Un parti, deux salles, deux ambiances. Alors que son collègue PLR Pascal Broulis se fait encore avoir par des combines éculées sur Facebook, Nasrat Latif, lui, présente sur son site un robot conversationnel nourri par l'intelligence artificielle. Celui-ci l'imite, explique sa campagne et... vous tape la discute.
Le candidat PLR au Conseil national, également journaliste, est le premier politicien suisse à mettre en place cette technologie sur le site de sa campagne. «Je veux donner aux électeurs une option différente pour converser, afin qu'ils puissent poser à mon avatar des questions spécifiques qui ne trouvent pas de réponses ailleurs, par exemple sur mon Smartvote.»
Un chatbot est un outil informatique qui prend la forme d'une petite bulle, souvent en bas à droite d'un site web. On clique, une fenêtre apparaît et on entre en communication avec un agent virtuel qui répond à vos questions et vous balade où bon vous (lui) semble.
L'intelligence artificielle comme thème de campagne
Sur ce coup-là, on ne cause pas avec un simple assistant numérique, mais directement avec une incarnation du libéral-radical dopée à l'IA. «Bonjour, se présente le robot dans un premier phylactère. Je suis Nasrat Latif, votre candidat au Conseil national sur la liste n°9 dans le canton de Vaud. Et si nous faisions mieux connaissance? Je vous invite à me poser vos questions.»
Le véritable Nasrat Latif assume que cette proposition innovante est un crash-test à vocation politique: «L'innovation et l'intelligence artificielle font partie de mes thèmes de campagne. Et comme toute nouvelle technologie, rien de mieux que de l’appliquer pour comprendre son fonctionnement, les opportunités et les limites qu'elle peut représenter.»
L'agent conversationnel restera en ligne jusqu'à la fin de la campagne. «Je veux aussi voir ses limites, car il y a un objectif de sensibilisation. Dans mes tests, je vois qu'il se permet certaines libertés, notamment sur ma vie privée. Il a par exemple dit que je suis marié, alors que je ne le suis pas.»
Production locale et stockage des données
Pour la programmation, le Vaudois s'est associé à une pointure locale: la startup lausannoise Deeplink et son fondateur Jérôme Berthier. En bon politicien, il a aussi pris en compte les doléances des experts de la question: «Plusieurs spécialistes m'ont dit que les propositions politiques concernant les IA démontrent au mieux une incompréhension et au pire une incompétence à traiter ce sujet.»
Basé sur la technologie suisse Deeplink couplée avec le fameux ChatGPT de la firme OpenAI, le logiciel a amalgamé de nombreuses productions textuelles de son créateur. «Nous avons fourni une base de données à la startup, dont un certain nombre d'éditos et de chroniques que j’ai rédigées dans la presse, dévoile ce dernier. Sur cette base, la machine comprend les questions et génère des réponses appropriées, dans lesquelles elle essaie de s’approcher au maximum de ma manière d’écrire.»
Et qu'en est-il du stockage des conversations entre les utilisateurs et le pseudo-Nasrat Latif? Pour le chatbot, aucune conversation n'est conservée:
Mais le candidat PLR précise les propos de son double (maléfique?): «La startup a accès à ces données. Personnellement, je n’ai pas accès directement aux discussions entre le robot et les internautes. Si un sujet soumis par un utilisateur n’a pas été prévu en amont, la société me fournit les échanges concernés pour compléter les thématiques.»
Et au fond, il fonctionne ce robot? Première question logique adressée à l'avatar (en le vouvoyant, un peu de respect envers les automates): n'avez-vous pas peur que votre robot conversationnel dise des bêtises? Mais l'intelligence artificielle a rarement beaucoup d'humour...
On a vraiment essayé de lui faire dire n'importe quoi, comme le montre notre seconde question. Apparemment la campagne de Nasrat Latif omet un sujet primordial...
En fait, lorsqu'un sujet abordé n'a pas de lien direct avec la campagne, le robot botte en touche. Il invite régulièrement les internautes à joindre directement le candidat par e-mail. «C'est l'opportunité d'être en contact direct avec les électeurs, de créer du lien, se réjouit l'entrepreneur à la tête d'une agence de communication. La technologie doit être un soutien, mais en aucun cas remplacer le contact humain.»
Et le journalisme dans tout ça?
En parallèle, Nasrat Latif est toujours journaliste. Le premier épisode de son émission Entre Nous vient de passer sur l'une des quatre chaînes de CARAC, le nouvel acteur télévisuel romand du groupe MediaOne, qui réunit et remplace Rouge TV, One TV, LFM TV et TV Suisse PLUS. La figure politico-médiatique y invite des entrepreneurs romands pour des entretiens d'une vingtaine de minutes.
Mais peut-on assumer les deux casquettes en même temps? L'ancien rédacteur en chef de One FM et La Télé en est persuadé et l'avait déjà dit à Blick: «Nous sommes dans un système de milice, réagit Nasrat Latif. J'ai toujours affirmé qu'on peut être à la fois parlementaire et agriculteur, médecin ou avocat. Alors pourquoi pas parlementaire et journaliste?»
Même son de cloche de la part du patron du groupe Alexandre de Raemy: «Dans le cadre de l'émission que Nasrat anime, nous avons été très vigilants. À aucun moment, Entre Nous ne traite d'actualité ou de politique sous quelque forme que ce soit. C'était nécessaire d'avoir seulement Nasrat le journaliste et non le politicien.»
Le chatbot, lui aussi, a son mot à dire sur cette question...
S'il est élu, Nasrat Latif continuera vraisemblablement à travailler en tant que journaliste. Quant au traitement politique de l'IA, il compte «proposer des gardes-fous, mais surtout s'assurer de ne pas entraver son développement.» En bon PLR, il conclut: «La Suisse est un terreau fertile, par exemple pour la Blockchain, mais on pourrait créer des conditions cadre pour favoriser une situation semblable pour l'intelligence artificielle.»
Ah! Et on a finalement réussi à lui faire dire n'importe quoi, à ce robot (pas si mal fichu que ça, soyons honnêtes):