Viktor Orbán sera a priori le dos au mur, jeudi soir à Bruxelles, face aux dirigeants des vingt-six autres pays membres de l’Union européenne, lors d’un sommet extraordinaire consacré à l’aide financière à l’Ukraine.
Le Premier ministre Hongrois a provoqué cette réunion du 1er février. S’il avait donné son accord, en décembre, au déblocage des 64,6 milliards d’euros – dont 50 milliards pour tenir à bout de bras son économie et financer sa reconstruction – prévus pour aider le gouvernement de Kiev, entre 2024 et 2027, cette page-là serait déjà refermée.
Seulement voilà: Orban n’a pas cédé. Du moins jusque-là. Officiellement, l’homme fort de Budapest refuse toujours que cette manne financière soit imputée au budget de l’Union européenne, et il exige en sus sa révision annuelle, à l’unanimité des 27. En clair: pas question d’aider l’Ukraine au détriment éventuel des fonds européens alloués aux pays membres, et pas question de céder sur son droit de véto, qu’il utilise en permanence pour obtenir de nouvelles concessions de Bruxelles.
Vladimir Poutine, bien trop puissant
Les raisons de ce blocage hongrois sont connues. Viktor Orbán ne croit pas à la possibilité d’une victoire ukrainienne, et tout ce qui peut lui permettre de ménager Vladimir Poutine est bon à prendre. Son refus de livrer des armes à Kiev et son veto financier sont aussi simples qu’égoïstes: la Russie est un partenaire trop important pour la considérer, à long terme, comme un adversaire irrévocable. Bien qu’il soit l’agresseur, et bien qu’il haïsse les valeurs démocratiques européennes, Vladimir Poutine est, aux yeux du chef du gouvernement hongrois, bien trop puissant pour être traité comme un ennemi.
D’une manière ou d’une autre, Volodymyr Zelensky doit donc céder. La guerre par procuration menée par l’Otan, via l’armée ukrainienne, doit s’achever. Rappelons que la Hongrie, membre de l’Alliance Atlantique depuis 1999, n’a toujours pas ratifié l’entrée de la Suède dans la plus puissance coalition militaire au monde. Alors que le parlement Turc, lui, l’a finalement approuvé le 23 janvier.
Que faire?
Face à cela, que répondre et que faire? Officiellement, les 26 autres pays membres de l’Union refusent, à ce stade, de contourner la Hongrie par un mécanisme financier ad hoc. L’heure est encore aux tractations, sur fond de déblocage possible d’une nouvelle tranche des aides européennes dues à la Hongrie (21 milliards d’euros), gelées par Bruxelles pour non-respect de l’État de droit. Mais n’est-il pas temps, surtout, de profiter de l’objection d’Orban pour reposer les questions qui fâchent?
Dans cinq mois, entre le 6 et le 9 juin, 427 millions de citoyens de l’UE seront conviés aux urnes pour élire le nouveau parlement européen. Alors ouvrons le débat pour de bon. La guerre en Ukraine coûte trop cher? Elle nuit aux intérêts durables des Européens? Poutine est encore un dirigeant digne de confiance? Voilà le débat qu’il faut avoir le courage d’ouvrir et d’assumer, par respect pour les Ukrainiens qui se battent pour défendre leur pays et démontrer au Kremlin que la liberté et la démocratie ne sont pas des valeurs que l’on peut abattre à coups de missiles tirés sur des civils et de villes rasées comme durant la seconde guerre mondiale.
Au-delà des blocages
C’est cette question qu’il faut adresser, publiquement et sans relâche, à Viktor Orban et à tous ses disciples du Vieux Continent. Que proposez-vous, au-delà des blocages sournois de dizaines de milliards de dons et de prêts promis à un pays avec lequel les 27 (dont la Hongrie) ont accepté le mois dernier d’ouvrir des négociations en vue de sa future adhésion…
Défendre, comme la Suisse tente de le faire jusque-là sans succès, l’idée d’une conférence de paix est en réalité la seule option viable. Elle suppose, quoi qu’on en pense, de renouer le lien cassé avec la Russie. Mais imaginer que Vladimir Poutine s’engagera dans un dialogue sérieux s’il sait que l’Ukraine va se retrouver économiquement à genoux, et qu’il peut l’achever, relève de l’illusion. Viktor Orban mise, en réalité, sur la défaite de l’Union européenne à laquelle il appartient et à laquelle son pays (et les Hongrois) doit tant.
Le moment est venu, pour tous ceux qui pensent comme lui à l’ombre confortable du parapluie américain de l’Otan, d’assumer leur défaitisme pour le projet européen, pour notre continent et peut-être, demain, pour nos libertés.