Le journaliste et candidat à Berne Nasrat Latif
«Pourquoi ne pourrait-on pas être journaliste et faire de la politique?»

Le journaliste Nasrat Latif, ancien rédacteur en chef de One FM et de La Télé, est candidat au Conseil national sur la liste du Parti libéral-radical vaudois. Une surprise de taille qui pose d'épineuses questions sur le rapport entre journalisme et politique. Interview.
Publié: 01.04.2023 à 06:10 heures
Le journaliste Nasrat Latif est candidat au Conseil national sur la liste du Parti libéral-radical vaudois.
Photo: D.R.
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Antoine HürlimannResponsable du pôle News et Enquêtes

Il fallait profiter. Cette interview, c'était peut-être la der' avant de devoir lui mettre du «vous» et du «monsieur». Entre journalistes, on se tutoie et Nasrat Latif pourrait ne plus l'être dans quelques mois. Pourquoi? Parce que ce réfugié, Vaudois d'adoption, arrivé en Suisse à l'âge de 5 ans et apatride jusqu'à ses 15 ans, se battra pour décrocher un siège PLR au Conseil national cet automne.

Mais d'ailleurs, est-ce qu'on peut rester journaliste quand on est politicien? À question épineuse, réponse piquante. Nasrat pense que oui. Manifestement conscient qu'il s'agit d'évoluer sur un chemin de crête, l'ancien rédacteur en chef de One FM et de La Télé a mis quelques garde-fous à l'exercice de sa profession: fini l'interview politique qu'il menait chaque matin sur les ondes de LFM.

Nasrat, maintenant que ta candidature au Conseil national a été validée, tu te sens davantage journaliste ou politicien?
À l’heure où on se parle, je suis entrepreneur et encore journaliste. Et je compte bien le rester!

On peut cumuler ces deux fonctions?
En Suisse, la spécificité de notre système, c’est la politique de milice. On peut être avocat, médecin, agriculteur et être politicien. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas être journaliste et faire de la politique.

Pourtant, selon le conseil suisse de la presse, l’appartenance à un parti politique met de fait en cause l’indépendance journalistique… Pas d’après toi?
Sur ce point-là, il y a une question qui m’est très importante: quels formats d’émissions produit-on? Au moment où j’ai annoncé ma candidature à la candidature, j’ai immédiatement arrêté l’interview politique que je menais chaque matin sur LFM, en accord avec la direction. Par ailleurs, mon billet d’opinion dans «GHI» et «Lausanne Cités», ainsi que mes émissions à La Télé, seront suspendus le temps de la campagne.

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Pour quelle raison as-tu mis fin à ton émission chez LFM?
D’abord par déontologie, évidemment. Tu ne peux pas être à la fois candidat déclaré et mener des émissions politiques. D’autant plus que je n’aurais pas été à l’aise d’être au four et au moulin. Avoir face à moi quelqu’un qui n’est pas juste un politique en interview, mais potentiellement un adversaire ou un colistier, cela n’aurait de toute façon pas été gérable.

Tu tires aussi la prise de tes autres émissions?
Mes autres types de contenus sont essentiellement économiques. Dans ce cadre-là, il n’y a pas de débat politique. Maintenant, je partage tout à fait les limites qu’implique le fait d’être encarté dans un parti. J’ai cependant toujours dit qu’il fallait se méfier des journalistes qui prétendent être neutres et objectifs.

Ça te semble être une position hypocrite?
Je te retourne la question, très cher Antoine. Nous pouvons bien sûr tendre dans cette direction. Mais nous ne pouvons pas être parfaitement neutres et objectifs, simplement parce que nous sommes humains. Par respect pour le public, je n’ai jamais caché mes intérêts et mon orientation politique. Je suis connu comme étant un journaliste plutôt à droite et tous les médias qui ont fait appel à moi ces dernières années l’ont fait en connaissance de cause.

