Un proche d'une victime du 11 septembre
«Ça fait encore mal tous les jours»

Cette année marque le 20e anniversaire des attaques terroristes du 11 septembre 2001. Des milliers de familles sont toujours en deuil et demandent la publication de documents secrets. Depuis le Connecticut, Brett Eagleson cherche des réponses.
Publié: 11.09.2021 à 06:43 heures
Bruce Eagleson est mort dans les attentats, peu après des vacances familiales en Floride. Brett avait 15 ans à l'époque.
Fabienne Kinzelmann, Lauriane Pipoz (adaptation)

Le contraste entre Middletown, une ville de 50'000 habitants située dans l'État américain du Connecticut, et New York, qui se trouve à deux heures et demie de route, ne pourrait pas être plus grand. On y trouve de grandes maisons, un terrain de baseball et beaucoup de cerfs.

Brett Eagleson nous attend à la caserne de pompiers du South Fire District, à côté d'une longue et haute pièce en acier rouillée dans laquelle se trouvent des clous tordus. Il s'agit d'un morceau du World Trade Center: ce monument a été érigé en souvenir des attaques terroristes du 11 septembre 2001, lorsque des terroristes d'Al-Qaïda ont détourné quatre avions et tué 2977 personnes. Le père de Brett se trouvait parmi elles.

15 ans lorsque les tours se sont effondrées


Le nom de Bruce Eagleson est gravé sur une pierre posée sur le sol. «C'était très dur quand papa est mort», se souvient son fils. Il avait 15 ans et était assis en classe de mathématiques lorsque les tours se sont effondrées: Brett Engelson et ses frères aînés Tim (alors âgé de 19 ans) et Kyle (22 ans) sont soudainement devenus semi-orphelins. «Ça fait encore mal tous les jours.»

Les attaques terroristes ont traumatisé l'Amérique et le monde entier. Elles ont déchiré des familles et des communautés en rendant des enfants orphelins, des adultes veufs et veuves. Et ont aussi arraché des enfants à leurs parents.

Convaincu de l'implication des Saoudiens


A l'instar de Brett Eagleson, elles préoccupent toujours les proches. Il a rejoint la ligne de front des milliers de familles endeuillées qui exigent une transparence totale sur les attaques terroristes. «Notre gouvernement nous refuse toute information. Nous voulons enfin savoir exactement quel rôle l'Arabie saoudite a joué dans les attentats», tonne-t-il.

Le gouvernement saoudien nie tout lien avec les attentats, mais les soupçons n'ont jamais été définitivement dissipés. Comme Oussama ben Laden, le chef d'Al-Qaïda, 15 des 19 pirates de l'air étaient des Saoudiens.

Brett Eagleson et ses camarades sont convaincus que la famille royale saoudienne a aidé les terroristes aux États-Unis en leur fournissant des réseaux, de l'argent et de l'entraînement. Des appels téléphoniques entre les conspirateurs des attentats, des enregistrements d'entretiens avec des témoins et une photo d'un diplomate saoudien avec deux des pirates de l'air peu après leur arrivée aux États-Unis, preuves de cette collaboration, seraient selon eux retenus par le gouvernement américain.

Les dernières heures de son père reconstituées minute par minute


Brett Eagleson a reconstitué «minute par minute» la façon dont son père est mort. Bruce Eagleson était un cadre du groupe de sociétés Westfield, propriétaire d'un centre commercial situé au World Trade Center.

Il travaillait au 17ème étage de la Tour Sud et a survécu à la première attaque. Après avoir aidé ses collègues à sortir de la tour, il est retourné sur les lieux du drame, juste avant que le deuxième avion ne s'y écrase.

«Je pense qu'il voulait aider les gens et les pompiers, suppose son fils. Personne ne connaissait le bâtiment aussi bien que lui et il a toujours cherché à aider les autres. Chez nous, il était entraîneur de l'équipe de baseball.»

L'héroïsme de son père met parfois Brett Eagleson en colère. Le plus souvent, il en est fier, mais cela ne lui suffit pas pour faire son deuil. «Il manque une pièce du puzzle», dit-il en faisant référence aux documents saoudiens.

Ils attendent l'appel de Joe Biden


Une action en justice contre la famille royale saoudienne, impliquant Brett Eagleson, est en cours à New York depuis 2017. Au début du mois d'août, lui et 1600 autres proches endeuillés ont écrit au président américain pour lui demander de publier les documents en question. Sinon, disent-ils, il ne mérite pas d'assister aux commémorations du 20e anniversaire.

Joe Biden a répondu. Dans une déclaration écrite, il a exprimé sa sympathie pour la demande, mais a invoqué une directive adoptée en 2009 sous son mandat de vice-président. Cette dernière fixe des limites à la divulgation d'informations par le gouvernement «pour des raisons de sécurité nationale». Il a toutefois ajouté que le ministère de la Justice allait reconsidérer la publication des documents.

«Nous attendons tous encore que Biden nous appelle», explique Brett Eagleson, déçu. Jeudi, 3500 familles endeuillées ont à nouveau exigé que le ministère de la Justice publie des preuves.

L'ancien chef de la Commission d'enquête sur le 11 septembre, Tom Kean, a également demandé à l'administration Biden, la semaine dernière, de rendre publics tous les dossiers secrets, en particulier ceux qui traitent de l'implication éventuelle de responsables du gouvernement saoudien. Il a précisé: «Je les ai lus, il n'y a rien dedans». Mais notre interlocuteur n'y croit pas. «S'il n'y a vraiment rien dedans, pourquoi ne sont-ils pas déjà publiés?», s'interroge-t-il.

Réconforté par la lutte pour les documents


Chez son employeur, une banque locale, il a pris des congés. Il veut faire pression pour que ces dossiers soient rendus publics. Aujourd'hui, après deux décennies, ses chances semblent plus grandes que jamais. Jour et nuit, il est au téléphone, se rend à Washington, rencontre des politiciens.

Est-ce que ça l'aide dans sa douleur? «Ça me réconforte, explique-t-il. J'ai l'impression de faire quelque chose. Pour moi et pour les autres.» Un bel hommage à son père.


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