Fathi Derder sur le «Swiss Cloud»
«Isabelle Moret peut nous faire gagner cinq ans»

Alors qu'une initiative populaire «Pour une souveraineté numérique» était en préparation, Isabelle Moret a déposé ce vendredi matin une initiative parlementaire pour faire avancer le dossier. Fathi Derder, grand défenseur du «Swiss Cloud», s'en réjouit.
Publié: 01.10.2021 à 10:32 heures
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Dernière mise à jour: 01.10.2021 à 11:41 heures
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Adrien SchnarrenbergerJournaliste Blick

Voilà bientôt deux ans que Fathi Derder ne siège plus à Berne, mais il a gardé de bonnes connexions. Le journaliste et ex-conseiller national PLR s'allie avec Isabelle Moret pour faire bouger les lignes sur le «Swiss Cloud», la fameuse infrastructure numérique souveraine. La Vaudoise a déposé une initiative parlementaire pour demander que la législation soit adaptée «afin de permettre à la Confédération de créer une infrastructure numérique souveraine, en collaboration avec les cantons, les hautes écoles, les instituts de recherche et les entreprises suisses». Contraignant, l'objet est plus efficace qu'une motion.

Le dossier est un serpent de mer à Berne. Le Conseil fédéral s'était d'abord montré peu réceptif aux appels du pied de Fathi Derder en 2019, avant de s'emparer du dossier en 2020 et de lancer au début de cette année un appel d’offres d’une valeur de 110 millions de francs dont les contours étaient peu clairs. La société genevoise Infomaniak, elle-même active dans le Cloud, avait accusé la Confédération de vouloir favoriser les géants américains.

Lundi, le Conseil fédéral confirmait devant le Conseil national qu'il renonçait définitivement à créer un cloud souverain. Aussitôt, une initiative populaire était annoncée, puis cette initiative parlementaire ce vendredi...

Vous avez annoncé une initiative populaire, et voilà que quelques jours plus tard Isabelle Moret reprend le dossier au Parlement. Vous êtes satisfait?
Bien sûr. J’espérais que les parlementaires se saisissent du dossier pour aller plus vite. Je l’aurais fait si je siégeais encore à Berne et je me réjouis qu’Isabelle Moret se soit emparée de la problématique. Une initiative parlementaire sera bien plus efficace qu’une motion — on va gagner de précieuses années.

Pourquoi un «Swiss Cloud» est-il si important?
C’est une nécessité aujourd’hui pour un État moderne démocratique qui se respecte de disposer d’une infrastructure souveraine. On ne mesurait pas il y a dix ans à quel point c’est une mission de l’État au même titre que les infrastructures ferroviaires. Nous avons un système politique stable mais très lent.

C’est comme ça que vous expliquez que ce ne soit pas (encore) d’actualité à Berne?
Il y a un retard dans l’administration pour tout ce qui est numérique, on l’a vu avec de nombreux exemples récents. C’est un défi complexe pour Berne, où il y a parfois des situations absurdes. En matière de cybersécurité, par exemple, personne ne décide. C’est un peu le Département des finances, un peu celui de Justice et police, l’armée entre épisodiquement dans l’équation… Derrière tout cela, il y a surtout une intime conviction, très libérale, que l’État ne doit à peu près rien faire.

C’est la question fondamentale: est-ce le rôle de l’État de mettre sur pied un «Cloud» ou des entreprises privées pourraient faire l’affaire?
Tout le monde est libre de donner ses données à Google, je le fais aussi à titre privé. Mais les enjeux sont différents en ce qui concerne les données stratégiques. Aujourd’hui, le monde réel des gens est aussi numérique que territorial et physique, et l’État doit offrir un cadre sécurisé et adapté.

Pourtant, l’administration fédérale n’est pas du même avis.
J’ai lu le rapport qui estime que ce n’est pas le rôle de l’État. Déjà, il n’est disponible qu’en allemand, mais il y a surtout un problème de méthode: on ne sait pas quelles sont les entreprises qui font le constat que cela ne relève pas de l’État. Or, c’est la moindre des choses de dire qui parle. Si c’est une firme de la place reconnue comme Infomaniak, Elca ou Kudelski par exemple, cela change la donne et je pourrais écouter les arguments.

Vous expliquez que l’impulsion pour ce projet vous est venue de l’humanitaire. C’est-à-dire?
Un jour, j’ai été interpellé par le CICR, qui insistait sur la nécessité d’un cloud souverain suisse. «Notre siège physique est à Genève, il faut que notre siège virtuel soit à Genève», m’avait-on dit. Les milieux humanitaires ont besoin d’un terrain numérique neutre et fiable. Les réfugiés gouvernementaux, par exemple, ont souvent des données qui peuvent les mettre en grand danger. Il n’y a aucune garantie suivant où elles sont stockées. Résultat, il est probable que le CICR aille chercher des solutions ailleurs… C’est une occasion manquée pour la Suisse.

Voilà plus de deux ans que vous avez porté la question sur la scène fédérale. Pourtant, le dossier n’a pas beaucoup avancé depuis...
La gestion de ce dossier relève du tragi-comique! Dès juin 2019, le Conseil fédéral m’a répondu que j’étais bien gentil mais que cela ne servait à rien. En avril 2020, il annonce la création d’un «Swiss Cloud». Sans gêne. Parce qu’il fallait, je cite, «prendre des mesures pour améliorer la souveraineté de la Suisse» et «réduire la dépendance de notre pays » aux GAFAM. Il faut avoir un certain toupet pour retourner sa veste comme ça, mais, beau joueur, j’étais content.

Et ensuite?
Six mois plus tard, l’administration a conclu, tout bien réfléchi, qu’un «Swiss Cloud» était mieux si quelqu’un d’autre le faisait. Le Conseil fédéral préférait mettre un «Swiss Cloud Stempfel» (tampon, ndlr.) sur un truc chinois plutôt que de le faire lui-même. Ce lavage de mains d’un «Swiss Cloud» a été confirmé lundi à Berne, mais j’espère que l’initiative parlementaire d’Isabelle Moret puisse faire changer les choses. Une énième volte-face, mais dans le bon sens cette fois.

Isabelle Moret représente le PLR, vous êtes vous-même un ancien élu libéral-radical. Ce n’est pas dans les habitudes du parti de trop mobiliser l’État...
L’idée, ce n’est pas que l’Etat fasse tout ça mais qu’il soit le stimulateur, qu’il soutienne financièrement le projet en créant un partenariat public-privé soumis au droit suisse. Il faut démarcher des informaticiens, montrer que l’on a des compétences dans notre pays.

Sur le papier, cela semble séduisant. Qui s’y oppose?
Personne (rires)! C’est là toute l’ironie: quand une émission de débat réfléchissait à faire un débat sur la question cette semaine, le producteur peinait à trouver des opposants clairs à un «Swiss Cloud». Le hic, c’est que personne ne va non plus faire des cris d’orfraie si l’administration fait confiance à IBM… Il faut simplement éveiller les consciences à Berne et faire avancer le dossier. Ce qui, je l’espère, sera grandement aidé par l’initiative parlementaire d’Isabelle Moret. D’un point de vue purement politique, on va maintenant travailler pour convaincre tous les partis. Et le plus dur sera peut-être au PLR, paradoxalement…

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