En août dernier, Blick s'est rendu dans la ville de Bakhmout, dans le Donbass. Nous avions alors discuté avec un homme qui, témoignant de son optimisme, entreprenait de réparer la gouttière rouillée de sa maison. «Tu ferais mieux d'attendre encore, la guerre n'est pas finie ici», lui avait alors conseillé notre traducteur qui l'accompagnait. Malheureusement, celui-ci avait raison. Six mois plus tard, il s'avère que le bricoleur était effectivement trop optimiste. La guerre y fait rage et l'affrontement de plusieurs mois n'a pas épargné grand-chose de sa ville natale.
«La neutralité est criminelle au vu des délits commis à Bakhmout»
Les chiffres donnent le vertige: sur les 70'000 habitants d'autrefois, il n'en reste que quelques centaines et, selon les estimations militaires, jusqu'à 1'000 soldats sont tués chaque jour dans les deux camps! Raison pour laquelle une grande partie des maisons ont été détruites ou gravement endommagées. Dans ce contexte, un civil ukrainien qui vient d'arriver à Bakhmout témoigne de son ressenti à Blick: «La situation dans la ville est un enfer, un pur enfer».
Au milieu du chaos mortel de Bakhmout se trouve aussi Andrej Luilko, menuisier quarantenaire dans la ville du Donbass de Sloviansk jusqu'en février 2022, et combattant sur le front depuis lors. Le soldat est actuellement hospitalisé dans un hôpital de guerre à l'ouest de la ville à cause d'une pneumonie sévère. Il s'est adressé à Blick avec une lettre. «Être neutre maintenant, c'est de l'inaction criminelle.» Le combattant interpelle la Suisse sans passer par quatre chemins. «Si un voisin pète les plombs, le tue et viole ensuite sa femme et ses enfants, n'est-ce pas un peu étrange de rester à côté et de dire que je suis neutre?!», demande-t-il.
Le monde doit se réveiller et prendre clairement position, poursuit Andrej Luilko. Surtout maintenant, face aux graves crimes commis à Bakhmout par la Russie. «Poutine ne va pas s'arrêter en si bon chemin». Chaque pays pourrait devenir une nouvelle cible de son «État terroriste» écrit-il encore. «Vous pourriez être les prochains! Bakhmout n'est que le début!»
Les troupes ukrainiennes en retrait
Vendredi matin, les troupes ukrainiennes ont fait sauter un pont sur la rivière Bakhmutka, qui traverse la ville assez précisément en son milieu. C'est un signe qui trahit la crainte d'une percée russe. Peu de temps avant, des vidéos montrant des combattants de la troupe de mercenaires russes Wagner au centre de Bakhmout ont d'ailleurs fait surface.
Sous le nom de «Magyar», le commandant d'une unité de combat de drones ukrainiens fait des rapports directs depuis Bakhmout depuis quatre mois. Jeudi soir, cet homme a confirmé avoir reçu un ordre de retrait de la part du commandement militaire. Même si le commandement ukrainien avait encore annoncé en milieu de semaine vouloir renforcer la présence des troupes à Bakhmout, les signes ne trompent pas. Selon les experts du groupe de réflexion américain «Institute for the Study of War», les Russes n'encercleront pas complètement Bakhmout. Ils avancent en effet sur trois côtés et au moins une des routes qui mènent à l'ouest de de la ville ukrainienne devrait rester ouverte.
L'Ukraine a déjà connu une situation similaire en juin 2022. Les Russes avaient accaparé des villes du Donbass de Sievierodonetsk et Lyssytschansk, mais avaient laissé des voies de fuite ouvertes pour encourager les troupes ukrainiennes à se retirer ainsi plus rapidement. Si Bakhmout tombe, les Russes feront un grand pas vers Kramatorsk et Sloviansk, les deux plus grandes villes du Donbass encore sous contrôle ukrainien. Cela intensifierait encore la terrible bataille qui se déroule à l'est du pays.