Pendant la pandémie, la Confédération s'est procuré 61 millions de doses de vaccin Covid-19 auprès de six fabricants différents. Jusqu'à présent, l'Office fédéral de la santé publique (OFSP) a jeté un voile (très) opaque les accords passés avec les groupes pharmaceutiques Astrazeneca, Curevac, Janssen Pharmaceutica, Moderna, Novavax et Pfizer. Des questions centrales, comme les prix et les paiements, restent floues.
Pour Adrian Lobsiger, Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence (PFPDT), ce silence n'est pas compatible avec la loi sur la transparence (LTrans). Dans une recommandation du 23 novembre 2023, il a donc demandé à l'autorité de rendre publics les contrats de vaccins, notamment les coûts d'acquisition.
Mais l'OFSP de la directrice Anne Lévy ne veut rien savoir. Dans six décisions identiques, que Blick a consultées, l'autorité a écrit le 22 décembre 2023: «Contrairement à la recommandation du préposé (...), l'OFSP maintient son silence (...)».
Sur 13 pages, l'OFSP se défend en expliquant notamment que lors de la conclusion du contrat, la Suisse a garanti la confidentialité tant aux fabricants de vaccins qu'aux États partenaires, la France et la Suède, par l'intermédiaire desquels une partie des doses de vaccin a été acquise.
Selon l'OFSP, les partenaires contractuels ne voudraient plus traiter avec la Suisse à l'avenir si celle-ci venait à rompre cette promesse, et la Confédération ne serait donc plus en mesure, lors d'une prochaine crise, de se procurer les vaccins ou les médicaments nécessaires – ce qui compromettrait mécaniquement «l'exécution conforme aux objectifs de mesures concrètes prises par les autorités».
Les petits «secrets commerciaux» des entreprises pharmaceutiques
Les responsables soulignent en outre que les détails des contrats de vaccins n'ont pas non plus été divulgués par d'autres États, et que le faire mettrait la Suisse en porte-à-faux avec «la Commission européenne ainsi que les États membres de l'UE, en particulier les États partenaires comme la France et la Suède». Ce qui irait à l'encontre des «intérêts de politique étrangère» de la Suisse.
L'OFSP évoque en outre la protection des «secrets professionnels, commerciaux ou de fabrication» des entreprises pharmaceutiques: «La divulgation de ces informations entraînerait une concurrence accrue, ce qui entraînerait une baisse des prix sur le marché».
Mais cet argument ne tient pas la route, car un marché public a précisément pour objectif de faire jouer la concurrence afin de maintenir des prix bas. Ainsi, «difficile de comprendre pourquoi il y aurait une entrave à la concurrence en cas de publication du prix (...) dans un marché contrôlé par l'État», rétorque le PFPDT, qui souligne que l'argument d'un prétendu «désavantage concurrentiel» avait également été brandi par les fabricants de vaccins.
En clair: l'OFSP n'a pas réussi à démontrer de manière concrète et plausible dans quelle mesure la divulgation des contrats pourrait porter atteinte aux «intérêts de politique étrangère» de la Suisse.
L'argent du contribuable à hauteur de milliards
Selon le PFPDT, il n'y a aucune justification aux tractations menées par la Suisse, d'autant plus que des procédures juridiques sont également en cours concernant les traités de l'UE.
Adrian Lobsiger n'a pas précisé en quoi la divulgation des informations demandées porterait atteinte à «l'exécution conforme des mesures concrètes prises par les autorités», notamment pour des acquisitions en cas de futures crises. Ce vœu de silence, qui est une exception à la loi sur la transparence, n'a été invoqué par l'OFSP que maintenant.
Quoi qu'il en soit, la décision de l'OFSP peut être contestée devant le Tribunal administratif fédéral. Mais avec de lourdes conditions: «Pour que le cas soit présenté, je dois, en tant que plaignant, avancer des frais pouvant aller jusqu'à 5000 francs», explique Rémy Wyssmann, nouvellement élu conseiller national UDC.
Mais ce n'est pas tout: si le Tribunal administratif fédéral – puis le Tribunal fédéral – se positionne en faveur de l'OFSP et des groupes pharmaceutiques, les plaignants devront en plus prendre en charge leurs frais d'avocat: «Cela peut rapidement coûter plusieurs dizaines de milliers de francs», explique Rémy Wyssmann.
Pour minimiser les risques financiers, il envisage donc de se focaliser sur les contrats de vaccination. En outre, il souhaiterait s'associer à d'autres plaignants: «Le PFPDT nous a donnés raison. Ces obstacles ne doivent pas nous empêcher d'exiger la transparence de la part des autorités».
Dans cette affaire, l'argent du contribuable est en jeu, pour un montant estimé à plus d'un milliard de francs.