Au début de l’histoire de cette immense escroquerie présumée, il y a un voleur de voiture de luxe qui a peut-être dit la vérité. A la fin, une liste de plus de 50 parties plaignantes ou lésées et un préjudice chiffré entre 1,8 et… 17 millions par la brigade financière de la police cantonale vaudoise, révèle Blick. Jusqu’à 28 millions auraient circulé entre les mains des très jeunes prévenus, tous originaires de la Riviera vaudoise. L’affaire est croustillante et prêterait à sourire si les prévenus n’avaient pas de bonnes raisons de craindre pour leur vie aujourd’hui.
Reprenons au commencement. Vous vous souvenez peut-être de Kevin*, dont Blick vous avait raconté les exploits, en novembre 2021. Le désespoir de ses victimes, aussi — elles seraient au moins sept, selon un décompte de la RTS daté d’août 2022. Grâce à un piège astucieux, le jeune homme dépossédait légalement des propriétaires de leur voiture de luxe.
Dans une interview accordée à Blick, le malfrat avait justifié ses actes en soutenant s’être fait «prendre dans un système pyramidal». En d’autres termes, une arnaque où les nouveaux arrivants rémunèrent les investissements des précédents, et ainsi de suite, jusqu’à ce que tout s’écroule. «Un groupe de Français est venu me prêter une somme à six chiffres en cash pour que [je l’injecte dans] cette pyramide de Ponzi, jurait-il. […] La personne qui gère le système me doit maintenant en réalité 1,3 million de retour sur investissement. Résultat, j’ai des dettes énormes. C’était: soit je remboursais, soit ça partait plus loin, vous voyez. […] La somme récupérée grâce à la vente des voitures, je ne l’ai déjà plus…»
Aujourd’hui, près d’un an et demi après, Blick découvre que Kevin — arrêté entre-temps — fait bien partie des «lésés», selon les termes d’un rapport de police de septembre 2022, dans une affaire de pyramide de Ponzi à Vevey et environs. Il réclame un montant conséquent aux prévenus. Au nombre de quatre, selon ledit document. Un chiffre que conteste le Ministère public, qui se contente de confirmer qu’ils sont bien plusieurs. Kevin avait d’ailleurs transmis l’identité de l’un d’entre eux à Blick.
Des aventures dignes des «Pieds nickelés»
Le document raconte des aventures dignes des «Pieds nickelés». Il y a d’abord Maxime*, «élément central de toutes les activités», selon les enquêteurs. Âgé d’une vingtaine d’années, sans formation et au bénéfice d’une rente d’un peu plus de 1’000 francs par mois, il décide visiblement de se refaire une santé financière en novembre 2019.
En audition, il reconnaît avoir alors inventé une société d’investissement jamais inscrite au registre du commerce, lui avoir donné un nom en anglais, lui avoir offert un logo «trouvé sur internet» et un slogan alléchant: «La référence sur l’investissement à court terme». Il crée des contrats. Il inclut la TVA à un taux de 7,7% «pour faire pro». Mais surtout, il promet un rendement astronomique et illégal de 50% dans les 30 jours ouvrables, selon un contrat que Blick a pu consulter. En clair, la personne qui lui remettait 1000 francs était censée recevoir 1500 francs en retour dans le délai convenu. Du jamais vu.
Mais pour pouvoir lancer un système pyramidal, et donc pour pouvoir tenir ses promesses auprès des premiers clients, il faut une somme de base. D’où vient celle réunie par Maxime? Selon une source proche du dossier, il aurait notamment engrangé d’importants gains à travers des paris sportifs.
Une comptabilité à la petite semaine
Maxime explique avoir commencé par convaincre «des amis proches, tels que des connaissances d’apprentissage, de gymnase ou autre». Qui tombent dans le panneau. Mais qui se voient effectivement rembourser les sommes promises dans les délais. Le jeune homme gagne ainsi leur confiance et la machine s’emballe. Puis, le cercle s’élargit. La thune commence à pleuvoir. A tel point que le prévenu confie aux inspecteurs «avoir été dépassé par son succès et que des inconnus lui confiaient de l’argent à investir».
Selon un document retrouvé par les enquêteurs, plus de 28 millions auraient passé dans les mains de Maxime et ses présumés complices, en onze mois. Un montant contesté par Maxime et son avocat. Selon le fichier Excel en main des forces de l’ordre, 431 conventions étaient qualifiées comme étant «en cours» — pour un montant total de 12 millions. A l’inverse, 960 autres portaient la mention «terminée» — pour une somme atteignant 16 millions. En moyenne, environ six contrats par jour étaient signés.
Rapidement, Maxime rémunère un premier co-prévenu, Alex*, pour gérer son administratif. Ce dernier soutient avoir été rémunéré entre 250 et 700 francs par mois pour ses travaux de «secrétariat». Le dossier en notre possession révèle la tenue d’une comptabilité à la petite semaine. En marge de la liste des prêts des investisseurs, des commentaires prêtent à sourire. Exemple: «Ce clochard dit [avoir donné] 57’980 [francs], mais c’est un peu plus qu’on lui doit xD» (sic). Ou encore: «Attention [un homme] lui a déjà donné un peu d’argent avec l’argent d’un autre client, je crois donc faut regarder avec lui» (sic).
Jets privés, Lamborghini et Côte d'Azur
Durant des mois, Maxime et ses proches, dont au moins certains sont aussi prévenus dans cette affaire, auraient mené la grande vie. Selon la police, le meneur supposé de la combine aurait occupé une maison dont le loyer mensuel de 15’000 francs «aurait été payé une année à l’avance», dans la région. Des investisseurs y auraient été reçus. Maxime a déclaré avoir dépensé jusqu’à 40’000 francs par mois. Selon les enquêteurs, il aurait aussi «acheté et loué des véhicules d’exception, acheté des habits de luxe, voyagé en jet privé et écumé les bars et hôtels de luxe de la Côte d'Azur». A plusieurs reprises, il se serait par exemple rendu à Monaco en Lamborghini.
