Peut-on croire les promesses protectionnistes européennes?
Le «Made in Europe» ne peut pas être qu'une affaire de normes

Les dirigeants européens réunis à Bruxelles jeudi 15 décembre ont promis pour le début 2023 une riposte au protectionnisme américain. L'adoption, cette semaine, d'une taxe carbone aux frontières de l'UE est un début. Mais jusqu'où aller ?
Publié: 16.12.2022 à 15:20 heures
A l'issue du sommet européen de Bruxelles, jeudi 15 décembre, Emmanuel Macron s'est dit convaincu de l'adoption, début 2023, d'un grand plan de soutien à l'industrie européenne bousculée par le protectionnisme européen. Crédible? Pas si sûr...
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Richard WerlyJournaliste Blick

L’année 2049 est en train de s’achever. Dans quelques semaines, 2050 marquera le tournant de ce XXIe siècle qui a vu la guerre revenir sur le Vieux Continent. Au nord de la Méditerranée, la nouvelle Silicon Valley européenne tourne à plein régime. Les ingénieurs venus d’Inde et de Chine se pressent dans les laboratoires des nouveaux géants européens de la biotechnologie, à Lausanne, Zurich ou Hambourg. En France, l’industrie est revenue. Les usines tournent à plein. Tandis qu’à l’est du continent, la Pologne mérite son surnom de «nouvelle Allemagne». Le «Made in Europe» a réussi à s’imposer. Le «Made in China» recule et les grandes entreprises américaines se concentrent, pour l’essentiel, sur leurs clients de leur côté de l’Atlantique…

Le rêve d’Emmanuel Macron

Ce rêve est un peu celui d’Emmanuel Macron. Lorsqu’il a achevé, ce jeudi 15 décembre, le dernier sommet européen de l’année 2022, le président français a redit sa conviction que l’UE saura riposter au grand plan de réindustrialisation américain lancé par Joe Biden via l’Inflation Reduction Act (IRA), qui permet aux entreprises qui rapatrient leurs usines outre-atlantique de bénéficier d’importantes exonérations fiscales. «Nous avons donné mandat à la Commission européenne pour, au tout début de l’année prochaine, finaliser l’équivalent d’un IRA européen, c’est-à-dire simplifier le régime d’aides d’État, trouver des instruments beaucoup plus rapides et lisibles pour nos entreprises, a-t-il asséné à Bruxelles. On doit avoir des outils beaucoup plus adaptés et rapides, doublés d’un investissement budgétaire national et européen accru.»

Retrouvez Emmanuel Macron à l’issue du Sommet européen:

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L’idée est simple et elle tient en trois axes. Premier axe, désormais en cours de mise en œuvre avec l’adoption mardi 13 décembre de la future taxe carbone aux frontières: l’instauration de barrières tarifaires à partir de 2026 pour tarir le déferlement de produits fabriqués dans des conditions préjudiciables au climat et à l’environnement. En clair, toute entreprise désireuse d’exporter dans le marché commun de 450 millions d’habitants devra acheter des quotas pour couvrir ses émissions polluantes. Dans des secteurs comme l’acier, l’aluminium, le ciment, les engrais ou l’électricité (et sans doute demain la chimie et l’industrie plastique), l’importateur devra déclarer les émissions liées au processus de production, et si celles-ci dépassent le standard européen, acquérir un «certificat d’émission» au prix du CO2 dans l’UE.

Le grand retour des subventions

Deuxième axe: la simplification des procédures administratives et, surtout, le grand retour des subventions aux entreprises, appelées «aides d’État» dans le jargon européen. La Suisse, souvent mise en cause par Bruxelles à ce sujet, connaît cette musique par cœur. De longue date, les Cantons continuent d’accorder aux entreprises, pour les conserver sur leur territoire, des «avantages économiques dont elles ne bénéficieraient normalement pas sur le marché». Citons, par exemple, les garanties d’État pour les banques ou des régimes d’exonération fiscale. Or l’Union a combattu avec force des pratiques depuis des décennies au nom de la libre concurrence. Seulement voilà: les États-Unis viennent de tout bousculer, au risque de poursuites devant l’Organisation mondiale du commerce basée à Genève.

Résultat? Un Conseil européen spécial se tiendra les 9 et 10 février pour proposer des solutions face à l’Inflation Reduction Act américain. Avec, comme document de travail, le résultat d’une consultation menée d’ici là auprès des 27 État membres pour «savoir si un assouplissement des règles en matière d’aides d’État, comme ce qui a été convenu en mars pour les entreprises affectées par la guerre en Ukraine, doit être étendu aux entreprises pénalisées par l’IRA». L’État revient au centre du jeu. La politique industrielle aussi.

Comment financer tout cela?

Troisième axe: le financement de ce futur label «Made in Europe». Car tel est le projet: produire de nouveau sur ce continent ce qui ne l’est plus aujourd’hui et rapatrier d’ici vingt ans les usines qui font tant défaut. Coté américain, le montant de l’argent public investi dans l’Inflation Reduction Act est de 433 milliards de dollars, dont 369 millions sur des projets industriels compatibles avec la transition énergétique. Cela, pour une population de 330 millions d’habitants aux Etats-Unis. Faites le calcul: l’UE compte entre 450 et 500 millions de citoyens. Il lui faudrait donc débourser, pour rivaliser avec l’IRA, environ 600 milliards d’euros, soit un peu moins que le plan de relance «Next Generation EU» de 750 milliards adopté en juillet 2020.

L’appel de Thierry Breton à un nouveau plan de relance:

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D’où la demande d’un second plan du même type, lui aussi financé par des emprunts communautaires à 27. L’Allemagne, qui a lancé son propre plan de 200 milliards, y est pour l’heure hostile. Mais il sera difficile de l’éviter: «Face aux défis colossaux qui nous attendent, il n’y a qu’une seule réponse possible, celle d’une Europe de la solidarité. Afin de surmonter les lignes de fracture causées par les différentes marges de manœuvre des budgets nationaux, nous devons réfléchir à des outils mutualisés au niveau européen», ont argumenté, en octobre, les Commissaires européens à l’industrie (Thierry Breton) et à l’économie (Paolo Gentiloni).

Un pilotage fédéral?

Reste la question centrale: comment mettre en œuvre de telles mesures de subventions massives à l’industrie européenne sans assumer un pilotage quasi fédéral? Déjà, la question de la localisation des usines pour produire les batteries électriques de demain ressemble à un champ de bataille. Le géant allemand Volkswagen, qui prévoit d’en construire six, est courtisé par plusieurs gouvernements. Idem pour les futures usines de semi-conducteurs (pour lesquels l’Europe a débloqué 42 milliards d’euros), le grand défi industriel d’avenir. Car qui dit usines dit emplois…

Autre sujet: celui des choix industriels. Bruxelles soutient ainsi un grand plan hydrogène, contesté par les industriels en raison du coût très élevé du processus de transfert énergétique pour alimenter une voiture. Qui va décider? Comment répartir les efforts et les bénéfices, et qui portera l'éventuelle responsabilité d’inévitables échecs?

Le «Made in Europe» est peut-être sur les rails. Mais pour que ce label supplante, d’ici à 2050, le «Made in Japan», «Made in China» ou «Made in USA», c’est une véritable révolution industrielle du XXIe siècle qui doit intervenir de ce côté-ci de l’Atlantique.

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