Les organisations humanitaires ont du travail plein les bras, et cela se voit. Ces dernières semaines, même à Zurich, l'une des villes les plus riches du monde, des files d'attente sans fin se forment devant les points de distribution de denrées alimentaires. «Nous n'avons de loin pas assez de nourriture pour toutes les personnes dans le besoin», déplore Sabrina Munz, porte-parole de Table Suisse.
Chaque jour, la fondation collecte environ 18 tonnes de denrées alimentaires excédentaires auprès de détaillants tels que Migros, Coop, Lidl ou Aldi. Elle les distribue gratuitement à 450 points de distribution grâce à 36 véhicules. Institutions sociales, foyers pour sans-abri ou maisons d'accueil de femmes: beaucoup d'endroits dépendent de ces dons.
En première ligne face à cette pauvreté, Sabrina Munz est bien placée pour connaître les besoins du «terrain». Et les signaux sont inquiétants: «Ces temps, on n'arrête pas de nous demander s'il est possible de donner un peu plus que d'habitude», explique la porte-parole. Les files d'attente atteignent des records à vue d'oeil. Mais impossible de le savoir, puisqu'aucun chiffre n'existe.
Aussi beaucoup d'Ukrainiens
Zurich, sur la fameuse Langstrasse. Dans un endroit discret coincé entre un hôtel, un centre culturel et les voies CFF, des personnes font la queue. Pour manger. Chaque jour, à partir de 17h30, l'association Incontro distribue ici un repas chaud et des denrées alimentaires aux personnes dans le besoin. Sept jours sur sept et peu importe la météo.
Sœur Ariane, fondatrice de l'association Incontro, confirme que la situation s'est aggravée. Notamment parce qu'il y a beaucoup d'Ukrainiens. «Nous voyons une nouvelle vague de réfugiés en provenance de ce pays. Cette fois, ils viennent même de Kiev.» Jusqu'à lundi, près de 70'000 Ukrainiens avaient acquis le statut de protection S. Pas besoin toutefois d'avoir fui un pays en guerre pour avoir besoin d'un repas chaud. Des gens de tous horizons ont besoin de l'aide d'Incontro, des retraités en situation de pauvreté aux sans-abris en passant par des familles nombreuses.
La file s'allonge. Elle est un peu cachée, certes, mais tout de même bien visible pour les passants qui arpentent l'Europaallee, la nouvelle artère de luxe du centre-ville de Zurich. La pauvreté est d'autant plus ostentatoire que les personnes dans le besoin font parfois la queue plusieurs heures avant l'ouverture, «pour obtenir les aliments les plus frais». De nombreuses institutions ont réagi en mettant en place un système de numéros afin d'éviter aux gens de faire trop longtemps la file et répartir les chances.
Un pic attendu au printemps 2023
Dans notre pays, la pauvreté est très loin d'être un phénomène marginal. En 2020, 722'000 personnes vivaient en dessous du seuil de pauvreté. Cela représente 8,5% de la population. Et il y a pire: 1,3 million de personnes sont menacées de passer sous ce seuil, soit près d'un quart de la population au total. Les ventes dans les épiceries Caritas, où les personnes dans le besoin enregistrées peuvent s'approvisionner en denrées alimentaires et en articles ménagers à prix réduit, s'envolent.
En octobre, ces épiceries ont enregistré un tiers de chiffre d'affaires et de fréquentation en plus par rapport à l'année précédente. «Non seulement il y a davantage de personnes, mais elles achètent également en plus grandes quantités», constate Lisa Fry, porte-parole de Caritas Suisse.
Elle s'attend à ce qu'un pic soit atteint avec un certain retard, au printemps prochain, lorsque la hausse des coûts de chauffage se fera sentir dans les décomptes de charges, que les primes d'assurance maladie augmenteront et que la hausse des prix de l'électricité se répercutera sur les produits de consommation.
Les associations sont à bout
Alex Stähli, directeur de la fondation Table Couvre-Toi, observe l'augmentation de la détresse directement sur les lieux de distribution. «De nombreux points de distribution ont atteint les limites de leur capacité, surtout dans les centres urbains». Les associations sont mises sous forte pression, puisqu'il est difficile de trouver suffisamment de bénévoles pour répondre à une telle demande. «Nous avons aussi nos limites», souffle Alex Stähli.
Table Couvre-Toi, comme Table Suisse, sauve des aliments de la destruction pour les redistribuer aux personnes dans le besoin, dans bientôt 149 points de distribution dans toute la Suisse. Comme à l'église catholique Heilig-Kreuz, dans le quartier d'Altstetten à Zurich, où nous constations une vraie razzia sur les produits proposés par l'association: en à peine une heure, la plupart des produits frais comme les légumes, les fruits ou le pain sont distribués. Il ne reste plus que quelques sauces prêtes à l'emploi ou des édulcorants. En tout, une cinquantaine de personnes auront pu remplir leurs sacs du strict minimum pour faire survivre leurs familles.
C'est bien, mais la demande ne fait qu'augmenter. «Nous élargissons constamment notre offre. Bientôt, nous pourrons approvisionner 300 à 400 familles supplémentaires», se réjouit Alex Stähli. Mais il ne s'agit que de soulager un peu la détresse. Cela ne va pas éliminer la pauvreté, s'inquiète le directeur de Table Couvre-Toi.