En Suisse, l’équivalent de plus de deux fois la population du Valais vit sous le seuil de pauvreté: 735’000 individus. Pire, plus de 1,3 million de personnes, un chiffre qui correspond à l’ensemble des habitants des cantons de Vaud et de Genève, risque de se noyer dans la précarité. Continuons à nous faire peur avec le nombre de «working poors», ces travailleuses et travailleurs pauvres: 155’000. Et ça, c’est la photographie de la situation pré-Covid, selon l’Office fédéral de la statistique (OFS). La réalité est sans doute encore plus glauque.
Quelles solutions dans notre pays, plus inégalitaire que l’Allemagne, la France ou la Pologne selon l’indice GINI de la Banque mondiale? A l’heure où la lutte contre l’évasion — et l’optimisation… — fiscale semble compromise, une vieille idée refait surface en Suisse romande: introduire un salaire minimum. C’est le petit Parti ouvrier populaire (POP) Valais, (re)fondé il y a tout juste deux ans (lire encadré), qui sonne la charge et annonce dans Blick le lancement d’une initiative cantonale.
Mais est-ce vraiment la panacée? Non, répondra la droite, qui mettra sans doute en garde contre les risques de nivellement des revenus par le bas ou de délocalisation. Adrien D’Errico, membre du comité directeur du mouvement de gauche radicale et conseiller général (législatif) à Monthey, anticipe ces oppositions et documente son projet, étude économique et chiffres à l’appui.
Vous lancez une initiative pour un salaire minimum en Valais. Pourquoi maintenant?
Adrien D’Errico: Ce texte résulte d’un brainstorming mené au sein de notre jeune parti. Début 2021, après une année et demie d’existence, nous souhaitions nous inscrire dans le paysage politique valaisan et mener des combats pour les plus vulnérables. Le temps de mettre cela en place, nous voilà aujourd'hui parés.
En quoi votre initiative le permettrait?
Un salaire minimum à 22 francs de l’heure (soit 3696 francs par mois pour 42 heures par semaine, ndlr.), c’est aspirer à davantage de justice sociale et une meilleure répartition des richesses. Comment tolérer que des personnes qui travaillent à temps plein, ou presque, vivent dans la précarité? En Valais, selon l’OFS, environ 1400 personnes ayant un lien étroit avec le travail — qui bossent à 50% ou plus ou sont au chômage — touchent l’aide sociale. C’est une aberration. Ça relève purement et simplement du registre de la honte. Et, aujourd’hui, ce sont les impôts des gens, à travers l’aide sociale, qui se substituent aux patrons qui paient mal.
Une sorte de baguette magique, en somme. Vous y croyez vraiment, au Père Noël?
Nous ne nous berçons pas d’illusions. Les bienfaits, directs ou indirects, d'un salaire minimum sont réels et multiples! Cet instrument entraîne par exemple une plus grande participation à l’économie locale et favorise les circuits courts. Puisque les employées et employés sont payés davantage, moins d’argent dort dans les banques. Un niveau plancher des rémunérations permet aussi de lutter contre la sous-enchère salariale. En Valais, beaucoup de secteurs y sont exposés, comme l’agriculture, l’hôtellerie, les services ou la vente.
Le 18 mai 2014, le Valais a refusé une initiative fédérale pour un salaire minimum à 4000 francs à 82% et une initiative cantonale sur le même sujet à 80,7%. Ce résultat populaire n’était-il pas assez clair?
C’était il y a sept ans. Les mentalités ont évolué depuis. La crise sanitaire et économique que nous traversons a éveillé les consciences. D’autre part, il est aujourd’hui appliqué dans les cantons de Neuchâtel, du Jura, de Genève et du Tessin, qui l'imposent avec succès (la population de Bâle-Ville a accepté d’en introduire un en juin de cette année par 54% de oui, ndlr.). Il nous appartient à présent de démontrer notre force de persuasion et d'argumentation auprès du peuple valaisan.
Les entreprises ont beaucoup souffert de la crise sanitaire et économique actuelle. Vous voulez les achever?
Oui, les entreprises ont souffert, mais les employées et employés aussi. Contrairement à ce que l'on pense généralement, ce ne sont pas les PME qui paient le moins bien et je ne pense pas qu’imposer un salaire minimum les mettrait en danger. Elles seraient même mieux protégées face à la concurrence venue de l’étranger. Une entreprise française qui viendrait installer une piscine sur sol valaisan devrait par exemple payer ses travailleuses et travailleurs aux normes cantonales.
Mais tout de même. Les agriculteurs et viticulteurs pourront-ils vraiment payer leurs employés 3700 francs par mois?
Le Valais est un canton passablement agricole. Dans ce milieu, payer un tel salaire pourrait en effet être difficile. C’est pourquoi nous avons prévu une exception et pensé un minimum à 18 francs de l’heure pour ce secteur de l’économie. Ce qui serait déjà un énorme bond pour les travailleuses et travailleurs de cette branche, qui commencent à 13,40 francs de l’heure selon leur convention collective.
Être-vous prêts à être responsables d’une diminution des places de travail?
Non. L’introduction d’un salaire minimum ne fait pas augmenter le taux de chômage — c’est un mythe! L’économiste canadien David Card, qui vient de recevoir le prix Nobel d’économie aux côtés de Joshua Angrist et Guido Imbens, a pu démontrer le contraire: le nombre d’emplois se maintient voire augmente avec la hausse du salaire minimum. Parce que ça crée un cercle vertueux: les gens ont davantage de sous à injecter dans les circuits courts et l’économie locale, qui engage plus de monde.
