œuvre de la Convention. Les recommandations finales émises par le Comité constituent donc une base de travail intéressant et utile pour les prochaines années. Même si le Comité estime que les lacunes sont parfois importantes, cela permet également d’entrevoir de belles perspectives d’amélioration dans ce domaine en pleine évolution.
Pour le Canton de Neuchâtel, ces recommandations arrivent à un moment très opportun. Elles serviront à alimenter les réflexions autour de l’élaboration du plan d’action en matière d’inclusion.
Il semblerait que vous ne présentiez aucun handicap. Pourquoi ne pas avoir privilégié le profil d’une personne en situation de handicap pour un poste si symbolique – puisqu’il est le premier en Suisse romande?
La mise au concours du poste spécifiait bien qu’à compétences égales, la préférence serait donnée à une personne vivant avec un handicap. Je comprends tout à fait que cette question survienne, je me suis moi-même interrogée sur ma légitimité à occuper un tel poste, n’étant pas en situation de handicap. Je pense que l’État doit montrer l’exemple en termes d’engagement des personnes vivant avec un handicap, et pas uniquement en engageant celles-ci à des postes qui concernent spécifiquement ce domaine. C’est un thème qui doit être repris dans l’ensemble de l’administration, à tous les niveaux de l’État.
Mais votre fonction, finalement, en situation de handicap ou non, quelle est-elle? Observer que les ascenseurs soient assez larges et les rampes d’accès suffisamment aplanies? J’imagine que c’est un peu plus que ça...
La fonction de préposée à l’inclusion est un poste clé au sein de l’administration cantonale. Il ne s’agit pas d’aller vérifier l’accessibilité des ascenseurs ou autres rampes d’accès sur le terrain, mais plus d’assurer une prise en compte systématique et transversale des droits des personnes vivant avec un handicap dans toutes les actions de l’État. Le changement de paradigme qui doit s’opérer au sein de la société pour la transformer en une société inclusive impose que ce facteur soit pris en compte à la base de tous les projets.
En plus d’assurer le lien entre l’État et les particuliers, ainsi qu’entre le Canton et la Confédération, un travail de sensibilisation sera également mené.
Un travail de sensibilisation?… Comment se porte Neuchâtel en matière d’inclusion des personnes en situation de handicap?
Il y a plusieurs initiatives dans le canton qui œuvrent en faveur de l’inclusion. On peut citer le crédit d’engagement (ndlr: 7 millions) pour mettre en conformité les arrêts de bus, les mesures qui ont été prises pour rendre accessibles les salles du Grand Conseil et plusieurs salles de commissions. Il y a également un fort engagement du monde de la culture pour l’inclusion des personnes vivant avec un handicap, avec notamment le projet de culture inclusive qui se déroulera dans trois régions pilotes, dont Neuchâtel.
Il manque actuellement une visibilité à ces actions et une coordination entre elles. Ce manque de vision globale rend difficile d’évaluer le «niveau» de l’inclusion dans le canton. Le plan d’action permettra d’assurer cette coordination qui fait défaut et donnera également une vue d’ensemble des initiatives privées dans les différents domaines, encore parfois isolées.
Les États généraux de l’inclusion, qui se sont déroulés le 1er avril dernier, ont aussi permis de mettre en avant un certain nombre d’attentes dans les six thèmes abordés sous forme d’ateliers.
Par exemple?
L’inclusion professionnelle, la communication et l’accessibilité, les proches aidants, l’autodétermination dans le logement, la mobilité pour toutes et tous, ou encore «l’exclusion sociale comme handicap versus handicap comme exclusion sociale».
Qu’est-ce que les personnes concernées peuvent espérer avec votre arrivée?
La LIncA pose les bases du changement de paradigme que la Suisse a accepté de prendre en ratifiant la CDPH. Cette loi est vraiment importante pour les personnes vivant avec un handicap dans le canton de Neuchâtel. La création du poste de préposée à l’inclusion vise aussi à garantir la mise en œuvre de la LIncA. Les personnes vivant avec un handicap dans le canton de Neuchâtel peuvent donc espérer que les efforts pour mettre en œuvre cette loi et élaborer un plan d’action en vue de garantir l’inclusion seront entrepris et aboutiront à des améliorations concrètes.
La commission des plaintes qui sera mise en place permettra aux personnes concernées de faire valoir leurs droits et garantira le respect de ceux-ci.
Pour terminer, Nathalie Christen: qu’est-ce que l'on peut vous souhaiter pour cette nouvelle «aventure»?
On peut me souhaiter de réussir à inscrire l’inclusion d’une manière forte et continue au sein des activités de l’État, mais également au sein de la société en générale. On peut me souhaiter des rencontres enrichissantes, des problématiques nouvelles à résoudre et de l’énergie pour débuter cette aventure novatrice et prometteuse.