Infrastructure numérique
Un «cloud» suisse en projet dans les cantons romands

À l'initiative de l’État de Vaud, la conférence latine des directeurs cantonaux du numérique veut doter la Suisse romande d’un cloud souverain, a appris Blick. Il en va de la crédibilité de l’État dans le domaine, assure Nuria Gorrite, à l’origine de la démarche.
Publié: 15.12.2021 à 17:19 heures
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Dernière mise à jour: 27.12.2021 à 09:04 heures
Nuria Gorrite aimerait s’assurer de la localisation sur sol national des données informatiques.
Photo: Blick
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Adrien SchnarrenbergerJournaliste Blick

Deux ans après sa création fin 2019, la Conférence latine des directeurs cantonaux du numérique (CLDN) pourrait marquer un grand coup. Elle veut mettre sur pied un «cloud» souverain basé en Suisse, révèle à Blick Nuria Gorrite, conseillère d’État vaudoise et présidente du gouvernement.

Comprenez: s’assurer de la localisation sur sol national des données informatiques. «Les gens ont souvent une représentation romantique du cloud, comme si les données flottaient dans les airs. La territorialité est pourtant un enjeu fondamental», avance la cheffe du Département des infrastructures et des ressources humaines. Une étude de faisabilité sera lancée prochainement. Les résultats sont attendus dans le courant de l’année prochaine.

Ce projet est un pied de nez au Conseil fédéral, qui a lui-même lancé il y a un an un appel d’offres pour un cloud souverain. En juin, le gouvernement diffusait la liste des vainqueurs pour des contrats dépassant 100 millions de francs: les américains Oracle, Microsoft, Amazon et IBM, ainsi que le chinois Alibaba. Ce qui n'avait pas plu aux sociétés helvétiques, rapportait «Le Temps».

La perspective de voir des données sensibles stockées sur sol américain ou chinois fait bondir Nuria Gorrite. «Imagine-t-on, dans le monde analogique, les archives de l’État à Pékin?», interroge-t-elle. Pour la socialiste, le transfert dans le virtuel ne justifie aucunement un changement du rôle de l’État.

«Les Alémaniques sont moins sensibles»

Pourquoi cette échelle des cantons latins? C’est en évaluant l’opportunité de lancer un projet lui-même que le canton de Vaud a suscité l’intérêt de ses voisins, du Jura et du Tessin. «Nous partageons la même compréhension au sujet de la souveraineté», note Nuria Gorrite. Selon elle, les cantons alémaniques seraient moins sensibles à cette problématique.

Le temps presse et la Suisse est très en retard, déplore Catherine Pugin, déléguée cantonale vaudoise au numérique. La spécialiste prend l’exemple de l’Estonie, pionnière sur ces questions, mais aussi de nos pays voisins. «Certaines nations disposent de data embassies, des lieux physiques où sont sécurisées des données virtuelles», relève-t-elle. En France, la plupart des candidats à la présidentielle promeuvent le rapatriement de données encore stockées aux Etats-Unis, écrit cette semaine «Le Parisien».

Pour Nuria Gorrite, il est primordial que l’État prenne ses responsabilités. «Jusqu’ici, il s’est lui-même disqualifié d’office, estimant qu’il n’était pas compétent pour s’emparer des questions numériques», regrette la directrice des infrastructures, citant le projet d’identité électronique refusé par le peuple en mars dernier. La Vaudoise voudrait voir le modèle s’inverser, avec un État qui délègue uniquement ce qu’il ne peut pas faire. «C'est aussi une formidable opportunité pour des sociétés locales, avec des créations d’emploi à la clé.»

Critiques envers Berne

La conseillère d’État n'a pas peur de couper l'herbe sous le pied du Conseil fédéral. Elle n’est d'ailleurs pas tendre avec la gouvernance du numérique par Berne. «Il n’y a pas de stratégie transversale, matricielle. Tous les départements touchent au numérique sans qu’il ne semble y avoir de vision commune.»

La gestion du dossier «cloud suisse», vieux serpent de mer à Berne, accrédite la vision de la socialiste. En 2019, le PLR Fathi Derder proposait déjà la création d'un tel outil. Le Conseil fédéral a estimé à l’époque que cela ne servait à rien… avant de lancer lui-même l’idée d’un cloud «Swiss made» six mois plus tard. Nouveau rebondissement en septembre dernier, lorsque le gouvernement a répondu à Isabelle Moret (PLR/VD) que le projet était enterré. «Cela relève du tragi-comique», s’étranglait Fathi Derder le 1er octobre dans une interview à Blick, espérant que l'initiative parlementaire déposée par son ex-collègue au Conseil national fasse bouger les lignes. Et si c'était l'entrée en jeu des cantons?

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