Avec ce pas supplémentaire où tu entres dans l’arène politique, ne crains-tu pas, en cas de non-élection, de ne plus pouvoir être considéré comme un journaliste impartial?
En tant que journaliste, je fais très clairement une croix sur l’aspect politique, quoi qu’il arrive. C’est un mouvement amorcé il y a déjà un moment. J’ai commencé ma carrière en tant que journaliste politique, mais cela fait un certain temps que je suis principalement journaliste économique. Sur le fond, dès le moment où on fait un choix, on prend des risques. Je serais déçu si les différents médias avec qui je collabore décidaient de tout arrêter. Cependant, j’assumerais ma décision.

Le soir où ta candidature a été validée par le congrès du PLR, tu as pris la pose à côté de Pascal Broulis, votre candidat au Conseil des États. Ça ne te fait pas bizarre, en tant que journaliste, de partir au combat avec quelqu’un qui n’a pas hésité à attaquer la presse en justice?
D’abord, je rectifierais tes propos ainsi: il n’attaque pas la presse ou les journalistes, mais un journaliste en particulier. Ensuite, non, je n’ai pas de problème avec ça. C’est une procédure en lien avec une affaire spécifique, avec laquelle je n’ai strictement rien à voir. C’est une figure du parti, on ne peut pas résumer ce qu’il a amené à ce cas particulier.

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Sur le fond maintenant, certains cadors du PLR n’auraient certainement pas hésité à te tacler — et l’ensemble des médias au passage — si tu avais rejoint le PS. Là, personne ne te tire dessus. Qu’est-ce que ça dit de ton parti?
Je ne vais pas me prononcer sur cette hypothèse et à la place de certains qui pourraient potentiellement, peut-être, éventuellement prendre position. Ensuite, dire qu’il n’y a pas eu de réaction à la suite de mon annonce est faux. Un exemple: sur Facebook, la conseillère nationale socialiste vaudoise Ada Marra — que j’apprécie beaucoup — a commenté avec ironie l’une de mes publications. Je la cite: «C’est bien connu, tous les journalistes sont de gauche». Donc ma candidature a bien fait grincer quelques dents.

Intéressant: on dit effectivement toujours que les journalistes sont de gauche, mais ceux qui sortent du bois et se mettent en liste sont généralement de droite. On peut citer par exemple Fathi Derder, Jean-Charles Simon, Roger Köppel, et maintenant toi. Comment tu l’expliques?
Il y a aussi des contre-exemples et il existe différentes études qui expliquent très bien pourquoi les journalistes sont majoritairement de gauche en Europe. Par rapport à la manière de s’engager en politique, je dirais que la majorité de journalistes de droite à faire le pas choisit de se présenter à une élection tandis que la majorité de journalistes de gauche décide de rejoindre l’entourage professionnel de politiques de gauche. Pour moi, même si le mode d’action est différent, c’est du pareil au même. Ça reste une façon de faire de la politique. Et tant que c’est fait en totale transparence, cela ne pose aucun problème. À gauche comme à droite.

En parlant de transparence, plusieurs UDC et PLR élus au Grand Conseil vaudois ont demandé en vain la création d’un registre des intérêts des journalistes. Ça te semblait être une bonne idée?
Si on part du postulat que le métier de journaliste est un métier public, qu’il a un rôle à jouer dans le débat public, et qu’il serait par conséquent sain de connaître le registre des intérêts des journalistes: oui. Mais il faudrait alors faire la même chose pour les politiques. Et, en termes de transparence au niveau politique, je trouve qu’on a encore énormément à faire. C’est d’ailleurs l’un des éléments qui comptera beaucoup pour moi dans la campagne qui s’annonce. Politique et journaliste, ce n’est pas n’importe quelle activité. Nous avons un devoir vis-à-vis du public: la transparence. Y compris des financements. C’est d’ailleurs l’un des engagements que je prends sur mon site internet.

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