Peut-on encore faire confiance au Parlement européen? Vu de Suisse, où cette institution n’a jamais eu très bonne presse, la réponse populaire à cette question serait sans doute un «non» cinglant. Logique.
Comment croire que l’intérêt général des 450 millions de citoyens des 27 États membres de l’Union européenne (UE) puisse être représenté par 705 députés élus dans chaque pays au scrutin de liste? Avec, en plus, des règles de représentativité pour le moins discutables.
Six élus au minimum par pays, y compris à Malte, dont les 520’000 habitants pèsent proportionnellement bien plus lourd que les 83 millions d’Allemands, représentés par 96 députés sur 705. Difficile, déjà, de lire ce chiffre sans s’interroger…
De graves soupçons de corruption
Apprendre aujourd’hui que de graves soupçons de corruption «Made in Qatar» pèsent sur l’hémicycle de Strasbourg où les eurodéputés se réunissent une fois par mois en séance plénière (ils sont le reste du temps à Bruxelles) n’est malheureusement pas non plus une surprise.
Ce lundi 12 décembre, la présidente Maltaise Roberta Metsola ne pourra, lors de la séance spéciale qu’elle a convoquée dans la capitale alsacienne, que constater un mal profond. En 2011 déjà, l’hebdomadaire britannique «The Sunday Times» avait pris dans sa nasse trois eurodéputés – un Roumain, un Slovène et un Autrichien – prêts à «vendre leurs services» pour déposer des amendements législatifs, moyennant 100’000 euros chacun. L’intermédiaire du «Times» s’était alors fait passer pour un défenseur des consommateurs. Bingo! Le texte qu’il avait préparé s’était presque retrouvé adopté tel quel dans un projet de directive, les lois communautaires.
La question des rémunérations annexes
Autre exemple d’influence obtenue dans les couloirs du Parlement européen: les rémunérations annexes perçues par certains députés influents, pour des missions extérieures à leur activité législative, voire en contravention avec leur nécessaire indépendance.
Une élue de premier plan, la Française Sylvie Goulard, s’est ainsi retrouvée sur la sellette pour avoir reçu, alors qu’elle siégeait à Strasbourg comme rapporteuse sur la supervision bancaire, un salaire mensuel d’environ 10’000 euros entre octobre 2013 et octobre 2016 de l’Institut économique américain Berggruen. Une activité rémunérée dûment déclarée, qui lui valut néanmoins de voir sa candidature à la Commission européenne rejetée en octobre 2019… lors de son audition parlementaire.
Or combien d’autres ont fait de même, instillant le doute? Selon l’ONG Transparency International, spécialisée dans la lutte contre la corruption, 30% des eurodéputés continuent d’exercer des activités salariées en plus de leur mandat. Lequel leur rapporte une rémunération mensuelle d’environ 8000 euros. L’ONG avait alors dénoncé «l’inexistence d’un système de contrôle au sein des institutions européennes à même de garantir l’absence de conflits d’intérêts».
Faut-il voir, dans l’interpellation ce week-end de la vice-présidente grecque du Parlement européen Eva Kaili (maintenue en détention) et de l’eurodéputé belge Marc Tarabella (remis en liberté après perquisition de son domicile), une aggravation de ces failles?
Doit-on considérer que les accusations graves de la justice belge selon laquelle des «faits présumés d’organisation criminelle, de corruption et de blanchiment» auraient eu lieu à l’initiative d'«un pays du Golfe» minent la crédibilité démocratique du Parlement? À voir.
Dans les faits, la politique étrangère de l’UE – au-delà de la question de l’élargissement, des accords commerciaux et le vote de résolutions plus ou moins médiatiques à Strasbourg – est le domaine dans lequel le Traité de Lisbonne de 2008 a concédé le moins de codécisions aux eurodéputés.
Manque de réactivité de l’Office antifraude européen
Reste une préoccupante réalité: quels que soient les résultats de l’investigation en cours, l’absence de signalements et d’intervention des autorités communautaires chargées du contrôle des institutions, comme l’Office anti fraude (OLAF), semble avéré.
Comment l’expliquer? Est-ce faute d’informations ou pour éviter l’explosion d’un nouveau scandale, comme celui ayant entaché la Commission européenne, lors de la démission du Commissaire maltais à la santé John Dalli en 2012, pour soupçon de conflit d’intérêts avec les multinationales du tabac?
Autre réalité: cette mise en cause du Parlement intervient pile durant la semaine où le cas de la Hongrie, et du respect de l’État de droit par le gouvernement de Viktor Orbán, doit être examiné par les chefs d’État ou de gouvernement lors de leur sommet à Bruxelles ces 15 et 16 décembre. Une problématique dont le Parlement européen a fait l’une de ses priorités, après l’adoption en septembre 2022 d’une résolution qui déplore l’incapacité des États-membres à obtenir des «améliorations significatives» et «à contenir les atteintes à la démocratie».
Les eurodéputés avaient alors insisté, par 433 votes pour et 123 abstentions, sur le fait que l’article 7 des Traités européens qui permet de suspendre le versement des fonds à une capitale «ne requiert pas l’unanimité des États membres pour reconnaître un risque sérieux d’atteinte aux valeurs de l’UE, ni pour formuler des recommandations concrètes ou pour fixer des échéances».
Corruption avérée ou tentative d’affaiblissement?
Corruption au plus haut niveau à Strasbourg? Ou volonté de salir et tentative d’affaiblissement de l’institution considérée comme le pilier démocratique de l’UE?
Le quotidien français «Libération» a raison d’en tirer cette conclusion: «Quelle que soit l’issue de cette affaire, elle se traduira par un affaiblissement du Parlement au pire moment: en effet, il s’est lancé dans un combat contre les dérives illibérales et la corruption en Hongrie en faisant pression sur les États membres pour qu’ils la privent des aides communautaires. Désormais, il va lui être difficile de donner des leçons alors qu’il est manifestement gangrené par un lobbying qui avance masqué, et que les contrôles internes et les contre-pouvoirs y sont inexistants.»