Favorite des législatives
Avec les Italiens qui rêvent d'un pays transformé par Giorgia Meloni

La cheffe du parti Fratelli d'Italia était ce mercredi 14 septembre en meeting sur le port de Gênes. Blick y était aussi. Au programme: la défense d'une Italie qui ressemble plus à un mirage qu'à un miracle.
Publié: 14.09.2022 à 22:13 heures
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Dernière mise à jour: 15.09.2022 à 10:44 heures
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Giorgia Meloni: un discours centré sur le rejet des élites et les promesses de mesures sociales pour venir en aide aux travailleurs et à la classe moyenne italienne, assommée par la crise.
Photo: Richard Werly
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Richard WerlyJournaliste Blick

Il faut voir Giorgia Meloni sur scène pour comprendre le séisme politique qui agite l’Italie et qui pourrait transformer l’Europe à l’issue des législatives du 25 septembre. Une boule de nerfs qui arpente l’estrade, en snobant le pupitre. Un débit de mitraillette, truffé de références au «bon sens» que les institutions nationales ou européennes ont soi-disant perdu, et que les élites piétinent. Port de Gênes, 18 heures ce mercredi soir 14 septembre: la dirigeante du parti Fratelli d’Italia, 45 ans, monte sur la scène en chemise blanche, manches retroussées, pantalon clair et baskets.

Bien plus dynamique que Marine le Pen

Impossible de la comparer à la Française Marine Le Pen, bien moins vibrionnante sur une estrade, les yeux rivés sur ses discours. Sans note et sans prompteur, Giorgia Meloni prend le micro seule, quelques minutes à peine après avoir été présentée par son responsable local de la région Ligurie. Place au «one woman show». Sous l’auvent qui protège de la pluie fine, sous le ciel gris qui recouvre Gênes, le millier d’Italiens présents a trouvé sa madone.

Giorgia Meloni parle comme votre voisine exubérante, votre concierge énervée, votre employée irascible ou votre patronne résolue à vous faire revenir coûte que coûte dans le droit chemin. Un discours décousu au service d’un seul message: réhabiliter «le bon sens». Les travailleurs italiens doivent être respectés et augmentés, les immigrés doivent être stoppés et la famille (entendez la nation) doit l’emporter.

Des phrases? Non, une rafale de paroles

Des phrases? Non, une rafale de paroles, surtout quand elle s’énerve. La méthode Meloni, créditée de 25% des intentions de vote dans les sondages, est celle du tsunami, à peine entrecoupée par l’intervention intempestive de quelques spectateurs. Sa main gauche plonge dans sa poche avant de se redresser pour désigner ces coupables qu’on ne voit pas, mais que l’intéressée voue aux gémonies.

Premier d’entre eux? Le président du conseil sortant, Mario Draghi, ex-président de la Banque centrale européenne, acculé à la démission le 21 juillet. Haro sur le haut fonctionnaire si éloigné des gens. Giorgia Meloni sait qu’elle joue sur du velours face à son principal adversaire, l’universitaire pro-européen Enrico Letta, dont le parti démocrate plafonne à 20% des voix.

Enrico Letta est dans le réel, pas Giorgia Meloni

Le 12 septembre, tous deux ont débattu sur le plateau du quotidien «Corriere Della Sera». Echanges courtois. Mais précipice de différences. Letta est dans le réel: les contraintes européennes, la dette publique italienne qui flirte avec les 150% du produit intérieur brut (PIB), la nécessité de faire bloc à 27 contre la menace russe. Meloni est dans le rêve et la fierté. A Gênes, l’ancienne disciple de Giorgio Almirante, fils spirituel du dictateur Mussolini, n’a pas reparlé de l’Union européenne dont elle veut combattre les prérogatives au nom de la souveraineté retrouvée de la péninsule. Mais pour tout le reste, le domaine du possible est étendu à l’infini.

Il faudra, si elle parvient au pouvoir après le 25 septembre, d’abord augmenter les salaires et diminuer les taxes sur le travail. «Il faut couper la charge fiscale, centrer sur la production de richesses. Inciter plutôt que fiscaliser», s’énerve-t-elle. Le populisme est l’art de cajoler les préoccupations du peuple. Or Giorgia Meloni, fille du quartier populaire de Garbatella à Rome, connaît ces préoccupations par cœur. Les Italiens aiment rêver. Elle promet de se battre pour leurs illusions.

Salvini distancé

Marco Patri vit dans le centre de Gênes. Il votait jadis pour la Lega, le parti de Matteo Salvini, aujourd’hui nettement devancé et en seconde position au sein du bloc de droite. Jeune retraité de 66 ans, il sourit et s’agite au premier rang. Meloni lui «donne la pèche». Elle parle. Elle ne lâche pas le micro. «Elle va leur donner le tournis à Bruxelles», rigole-t-il. Le slogan de Giorgia sur «l’Italie forte» l’amène à déployer la bannière de Fratelli d’Italia, qu’il a apportée avec lui. Le drapeau flotte devant la scène. «Fierté, nation...»: les mots reviennent en boucle.


Sur scène, l’intéressée se déchaîne sur ses propres paroles. L’octogénaire Silvio Berlusconi, milliardaire télévisuel toujours persuadé d’incarner la réussite de l’Italie, ne peut de toute façon pas suivre. Chacune de ses sorties publiques est ponctuée de gaffes. Matteo Salvini, plombé par son discours pro-russe, prépare lui la prochaine embuscade en redoutant d’être marginalisé à droite. Enrico Letta, l’homme du centre-gauche, mise sur un retournement de dernière minute de l’opinion. Les Cinq étoiles, ex-trublions de la politique transalpine, ne brillent plus guère.

Giorgia Meloni a un boulevard

Giorgia Meloni veut croire qu’elle a un boulevard. La direction de la troisième économie européenne est à sa portée, sauf si les sondages et la presse se sont lourdement trompés. De l’Europe, elle préfère ne plus parler. Négocier demain avec Bruxelles, la France et l’Allemagne, sera sans doute – si elle devient cheffe du gouvernement – du ressort de son allié berlusconien de Forza Italia, l’ancien commissaire européen Antonio Tajani.

Sur l’Ukraine, elle parle des enfants qui souffrent et méritent d’être accueillis au lieu de tous ceux qu’elle ne cite pas, venus d’Afrique et du Moyen-Orient. Pas un mot sur les hostilités ou sur l’OTAN, qu’elle affirme soutenir sans nuances. Pas d’éloge de sa foi catholique et de son agenda réactionnaire non plus, mercredi à Gênes: «On m’accuse de vouloir tailler dans le droit à l’avortement. Pas du tout. Nous ne couperons rien. Nous insisterons seulement sur le droit de ne pas avorter.»

Qu’importe. Giorgia est la fille qui tient tête au directeur d’école lorsqu'une injustice survient dans la cour de récréation. Une madone énervée qui pousse dans les aigus et, parfois, finit même par crier. Elle mitraille. La foule est ravie. Les «Grazie ragazzi» (Merci les amis), pleuvent au micro. L’hymne italien peut retentir. A quoi sert de parler de la péninsule telle qu’elle est, surendettée et avec bien peu de marge de manoeuvre, puisqu’il est si facile de faire électoralement fructifier un mirage?

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