Des employeurs qui pourraient toutefois être tentés de niveler les salaires par le bas en payant tout le monde au salaire minimum…
Il n’y aura pas de nivellement par le bas, au contraire. De façon générale, un salaire minimum aura tendance à faire augmenter tous les salaires. Notamment parce qu’il permet aux employées et employés, mais aussi aux syndicats, d’avoir davantage de pouvoir dans les négociations.
L’entier de votre parti pourrait presque tenir dans le téléphérique de la piste de l'Ours... Avez-vous vraiment les moyens de vos ambitions?
Nous ne pouvons peut-être pas miser sur la force du nombre. Mais nous connaissons bien celle de nos convictions. Et nous ne comptons pas partir au combat seuls. Nous lancerons un appel à nos partenaires, comme les syndicats ou les autres partis de gauche — ou même de centre-gauche — ainsi que leur relève. Notre texte leur sera soumis.
Le 8 octobre occupe une place importante dans l'agenda de Frédéric Nouchi. Pas parce que Che Guevara a été capturé en Bolivie à cette date-là en 1967, évidemment. Non, plutôt parce que ce jour-ci, en 2019, le Martignerain a (re)fondé le Parti ouvrier populaire Valais.
«Il y a trois ans, j'ai quitté le Parti socialiste parce que sa façon de voir le monde ne me convenait plus. Il n'était pas assez ferme avec le capital. Je voulais être plus proche de l'humain, soutenir davantage les ouvrières et les ouvriers. De base, je suis syndicaliste, j'étais l'un des meneurs de la grève des transports publics à Genève», rappelle ce conducteur de tram.
En somme, le PS n'était pas assez à gauche pour le conseiller général de la ville du coude du Rhône. «Le POP Valais, c'est du socialisme originel, décrypte l'ancien co-président du PS Migrants Valais romand, originaire des quartiers nord de Marseille. Ce n'est pas du trotskisme ou du marxisme. Nous voulons que les humains puissent vivre dignement. J'ai toujours rêvé d'un monde où les ouvrières et les ouvriers puissent profiter pleinement de leur temps de repos.»
Des élus dans deux communes
Aujourd'hui, le POP Valais compte quelque 30 membres actifs et environ 80 sympathisants, jusque dans le Haut-Valais. «Lors des communales de l'année dernière, nous avons pu placer quatre élues et élus à Martigny et un à Monthey, se félicite le président du parti. Adrien (D'Errico, ndlr) a manqué un siège au Grand Conseil pour 16 voix en mars 2021. Lors des fédérales de 2023, nous présenterons des candidats. Mais nous n'allons pas mettre la charrue avant les boeufs.»
Pour grandir, le jeune mouvement de gauche radical vise «celles et ceux qui souffrent». «Nous avons lancé quatre sections régionales pour élargir notre base. La force du POP Valais, c'est d'avoir su attirer des jeunes qui faisaient de la politique dans leur salon et qui ne trouvaient pas de parti à leur image.»
Les 6 et 7 novembre, le POP Valais accueillera le congrès national du Parti suisse du travail à Monthey. L'occasion de replacer son canton sur la carte de la Suisse rouge.
Le 8 octobre occupe une place importante dans l'agenda de Frédéric Nouchi. Pas parce que Che Guevara a été capturé en Bolivie à cette date-là en 1967, évidemment. Non, plutôt parce que ce jour-ci, en 2019, le Martignerain a (re)fondé le Parti ouvrier populaire Valais.
«Il y a trois ans, j'ai quitté le Parti socialiste parce que sa façon de voir le monde ne me convenait plus. Il n'était pas assez ferme avec le capital. Je voulais être plus proche de l'humain, soutenir davantage les ouvrières et les ouvriers. De base, je suis syndicaliste, j'étais l'un des meneurs de la grève des transports publics à Genève», rappelle ce conducteur de tram.
En somme, le PS n'était pas assez à gauche pour le conseiller général de la ville du coude du Rhône. «Le POP Valais, c'est du socialisme originel, décrypte l'ancien co-président du PS Migrants Valais romand, originaire des quartiers nord de Marseille. Ce n'est pas du trotskisme ou du marxisme. Nous voulons que les humains puissent vivre dignement. J'ai toujours rêvé d'un monde où les ouvrières et les ouvriers puissent profiter pleinement de leur temps de repos.»
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Aujourd'hui, le POP Valais compte quelque 30 membres actifs et environ 80 sympathisants, jusque dans le Haut-Valais. «Lors des communales de l'année dernière, nous avons pu placer quatre élues et élus à Martigny et un à Monthey, se félicite le président du parti. Adrien (D'Errico, ndlr) a manqué un siège au Grand Conseil pour 16 voix en mars 2021. Lors des fédérales de 2023, nous présenterons des candidats. Mais nous n'allons pas mettre la charrue avant les boeufs.»
Pour grandir, le jeune mouvement de gauche radical vise «celles et ceux qui souffrent». «Nous avons lancé quatre sections régionales pour élargir notre base. La force du POP Valais, c'est d'avoir su attirer des jeunes qui faisaient de la politique dans leur salon et qui ne trouvaient pas de parti à leur image.»
Les 6 et 7 novembre, le POP Valais accueillera le congrès national du Parti suisse du travail à Monthey. L'occasion de replacer son canton sur la carte de la Suisse rouge.