Le flot de pendulaires s’active comme si de rien n’était. Pour beaucoup, c’est un mardi matin comme les autres. Pourtant, non loin des visages endormis éclairés par la lumière bleue des smartphones, deux flaques de sang partiellement effacées sont visibles à même le quai numéro 4 de la gare de Morges. L’une luit encore en son cœur vermeil, trahissant le drame qui s’y est joué il y a quelques heures à peine.
«Bang». «Bang». «Bang». Des témoins racontent à Blick avoir entendu trois détonations ce lundi vers 18h. D’autres les ont à peine remarquées, avouant avoir cru qu’il s’agissait simplement de pétards jetés par des gamins. Si seulement. Ici, un homme est mort. Des traits blancs apposés par la police sur la halte de béton froide complètent ce tableau macabre. Servent-ils à délimiter le positionnement du corps? Marquent-ils les endroits où des balles ont été retrouvées? Seules les forces de l’ordre le savent.
Un afflux massif de secours
Dans son salon, une femme hausse les épaules. «J’ai dit à mon mari qu’une des déflagrations ressemblait à un coup de feu, glisse cette riveraine, dont le balcon offre une vue plongeante sur la gare. On ne s’est pas posé plus de questions que ça. Vous savez, il y a tellement de bruit ici.» Le couple a toutefois changé de couleur quand il a remarqué le ballet des sirènes. Il aurait fallu être sourd pour le manquer. «Cela n’arrêtait pas, les véhicules des secours sont arrivés subitement dans tous les sens», commente-t-elle sobrement, en précisant que ni elle ni son mari ne sont allés voir ce qui se passait. Par pudeur, sans doute, mais aussi parce que personne ne veut affronter les mauvaises nouvelles droit dans les yeux.
Celle-ci est au moins aussi tragique que floue. D’après une vidéo publiée par «20 minutes», des agents de police se trouvaient sur le quai au moment des faits. En face d’eux, un homme visiblement agité. Les images sont capturées de trop loin. On ne voit pas tous les détails. Soudain, les choses s’accélèrent. Un policier recule avec vigueur. En face, l’individu se précipite vers lui puis… s’effondre. Tard dans la soirée, la nouvelle est confirmée: l’homme, un Suisse de 37 ans domicilié dans le canton de Zurich, a été «mortellement blessé par la police».
La situation est rarissime. Que s’est-il passé pour que la police ouvre le feu en pleine heure de pointe dans une gare? La police cantonale déclare que, d’après les premiers éléments de l’enquête, «malgré la sommation d’usage», l’individu aurait exhibé un couteau en se montrant menaçant. Ce qui expliquerait pourquoi un policier bondit en arrière dans la vidéo dévoilée par nos confrères. Un agent de Police Région Morges a donc fait usage de son arme de service à plusieurs reprises.
Plus de questions que de réponses
Malgré les tentatives de soin immédiates, le trentenaire est décédé sur place, comme l'avait pressenti «Le Journal de Morges», qui relatait lundi soir qu’un corbillard était posté devant la gare. Rien n'a fuité concernant le défunt. Ni son identité, ni ses motivations. «Nous ne sommes qu’au début des investigations», rétorquait à Blick Olivia Cutruzzolà, porte-parole de la police cantonale. Cette dernière n'a pas non plus indiqué si l’homme était connu des autorités. Ce mardi, aucune information complémentaire n'a été communiquée. Le ministère public central ne fait pas de commentaire.
Retour à la gare. Certains clients des cafés en ont gros sur le cœur. «Comment ne pas penser à ce qui s’est passé l’année dernière», soupire une femme. «Cela fait beaucoup», renchérit un jeune qui tire sur sa cigarette. Ils font allusion au soir du 12 septembre 2020. Un Portugais de 29 ans était tué d’un coup de couteau par un individu radicalisé devant un kebab de Morges. À 100 mètres du quai numéro 4. Un hommage silencieux avait été rendu à la victime et son histoire a marqué durablement les esprits.
Deux drames et un malheureux coup du hasard, selon ces Morgiens. «Les gares et leurs alentours sont toujours un peu glauques, la nôtre ne l’est pas plus.» Le serveur d’un établissement branché va même plus loin: «Ici, les choses changent, des commerces un peu plus haut de gamme se multiplient et attirent une autre population». Vraiment? «Certains problèmes sont déplacés», lâche-t-il avant de tranquillement reprendre son travail.