En documentant cette vie sur les réseaux sociaux, Maxime aurait ainsi pu mettre — encore davantage — en confiance les investisseurs, souligne le texte officiel. Un élément supplémentaire qui «tendrait à démontrer l’escroquerie». La brigade financière appuie en outre sur un autre point: «[Maxime] a notamment utilisé l’argent qu’il avait à disposition pour créer des sociétés (ndlr: notamment de location de voitures de luxe) pour blanchir le surplus d’argent et consolider sa 'success story', servant à appâter d’autres investisseurs.»
Mais voilà, durant l’été 2020, les fonds auraient commencé à manquer et les prévenus ne pouvaient plus rembourser leurs clients. Ça se termine particulièrement mal pour Maxime. Jugez plutôt: «Mis sous pression par de nombreux investisseurs, [Maxime] a été brièvement amené de force, par ceux-ci, dans la villa […] où la police est intervenue (ndlr: en août 2020). C’est d’ailleurs peu après […] que [Maxime] a mis fin à son activité délictueuse.»
Puis, le jeune homme quitte la Suisse pour leur échapper, tout en continuant — toujours selon l’inspecteur en charge de l’enquête — de publier sur Instagram, «expliquant avoir été faussement victime d’un cambriolage et d’une séquestration de ses biens». Une «astuce» utilisée pour «gagner du temps». Maxime finit par être arrêté en octobre 2020, alors qu’il occupait une chambre d’hôtel à Montreux, avant d’être placé en détention.
Contacté, le Ministère public confirme avoir ouvert une enquête — encore en cours — pour «escroquerie par métier». Le Parquet précise en outre qu’aucun des prévenus n’est actuellement embastillé.
Maxime a été séquestré
Joint par téléphone, Romain Kramer, avocat de Maxime, révèle que son client se trouve à l’étranger, en ce moment, pour des raisons de sécurité. «Il y a d’ailleurs fait l’objet d’une tentative d’enlèvement. Il est bien possible que des gens peu recommandables aient investi, suppose l’homme de loi au téléphone. Je suis persuadé que mon client a peur pour sa vie.» Les enquêteurs affirment que Maxime a reçu des menaces en prison, qui ont continué depuis sa sortie.
Sur le fond, il «ne conteste pas que de l’argent ait été encaissé sans être remboursé». «En revanche, nous contestons les calculs de la police, développe Romain Kramer. Les montants des créances ont été artificiellement gonflés parce que beaucoup de ces sommes, qui avaient fructifié, ont été réinvesties. Le montant dû par les différents prévenus devrait se situer autour de deux millions. Nous contestons également la qualification d’escroquerie: il n’y a jamais eu de stratagème pour tromper les clients. Ce qu’on constate dans ce dossier, c’est la puissance d’Instagram et du bouche-à-oreille.»
Romain Kramer insiste sur un dernier point. «Mon client n’est pas l’unique acteur dans ce dossier. Une dynamique de groupe était à l’œuvre et des transactions se faisaient sans sa supervision. La preuve: l’un des prévenus fait l’objet d’une poursuite pour plus de 120’000 francs.»
Les autres mettent la faute sur Maxime
La ligne de défense d’au moins deux autres prévenus est claire: Maxime était bel et bien le cerveau de l’opération, ils n’étaient que de simples exécutants et n’ont rien fait d’illégal. «Mon client a tout au plus donné un coup de main à [Maxime] pour certains aspects administratifs en ignorant les conditions dans lesquelles les gens étaient amenés à confier de l’argent et la façon dont celui-ci aurait dû fructifier, martèle Loïc Parein, avocat d’Alex, joint par Blick. Il n’a jamais démarché des investisseurs. Aussi, il n’a pas participé à des agissements de nature pénale et a même perdu personnellement de l’argent dans cette histoire. Malgré cela, il fait l’objet de revendications parfois brutales au point de devoir prendre des précautions pour préserver son intégrité physique. Cela m’amène à constater que l’argent possiblement facile a attiré une quantité astronomique de personnes souvent peu regardantes dont les fonds n’étaient pas toujours très propres et qui peuvent aller aujourd’hui trop loin pour les récupérer.»
Même son de cloche du côté de l’avocat d’un troisième prévenu, qui se considérait lui aussi comme le secrétaire de Maxime. «Mon mandant, à l’époque jeune, totalement inexpérimenté et ignorant dans le domaine financier, a lui-même investi ses économies auprès de [Maxime], en qui il avait confiance, amorce Nader Wolf, son avocat, également contacté. [Maxime], qui se présentait publiquement avec des signes extérieurs de richesse tels que des voitures et montres de luxe, a d’ailleurs plusieurs fois chargé mon mandant de remettre de l’argent à des investisseurs pour les rembourser, avec les intérêts promis. Tout ce qui précède et bien d’autres éléments démontrent que mon mandant croyait à la réalité des promesses de retour sur investissement faites par [Maxime] et à la légitimité de ses opérations financières, comme tant d’autres l’ont cru, ce qui exclut déjà la réalisation d’une infraction contre le patrimoine par mon mandant.»
L’avocate d’un quatrième prévenu, accusé d’avoir amené une vingtaine de contrats à Maxime et visé par une poursuite de plus de 120’000 francs, n’était pas atteignable durant la semaine du 20 mars. Les noms et les conseils d’éventuels autres comparses présumés ne sont pas connus de notre rédaction. Tous bénéficient de la présomption d’innocence.
*Prénoms fictifs, noms connus de la rédaction